Courrier des lecteurs : le voyage des montgolfières
Le travail, c’est comme un vol en montgolfière. En tant que salarié(e), vous survolez tranquillement le marché du travail tout en vous sentant en sécurité car vous avez un emploi.

Plus le temps passe, moins il y a de sacs de sable accrochés à la nacelle alors bien entendu, vous volez de plus en plus haut. Sans métaphore cette fois-ci, plus vous restez au sein d’une entreprise, plus vous vous sentez impliqué et plus vous exercez votre travail avec davantage de responsabilités. En tant qu’indépendant, il en va de même. On commence petit, l’altitude est basse. Or bien vite on s’aperçoit qu’en allant un peu plus loin, en investissant un peu plus, on gagnerait plus et donc on prend de l’altitude. Avec des heures de travail démultipliées. « Surprise ! » à la clé.
Alors dans cette histoire de montgolfière, je vous rassure, il y a quand même un parachute dans chaque nacelle. On peut quitter son travail, on peut tout plaquer, mais il est évident que sans parachute doré, plus grande et longue aura été l’ascension, plus raide sera la chute.
C’est à ce moment-là qu’il arrive à des travailleurs de fantasmer que d’une chose : être victime d’une bonne petite chute. Alors ni trop grave, ni trop bénigne. Juste assez pour qu’on nous file dix à douze semaines de congé maladie sans culpabilité, puisque : « j’peux pas, j’ai plâtre » en haussant les épaules. Certains iront jusqu’à faire un bébé pour y échapper !
Ces travailleurs « cocottes-minute », prêts à exploser, il faudra les récupérer à la petite cuillère à coups de séances de psy. Mais puisqu’ils seront ruinés et isolés, ils consacreront toutes leurs journées sur les réseaux sociaux et s’inscriront à des séances de « connexion profonde » avec la nature. Il paraît en effet qu’on en ressort transformé. Je vous assure, c’est la grande révélation « trend » du moment : marcher est bon pour la santé. Au printemps, d’autres s’extasient de ressentir une fraîcheur qui trompe les sens, ils ressentent une légère pluie alors qu’au-dessus des cimes de sapin, le ciel est bleu. Ce n’est pas que je veux casser l’ambiance, mais cette « fraîcheur » n’est autre qu’une diarrhée digne des chutes du Niagara de milliers de chenilles en train d’éliminer l’excès d’azote et de potassium contenus dans les jeunes feuilles du printemps, en train de se défendre.
Monsieur Clarinval, franchement, moi non plus je ne voudrais pas intégrer le marché de l’emploi dans ces conditions-là. Et vous non plus, soyons de bonne foi. On en est arrivé à l’épuisement si poussé d’une société que ses travailleurs préférèrent le licenciement à la promotion. Du côté des indépendants ? Ce n’est pas folichon-folichon non plus, non, non, non ! Nous, les indépendants et les agriculteurs, ce dont on rêve c’est tout le contraire : outre de préserver nos bras et jambes, ce serait d’en avoir deux ou même trois paires en plus ! Notre rêve, c’est de devenir Shiva.
Alors j’ai beaucoup réfléchi, sondé les avis et dédicace à toi Pierre si tu me lis. Monsieur Clarinval, nous sommes en état de guerre sur le marché du travail. C’est un fait, alors faisons comme à la défense. Théo a décidé d’envoyer un courrier à tous les jeunes de dix-huit ans pour faire le service à l’armée ? Envoyez cette même lettre à toutes ces personnes qui cherchent un sens dans le monde du travail, en leur donnant la possibilité de réaliser une mission tout aussi honorable ! Défendre la terre, celle qui nourrit !
J’ai beaucoup mieux que du caca de chenille : j’ai du fumier, des fientes, de la merde en veux-tu en voilà. Marcher, bon pour la santé ? Mais oui, ça fait partie du programme « ressourcement agricole » et des kilomètres on marchera. Et vous savez quoi ? Pour ma part, j’offre gracieusement ce service à l’État belge. C’est ma façon de contribuer à redresser l’économie et de permettre de rendre du trav- de la confiance à toutes ces personnes. J’aurai enfin le temps – de prendre le temps - de soigner mes mains gercées que je recouvre de crème pour trayons de vaches. Oui, que voulez-vous, c’est moins cher et plus efficace que toutes les autres crèmes dermatologiques.
Ce n’est pas que je ne saurais pas m’en payer mais à quoi bon de me verser un salaire ? On sait pertinemment que si on s’en verse un, déjà on sera mal payé et de plus, volé par les dépenses professionnelles : clames pour fixer le treillis aux piquets (29 €), chanvre pour réparer fuite d’un abreuvoir (14 €), etc., etc. La ferme, c’est nous. Nous sommes la ferme. Nous ne formons qu’un, alors oui, on gère méticuleusement le tiroir-caisse car entre les piratages de l’administration qui annonce deux mois de retard des paiements Pac, et la météo qui nous fait jouer chaque année à la roulette des gens qui rient, des gens qui pleurent, faut savoir assurer ses arrières et ce n’est certainement pas le métier où on sort un salaire et les cotisations qui vont avec. Encore moins pour un autre. C’est ça aussi une réalité de la vie des agriculteurs et des indépendants, embaucher c’est trop cher.
Alors quand la moitié de la société cherche un travail et que l’autre travaille pour deux, l’équation elle est vite réglée, non ? Parait que le travail, c’est la santé disaient les anciens. On a juste visiblement beaucoup de mal à calculer.





