Courrier des lecteurs :la destruction d’un trésor
Jeudi dernier, j’ai été sidérée. C’est le mot. Je suis restée scotchée sur mon téléphone à regarder un semi-direct d’une confrontation hallucinante. D’un côté, les forces de l’ordre qui déployaient des moyens hors normes pour pénétrer dans une ferme protégée par… une poignée de paysans. Dans le ciel, les fumigènes pleuvaient depuis les hélicoptères sur des hommes et des femmes, qui leur criaient leur désespoir. Le tableau était tristement parfait, nous avions là une métaphore du rapport de force qui oppose actuellement l’Europe, qui de sa superbe hauteur n’a d’yeux que pour le Mercosur, face aux paysans qui eux, ont les pieds sur terre.

Pas plus tard que la semaine passée, quelques dizaines d’agriculteurs et de sympathisants s’étaient bien (naïvement) préparés à protéger une ferme en Ariège : arbres couchés, routes ouvertes avec le bull de la ferme, petits incendies de pneus ou de paille. Leur but ? Protéger un cheptel de 207 vaches où un foyer de DNC avait été détecté. Depuis la découverte de la vache infectée, l’agriculteur l’avait isolée et confiné le reste de son troupeau qui ne présentait pas (encore) de symptômes de la maladie. Bien que cette dernière mesure n’aurait pu porter ses fruits à cause du vecteur de transmission du virus, les mouches entre autres, nul doute que les bonnes intentions étaient là. On y reviendra mais là où ma mâchoire s’est décrochée, c’est quand j’ai vu les forces de l’ordre se battre contre les paysans, avec des équipements qui dépassent l’entendement. Le lendemain matin, les journaux ont commencé à en parler en résumant l’événement en quelques phrases. La dernière info qui a clos le sujet, à la façon des services d’équarrissage : l’abattage des 207 bovins a démarré. Fin de journée, il n’y avait plus de bêtes, plus de ferme, plus de paysan.
La seule chance de cet événement, si tant est qu’il y en ait une, c’est d’avoir été viral sur les réseaux sociaux avec plus de 8 millions de vues selon l’auteur d’une des vidéos. Depuis, de plus en plus de voix s’élèvent, y compris du côté des personnalités politiques alors que cette scène se produit quotidiennement en France depuis le 29 juin 2025, date de la première notification de la DNC. Selon certaines sources, on serait déjà à plus de 3.000 bovins euthanasiés, avec à chaque fois une poignée des bêtes infectées par le virus, contre l’autre écrasante majorité indemne.
Pourquoi regarder ce qu’il se passe dans le sud-ouest de la France si en Belgique on est (encore) épargné ? Parce que la maladie se répand telle une tache d’huile, avec une progression lente mais bien certaine. Et surtout, le plus alarmant selon moi, c’est son mode de propagation : des piqûres d’insectes, principalement via les mouches et les taons. Voyez-vous, j’ai cette désagréable sensation qu’on revit un peu la même période calme avant la tempête, où la FCO ne touchait que les Pays-Bas qui étaient dépassés par la maladie. On regardait ça de loin et il n’a fallu que de quelques semaines de beau temps au printemps pour que la Belgique s’affole à son tour.
Avant de poursuivre, qu’est-ce que la dermatose nodulaire contagieuse ? Cette maladie touche exclusivement les bovins et se caractérise par une poussée de fièvre, un abattement de l’animal, une perte d’appétit… Tous des symptômes qui rappellent ceux de la FCO à la différence que la DNC provoque également des nodules durs sous la peau, mais aussi sur les muqueuses et sur les organes. Ceux -ci peuvent provoquer des œdèmes et des ulcères, que vous avez sans doute déjà vu sur des photos illustrant la maladie. L’éleveur ou plus largement, les citoyens, ne risquent rien car cette maladie n’est pas transmissible à l’Homme. Bien que la maladie soit grave, avec une souffrance importante pour l’animal, toutes les sources d’information confondues concèdent à dire que la mortalité ne dépasse pas les 10 %. Il y a un risque évidemment que l’animal porte des séquelles de son infection, avec une diminution de sa production laitière, des troubles de la reproduction et des cicatrices dues aux nodules.
Je ne suis pas vétérinaire, alors mon raisonnement pourrait paraître naïf et simple, mais encore une fois, je ne vois pas de différence notable entre la DNC et la FCO. Les symptômes sont à peu près les mêmes, mis à part les nodules. Les vecteurs de transmission sont identiques et contrairement à la DNC, la FCO a un taux de mortalité bien plus élevé. Les séquelles de ces deux maladies sont également identiques. Alors pourquoi est -ce que l’année passée on a soutenu nos animaux qui subissaient de plein fouet un genre de « covid-animalier » à coups de Tolfin (sorte de paracétamol pour animaux) et que cette année, on n’y va pas par quatre chemins, on applique l’éradication immédiate dictée par l’Europe ?
Car oui, ne sachant pas s’il y a une différence significative au niveau santé animale entre la FCO et la DNC, j’ai compris que l’Union européenne elle-même faisait une différence en classant ces deux maladies dans des catégories distinctes. Selon la loi européenne sur la santé animale, la FCO est catégorisée classe C car elle peut se réguler par vaccination et surveillance, tandis que la DNC est catégorisée en classe A car elle considère cette maladie comme étant grave et a rendu toute notification obligatoire. Autrement dit, les services vétérinaires ou autres, ont l’obligation légale de déclarer le foyer, s’ensuivra ensuite un abattage dans les plus brefs délais de l’ensemble du troupeau. Mais il existe un vaccin… Encore une fois, même ici, je ne comprends pas ce qui justifie cette catégorisation qui semble de plus en plus être le résultat d’un choix singulier.
Face à la multiplication des cas et devant ces euthanasies massives, les voix s’élèvent et on commence à se poser des questions. Est-ce qu’un protocole aussi extrême est-il réellement justifié ? Car même si les agriculteurs sont indemnisés de leur perte, l’abattage d’un troupeau constitue un drame. Outre le traumatisme généré auprès de l’éleveur qui a une relation particulière avec ses animaux, il ne saurait même pas se reconstituer un troupeau pour la simple et bonne raison qu’il n’y a plus de bovins à acheter. Depuis, en effet, la disparition progressive des fermes, des pertes dues récemment à la FCO… le secteur est en crise avec des prix encore jamais atteints sur les quelques rares bovins qui arrivent au compte-goutte sur le marché. Maléfique hasard du calendrier, l’Europe espère pouvoir signer l’accord du Mercosur avant les fêtes de cette fin d’année. Il n’en fallait pas plus pour raviver cette colère que les agriculteurs ont mise de côté depuis deux ans, quasi jour pour jour, après les manifestations en janvier 2024. Aujourd’hui, dans les rues de Bruxelles, une partie des paysans n’ont plus d’animaux, une autre n’a plus de trésorerie. Fatigués, ils n’ont plus rien à perdre alors que l’Europe à tout y gagner. Oui, elle qui par cupidité s’est rendue aveugle et ne voit même plus son propre trésor : une armée d’agriculteurs et d’agricultrices qui ne demande qu’à assurer sa souveraineté alimentaire.





