Accueil Cultures

Des exemples concrets portés par le terrain, en alternative aux pesticides

Pour s’inscrire dans une trajectoire de réduction des produits phyto, plusieurs pistes existent. Elles font intervenir de nombreux acteurs, comme les sélectionneurs, les constructeurs de matériel ou encore les fabricants de produits de biocontrôle.

Temps de lecture : 5 min

Guillaume Jacquemin est sélectionneur au Centre wallon de recherches agronomiques (Cra-w). Son travail, tel celui de ses prédécesseurs, permet de proposer de nouvelles variétés aux agriculteurs, afin de répondre aux défis d’aujourd’hui, mais aussi d’anticiper les enjeux de demain.

145 variétés en plus de 100 ans

Le Cra-w dispose d’ailleurs d’une longue expérience en la matière et ce, dans diverses cultures. « Pas moins de 145 variétés ont été sélectionnées dans nos murs en 112 ans, pour onze cultures différentes », précise M. Jacquemin. Aujourd’hui, le Centre se concentre sur trois programmes majeurs de sélection concernant la pomme, la pomme de terre et les céréales.

Sur base de sa très large collection de pommes, le Cra-w poursuit l’objectif de créer des variétés résistantes aux maladies. « Deux ont été mises sur le marché ces dernières années, Ducasse et Coxybelle. Elles se montrent peu sensibles à la tavelure ; les traitements phytoprotecteurs peuvent être réduits de 60 % par rapport à Jonagold, le standard en Belgique. » Et ce, selon le chercheur, sans compromettre ni le goût, ni la conservation.

En pommes de terre, Gembloux s’est, en toute logique, concentré sur la résistance face au mildiou. Et là aussi, avec succès, puisque des variétés robustes, comme Sarpira, ont vu le jour.

Beffroi succédera-t-elle à Cosmos ?

Guillaume Jacquemin se concentre sur les céréales et plus particulièrement sur l’épeautre. « Le blé dur et le froment font aussi partie intégrante de notre programme de sélection », précise-t-il.

En épeautre, la sélection s’est attelée, au fil du temps, à répondre à différents problèmes : maladies de l’épi, résistance au froid, fertilité, verse… Plusieurs obtentions sont ainsi nées au Cra-w. « Suite aux changements climatiques, de nouvelles maladies apparaissent tandis que d’autres reviennent sur le devant de la scène. C’est le cas de la rouille noire ou de l’ergot du seigle. Certains virus sont davantage présents, car les pucerons résistent mieux à nos hivers plus chauds qu’autrefois. » Les variations climatiques (vague de chaleur, pluies abondantes…) constituent, elles aussi, un défi pour le sélectionneur.

La sélection ne vise donc plus à accroître les rendements mais bien à les stabiliser face aux problèmes actuellement rencontrés ou à venir.

En épeautre, la sélection variétale conduite par le Cra-w a déjà permis de mettre plusieurs variétés à disposition des agriculteurs ces dernières années.
En épeautre, la sélection variétale conduite par le Cra-w a déjà permis de mettre plusieurs variétés à disposition des agriculteurs ces dernières années. - J.V.

« Au Cra-w, le travail est mené au champ, plus qu’en laboratoire. Observations, croisements… tout se passe face à la culture. Au fur et à mesure, le panel de variétés étudiées se réduit car seules les plantes les plus intéressantes et résistantes sont conservées. Et les observations se poursuivent… jusqu’à évaluation aux quatre coins de la Wallonie, dans des conditions pédo-climatiques diverses. »

Une fois qu’une variété a passé l’ensemble des tests, elle peut être inscrite au Catalogue national. « C’est ainsi que la référence EH# 11.33, comme elle était connue lors des essais, est devenue la variété Beffroi, inscrite et commercialisée en Belgique. » Cette dernière, en conditions de faibles intrants et selon la pression sanitaire, peut réaliser jusqu’à 20 % de rendements de plus que Cosmos, variété bien connue des agriculteurs belges.

Biner au plus près de la culture

La sélection variétale est un levier, tout comme le recours aux solutions mécaniques. Ce que confirme Christophe Lemmens, entrepreneur de travaux agricoles dans la région de Huy-Waremme et adepte du binage.

« Le binage a toujours existé et présente plusieurs intérêts. En premier lieu, il permet d’éliminer les adventices tout en réduisant le recours aux herbicides et le développement de résistances. Il favorise une aération du sol et la respiration racinaire. Enfin, la pénétration de l’eau s’en trouve améliorée », détaille-t-il.

Les bineuses ont grandement évolué ces dernières années, permettant de réaliser un travail correct. De l’engin tracté sur lequel était assis l’agriculteur afin de le guider aux outils actuels, inutile de préciser qu’il y a un monde de différence. Pour preuve, les bineuses sont désormais équipées de caméra et couplées à un translateur ; les deux assurant un guidage optimal dans la culture.

« Cela nous permet de travailler au plus près des plantes, sur la plus grande surface possible. Cela requiert toutefois que les cultures soient semées en ligne. » Mais l’inter-ligne n’est pas le seul à être désherbé. « Selon les outils choisis, il est possible de travailler dans la ligne en parallèle. » L’intervention mécanique réalisée dans l’inter-ligne peut aussi être associée à une pulvérisation sur la ligne. « Ce qui permet de réduire de 50 à 70 % les doses de produits phytosanitaires appliquées. »

« Coupler les deux systèmes présente toutefois des limites. Il est idéal de biner en journée, par temps séchant, tandis que la pulvérisation donne de meilleurs résultats en matinée, voire la nuit. L’association sera plus efficace certains jours que d’autres. »

De longs délais avant une mise sur le marché

Le recours aux biosolutions constitue un troisième levier à activer. Ce type de produit est de plus en plus présent sur le marché et de nombreuses sociétés orientent tout ou partie de leurs recherches dans cette direction. C’est notamment le cas de la jeune entité Biocsol, née en septembre 2023 après plus de dix ans de recherches menées au sein de l’UCLouvain. « Nous développons des biopesticides exempts de micro-organismes qui valorisent les substances actives naturellement produites par des microorganismes bénéfiques », éclaire le Ceo de la société, Denis Payen.

Sont en cours de développement, les produits Bioscol 1 contre le mildiou de la pomme de terre, Biocsol 2 contre l’alternariose de la pomme de terre, et Biocsol 3 contre le mildiou de la laitue. M. Payen déplore toutefois que les délais entre la constitution d’un dossier d’agréation et la mise sur le marché des produits soient si longs.

« Il y a de nombreuses étapes à franchir : construire le dossier et le soumettre, attendre les conclusions des autorités européennes, recevoir les autorisations… Nous constituons actuellement le dossier pour Biocsol 1, pour une mise sur le marché qui ne devrait pas avoir lieu avant 2033. »

Un point dont il faudra tenir compte durant ces Etats généraux de la protection des cultures.

Jérémy Vandegoor

A lire aussi en Cultures

Voir plus d'articles