Courrier des lecteurs : «L’agro-populiculture», une pratique à développer
Le très intéressant dossier sur la populiculture m’amène à réagir pour apporter quelques précisions complémentaires. Je suis « entré en populiculture en 1959 », membre fondateur du Centre de Populiculture du Hainaut, j’ai suivi attentivement l’évolution des techniques populicoles.

L’agroforesterie de Tanguy Duphénieux
Exemple unique en Wallonie, cette parcelle associe un populiculteur à un agriculteur. Les alignements de peupliers sont distants de 33 m, ce qui permet à l’exploitant agricole d’utiliser son matériel (semoir, pulvérisateur, machines de récolte) sans difficulté. La présence de bandes enherbées (3 m) pour chaque alignement constitue aussi un milieu naturel favorable à la biodiversité.
La relation propriétaire-agriculteur est régie par un accord particulier qui se traduit par une convention entre parties. Il faut noter que les clones (variétés) utilisées devraient logiquement être exploités vers 18 ans (2 x 9 ans !) ce qui facilite l’établissement d’un bail.
Si cette technique est une innovation en Belgique, elle est fréquente en Italie (vallée du Pô) depuis plus de 30 ans. On soulignera que les populiculteurs italiens exploitent leurs arbres à 12-13 ans (circonférence 120-130 cm) car les industriels italiens utilisent des bois jeunes et sans faux cœur. Comme le signale Tanguy Duphénieux, l’association peuplier-culture structure l’espace tout en diversifiant les revenus, séquestre le carbone tout en protégeant le sol.
Comment verrions-nous nos campagnes au Nord du sillon Sambre et Meuse (y compris en Flandres) si l’on supprimait les peupleraies et les alignements de peupliers.
On peut aussi ajouter que l’entretien des peupliers (et notamment l’élagage) peut être réalisé par l’agriculteur qui dispose d’un tracteur avec élévateur et très souvent d’une scie à chaîne. Cet élagage peut être réalisé durant les périodes creuses à la ferme.
La pépinière de Benoit Demarbaix
J’ai eu le plaisir de conseiller Louis Demarbaix lors de ses débuts de pépiniériste. Homme charmant, méticuleux, il s’est fait une excellente réputation entraînant son fils Benoît dans une production de plants de peupliers de qualité, complétée par des travaux de plantation et d’entretien des peupleraies. Malheureusement l’avenir de cette pépinière risque de se terminer faute de repreneur.
On doit regretter que peu de pépiniéristes wallons s’intéressent à la production de peupliers, malgré les débouchés assurés car actuellement les clones « modernes » sont exploitables à 18-20 ans.
L’exemple de Benoît Demarbaix qui se spécialise dans la production des plants de peupliers, la plantation et l’entretien avec une belle réussite prouve qu’« agriculture et pépinière sont une association réussie ».
Le peuplier et le bail à ferme
Tanguy Duphénieux évoque le flou juridique entourant le bail à ferme, qui ne précise pas clairement à qui appartiennent les arbres plantés sur un terrain loué. Les juristes Louise et Henry Van Malleghem développent avec précision les dispositions légales soulignant notamment que le bail à ferme est applicable et relatif aux biens immeubles affectés principalement à l’exploitation agricole
En ce qui concerne la populiculture elle est assimilée à la sylviculture.
Deux cas d’espèces doivent être envisagés :
– le locataire plante des peupliers sur un terrain loué,
– un propriétaire plante des peupliers sur un terrain mis en location avec un bail.
Dans le premier cas, un accord du propriétaire est absolument obligatoire. Une convention doit être prise qui stipule notamment l’indemnité que le locataire devra verser au propriétaire au moment de l’exploitation des peupliers.
Dans le deuxième cas, la convention est plutôt dirigée par le propriétaire et les modalités seront définies au moment de la plantation qui peut correspondre à un nouveau bail. Ce bail pourrait avoir une durée de 18 ans qui correspond, aujourd’hui, à l’âge d’exploitation des actuelles variétés de peupliers les plus performantes.
Juridiquement, Louise et Henry Van Malleghem ont très bien résumé les possibilités de bail en insistant sur le Décret du 2 mai 2019 qui oblige à rédiger des baux écrits.
Pour conclure, il existe une situation qui n’a pas été envisagée et qui pourtant est assez fréquente et surtout intéressante : la plantation d’un alignement de peupliers autour d’une prairie. Légalement, la distance vis-à-vis de la propriété voisine est de 3 m (alors qu’elle est de 6 m dans le cas d’une peupleraie).
Ces plantations en ligne autour d’une prairie ont un double avantage : pour le propriétaire elles sont très favorables car l’accroissement est supérieur, plus ou moins 20 à 25 % par rapport aux peupleraies. Certaines précautions doivent être prises : protéger les arbres durant 5 ans (le plus simple est de planter un tuteur de 2 m de haut et d’y fixer du fil barbelé, en le fixant en haut et en bas), ne jamais mettre de chevaux dans le pré même avec des arbres âgés.
Pour l’éleveur, l’alignement de peupliers donne de l’ombre au bétail lors des canicules.
Une dernière précaution : l’écartement entre les peupliers ne doit pas être inférieur à 6 m. Dans le cas contraire on observe une ovalisation des troncs avec perte de qualité.
En conclusion, « l’agro-populiculture » est une pratique à développer tant pour le propriétaire que pour le locataire et… pour la beauté de nos paysages en plus de l’intérêt comme « puits de carbone ».
Membre fondateur du Centre de Populiculture du Hainaut





