Accueil Economie

La transition, au féminin singulier

Lors de la journée dédiée aux femmes à Agribex, un débat entièrement consacré à la durabilité a réuni l’agricultrice Cindy Rabaey, la députée régionale et bourgmestre Valérie Dejardin, ainsi qu’Hélène Flamand, responsable durabilité chez Puratos. Ensemble, elles ont confronté leurs expériences et leurs visions d’une agriculture qui cherche à concilier autonomie, innovation, justice sociale et attentes du consommateur. Leurs échanges ont révélé une transition déjà bien engagée sur le terrain, mais encore entravée par des freins administratifs, des contraintes techniques et un modèle économique qui peine à valoriser pleinement les efforts déployés.

Temps de lecture : 6 min

Pour Cindy Rabaey, la durabilité commence dans la cour de ferme. L’autonomie fourragère, qui atteint chez elle 98 %, n’est pas un objectif marketing mais un principe de fonctionnement : moins d’intrants, plus de cohérence et une meilleure maîtrise des aléas. « Être autonome, c’est aussi être serein », dit-elle volontiers.

Cette logique se prolonge dans la relation au consommateur. Le distributeur automatique de lait, branché directement sur le tank, permet de proposer en continu un produit brut, local et polyvalent. Cindy aime rappeler qu’avec du lait cru, « on peut tout faire : des crêpes, un chocolat chaud, des sauces ». Une manière simple de reconnecter les habitants à un aliment essentiel, mais souvent dénaturé. L’économie circulaire ne s’arrête pas là : la station de biométhanisation installée sur l’exploitation produit désormais l’électricité de la ferme. Reste un point en suspens : acheminer cette énergie vers le magasin situé juste en face. « Le câble pourrait presque traverser en volant », glisse-t-elle, amusée. Le sourire disparaît toutefois lorsqu’elle évoque les démarches nécessaires, « nettement moins rapides que la traversée d’une route ».

Quand l’industrie alimentaire cherche sa cohérence durable

Du côté de Puratos, Hélène Flamand observe la transition à partir de l’aval de la filière. Elle rappelle que « 70 % de l’empreinte carbone d’un pain vient des matières premières » : la durabilité du produit final dépend donc directement du travail agricole. Le consommateur évolue lui aussi. « Aujourd’hui, 52 % des Belges recherchent des produits plus durables », souligne-t-elle. Cette tendance a permis l’émergence d’un consortium réunissant coopératives, meuniers, industriels et agriculteurs, engagés à réduire collectivement l’empreinte carbone du blé. « L’idée est simple : avancer ensemble et partager le risque », résume-t-elle.

Pour elle, l’enjeu dépasse la seule technique : il s’agit d’apprendre à parler d’une même voix. La durabilité n’est solide que si chaque maillon de la chaîne avance au même rythme, sinon « elle s’effondre au premier déséquilibre ».

Le témoignage de Cindy sur sa station de biométhanisation trouve immédiatement un écho chez Valérie Dejardin. Elle explique que, pour brancher un câble au magasin d’en face, il faut déterminer si la route est communale ou régionale, consulter plusieurs niveaux de décision, obtenir des autorisations distinctes. « L’agriculteur voit une route, l’administration en voit trois », résume-t-elle, mi-amusée, mi-désabusée.

Elle rappelle un chiffre inquiétant : un agriculteur sur cinq en Wallonie ne gagne pas sa vie. Une statistique qui, selon elle, oblige à repenser la durabilité comme un modèle économique et pas seulement environnemental. « La durabilité doit nourrir ceux qui la produisent », insiste-t-elle. Pour la députée, les fermes diversifiées, ancrées localement et de taille humaine constituent une piste crédible. Mais elles ne pourront se multiplier que si les procédures cessent de freiner les initiatives.

Le consommateur, acteur central d’une transition crédible

Pour Cindy Rabaey, la durabilité dépend aussi du rapport à l’alimentation. Elle raconte comment les clients de son magasin ont dû réapprendre la saisonnalité : en hiver, ils découvrent les poireaux plutôt que les concombres.

Une cliente lui confia un jour : « Chez vous, je ne viens pas avec une liste de courses. Je fais mon repas en regardant ce qu’il y a. » Un geste simple, mais révélateur d’une autre manière de consommer. Valérie Dejardin nuance cette vision idéale en rappelant les contraintes de la vie quotidienne. Après les inondations, elle avait vécu un an dans un petit appartement : « Impossible de stocker quoi que ce soit, même pas un panier hebdomadaire. » La durabilité, dit-elle, ne peut ignorer ces obstacles très concrets auxquels certaines familles sont confrontées. Pour Hélène Flamand, la clef réside dans le récit. Raconter d’où vient un blé, qui l’a cultivé, comment il a été transformé : « Quand le consommateur comprend, il change. Parfois plus vite qu’on ne croit ».

Quel modèle pour une durabilité rentable et réaliste ?

Les trois intervenantes convergent sur un point : il n’existe pas de modèle unique. Mme Rabaey insiste sur la singularité de chaque exploitation : « Chaque ferme a quelque chose d’exceptionnel ».

Elle met en garde contre le mimétisme : la diversification peut être une chance, mais « trois fermes qui font de la glace dans le même village, ce n’est durable pour aucune ». Valérie Dejardin prolonge la réflexion : la durabilité doit se penser à l’échelle des territoires. Trop de similitudes affaiblissent un tissu local, alors que la complémentarité l’enrichit.

Évoquant son rapport aux décisions politiques, Cindy Rabaey se montre lucide. « Avec la Pac, nous ne savons jamais quand l’argent arrive », dit-elle. Dans un métier rythmé par les saisons et les imprévus, cette incertitude peut peser lourd.

Valérie Dejardin reconnaît cet écart entre le temps administratif et le temps du vivant. Elle affirme toutefois qu’un élu peut faire bouger les lignes « s’il arrive au Parlement avec des témoignages concrets ». Le terrain, pour elle, n’est pas une option : c’est une condition d’efficacité. Interrogée sur ce qui lui donne de l’élan, Cindy Rabaey un outil auquel elle ne croyait pourtant pas : le robot de traite. « J’étais la première contre », confie-t-elle, avant d’admettre que cette technologie a amélioré à la fois l’organisation de la ferme et le bien-être du troupeau. Elle s’est depuis découverte pédagogue, prenant le temps d’expliquer aux visiteurs comment fonctionne cette robotisation qu’elle juge, désormais, pleinement bénéfique. Hélène Flamand voit dans ces évolutions un signe encourageant : « Ce qui se passe dans le secteur agricole, en termes d’innovation, est incroyable », affirme-t-elle. Une énergie collective qu’elle considère comme l’un des moteurs les plus solides de la transition durable.

Au fil du débat, une évidence s’est imposée : les femmes jouent un rôle déterminant dans la transformation durable du secteur agricole. Leur manière d’articuler les dimensions économiques, sociales et écologiques, leur créativité et leur capacité à construire des modèles cohérents en font des actrices essentielles de cette transition.

Marie-France Vienne

A lire aussi en Economie

Voir plus d'articles

Trouvez un emploi dans le secteur agricole et horticole

Garden and pool

Gembloux, Namur

Postuler maintenant

Trouvez l'employé qui vous convient vraiment.

Publier une offre d'emploi
Voir toutes les offres d'emploi