Courrier des lecteurs : tous au boulot?
« En décembre, les cultos sont au repos. ». Cette réflexion m’a été servie in vino veritas, entre la poire et le fromage lors d’un repas de Saint-Éloi. À l’entendre, il faut croire qu’on hiberne !

Pas mal de gens s’imaginent que les agriculteurs n’ont guère de travail pendant la morte-saison. Les tracteurs ne sortent quasi plus, si ce n’est pour évacuer quelques bennes de fumier de temps à autre, et vues de l’extérieur, les exploitations semblent tourner au ralenti. Pourtant, comme disent les anciens : « À l’cînse, y’a qu’à ouvrir les yeux, il y a du boulot tant qu’on veut ! ». Il y a tant de choses à faire !
Bien entendu, les journées très courtes du dernier mois de l’année n’incitent pas à s’engager dans de grandes manœuvres, ni à s’agiter comme des morts-de-faim. Alors, on s’attelle à des tâches de rangement, d’entretien du matériel et des bâtiments, de petites ou grosses réparations. Des boulots « méditatifs » durant lesquels on peut laisser vagabonder son imagination, et prendre le temps de bien faire les choses… Quand la météo le permet, on fonce quelques heures en forêt pour façonner son bois de chauffage, ou l’on taille les haies vives, lesquelles poussent chaque année un peu plus vite. Ceci dit, les agriculteurs adeptes de la tronçonneuse ne sont plus très nombreux, pratiquement absents parmi la jeune génération, laquelle a mieux à faire que de gaspiller son énergie à abattre des arbres, les ébrancher, fendre les grosses bûches, ramener tout cela à la maison et les empiler ! Ça ne rapporte rien, si ce n’est du plaisir aux Ardennais de la vieille école, hommes des bois autant qu’hommes des champs…
Non Monsieur, non Madame, on n’arrête pas de bosser en décembre, pas plus que durant les autres mois de l’année ! Car pour les agriculteurs, le travail fait partie de l’hygiène de vie au même titre que la respiration ou l’alimentation. On nous l’a inculqué dès nos premiers vagissements, non par la contrainte, mais par l’exemple. Voir ses parents heureux d’accomplir de multiples tâches encourage l’enfant à les imiter ; au même titre, si Papa et Maman glandouillent du matin au soir, le bambin agira comme eux quand il sera grand et se complaira dans l’inaction. Chacun son truc !
Le gène « travail » fait partie de notre ADN, au point de nous rendre complètement accrocs à celui-ci et provoquer du « bore-out » (inverse du burn-out) en cas d’inactivité forcée. Devenus vieux, les fermiers en incapacité physique se laissent mourir d’ennuis, s’ils ne se trouvent pas une petite occupation utile pour utiliser leurs mains ou leurs doigts. C’est fou ! Le travail est vital pour les paysans. Il n’y a pas si longtemps en mai, j’ai vu un agriculteur septuagénaire à quatre pattes dans sa prairie, occupé à essayer de déterrer des racines de rumex à l’aide d’une serfouette de jardin. Il était en phase terminale de son cancer, et usait ses dernières maigres forces à gratter le gazon ! Ce soir-là, il s’est endormi pour toujours dans son fauteuil avec de la terre sous ses ongles, le sourire aux lèvres et le cœur en paix. Le travail est un art de vivre pour les agriculteurs ; chez d’autres personnes aussi, sans doute. Mais pour pas mal de gens, c’est une punition, un purgatoire sur Terre, quand ce n’est pas un enfer… Alors, ils cherchent à y échapper tant qu’ils peuvent. Le vendredi, ils ne se sentent plus de joie à l’idée d’être en congé les deux jours suivants, et dès le dimanche midi, ils dépriment à l’idée de devoir reprendre le collier le lundi matin. Je les plains de tout cœur ! Je comprends leur mal-être ! Certains métiers n’ont rien d’épanouissant ; ils sont pénibles, insalubres, peu gratifiants, très mal payés. L’ambiance de travail y est quelquefois détestable entre collègues. Il existe 36 bonnes ou mauvaises raisons pour détester son job…
Pourtant, pas le choix, faut y aller ! Le gouvernement fédéral Arizona s’est lancé dans une improbable croisade contre les inactifs, les chômeurs et malades de longue durée et tous ceux qui « profitent » des aides sociales. L’offensive est brutale et populiste, et dégage des relents d’extrême droite. Moi qui n’ai jamais chômé un seul jour n’envie pas le sort des gens allergiques au travail, malheureux au boulot, ou jetés au rebut car ils ne rapportent plus assez à leurs employeurs, quand ils sont trop vieux et plus assez productifs. La vie est une dure lutte pour d’aucuns. Mais qui suis-je pour critiquer les décisions de nos géniaux et avisés politiciens, bien plus malins que moi ?
C’est drôle ! Comment mettre tout le monde au travail quand la robotisation des machines-outils a remplacé des foules d’ouvriers ? Alors que la motorisation et la mécanisation poussent un tas de gens à la porte des usines et des entreprises, y compris hors des fermes ? Impossible inéquation à plusieurs inconnues ! Comment créer de nouveaux postes, à l’heure où l’Intelligence Artificielle envahit peu à peu toutes les sphères intellectuelles et les administrations, apprend à effectuer avec célérité et efficacité toutes les tâches informatiques de bureau, sauf vider la poubelle ? L’IA sait tout faire et vaut à elle seule une armée de fonctionnaires et d’employés ; elle est bien plus docile que ceux-ci, et coûte infiniment moins cher. À terme, elle aura tout conquis ! Les usines, les exploitations agricoles, les hôpitaux, l’enseignement, les banques. Alors, je ne sais trop s’il sera possible de trouver du travail pour tout le monde. En attendant, chouette !, j’ai chez moi du boulot pour m’amuser, tant que je veux !





