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Courrier des lecteurs : planter à la Sainte-Catherine?

Sainte-Catherine avait-elle la main verte et marieuse ? Lors de sa fête le 25 novembre, tout bois prend racine, paraît-il ; de plus, autrefois, les filles célibataires âgées de plus 25 ans venaient la prier et coiffaient sa statue d’un petit fichu blanc pour attirer ses bonnes grâces, les aider à se trouver un mari. À l’heure d’aujourd’hui, les jeunes femmes de la « Génération Z » s’en fichent comme de leur première dent de lait ! Elles n’y songeront que bien plus tard.

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Voilà donc notre Sainte-Catherine d’Alexandrie reléguée dans son unique rôle de planteuse d’arbres ! C’est déjà un boulot à temps plein, il est vrai, car les forêts et les zones arborées disparaissent de manière affolante à travers le monde : par les abattages sauvages, par le feu et les défrichages, lors des incendies dus au réchauffement climatique… Et justement, pour contrer celui-ci et diminuer la quantité de gaz carbonique dans l’atmosphère, les bois ont un grand rôle à jouer, clament à cor à cri les défenseurs de l’environnement.

Depuis 1983, la Région wallonne organise et subsidie fort à propos la Semaine de l’Arbre, lors de laquelle certaines communes offrent des plants. La gratuité de ceux-ci ne sera pas reconduite lors des années prochaines, car la RW n’a plus de sous… Il fallait donc en profiter lors de cette édition, et je ne me suis pas fait prier ! Il y a de la Sainte-Catherine dendrophile en moi (pour le côté « bois qui prend racine »), et je suis allé me fournir généreusement en petits arbres de toutes sortes. La haie fleurie était à l’honneur en 2025 : pommiers et poiriers sauvages, viornes obier et lantane, aubépines, prunelliers, noyers sauvages, bourdaines, cornouillers sanguins, cerisiers à grappe…

Ces espèces ne sont pas les championnes du captage de CO2, mais elles offrent aux insectes butineurs une provende très généreuse en mai et juin, et une fructification abondante en automne. C’est un peu le « lunch garden » des oiseaux et des petits mammifères en hiver, et leurs ramures fournissent des abris clés sur porte à des myriades de petits animaux ! Que du bonheur pour la biodiversité !

En bons agriculteurs soucieux de rentabilité, vous me direz : «  M’enfin ! Qu’est-ce qu’on s’en fiche des p’tits z’oiziaux, des chauves-souris et des musaraignes ! Les abeilles n’ont qu’à butiner le colza et les trèfles de toutes les couleurs ! Une haie vive vous fait perdre une bande de deux mètres de bonne terre. Ça chiffre vite. Ensuite, il faut l’entretenir, la tailler, la protéger… Et puis quoi encore ? C’est pas écrit « benêt bénévole » sur nos fronts. On n’a pas que ça à foutre. Nos ancêtres ont coupé et déraciné tous les arbres pour cultiver, et il faudrait en replanter pour faire plaisir aux Verts et donner plus ou moins bonne conscience aux Roses et aux Bleus ? Ça va pas, la tête  ? ».

Que répondre à cela ? Il existe des Mesures Agro-environnementales, des Éco-régimes pour pallier ces soi-disant pertes qui n’en sont pas vraiment, car les haies vives présentent de multiples avantages : abri pour le bétail, fourrage en été, effet brise-vent pour les cultures et meilleure pollinisation, beauté du paysage, chouette image de marque de l’agriculture… Bon, OK, je vous entends d’ici : «  Qu’est-ce qu’on s’en fout, de ces petites aides financières misérables ! Déjà qu’on nous fait ch(…) avec la conditionnalité, Natura 2000, PGDA & Cie ! Ces haies fleuries, eh bien les Verts peuvent se les mettre où je pense…  ».

Dieu merci, tous les agriculteurs ne raisonnent pas de la sorte. Le Sillon Belge a proposé ces dernières semaines de passionnants articles sur la populiculture et l’agroforesterie. Jouer les Sainte-Catherine planteuses d’arbres n’est pas aussi naïvement idéaliste qu’on pourrait le penser, mais fort utile à bien des sujets. Bien sûr, pour stocker un maximum de gaz carbonique, on pourrait sans doute choisir également des espèces plus imposantes, des arbres en zones humides par exemple, saules et aulnes, le long des ruisseaux et des plans d’eau.

Les régions de grande culture n’ont pas toujours été chauves comme des œufs. La sylve était partout, avant l’arrivée de l’homme et de son agriculture. Notre Ardenne fut couverte de forêts broussailleuses jusqu’à l’An Mille, puis les défrichements réduisirent à presque rien ces massifs boisés. Vers 1400, l’Ardenne n’était plus qu’une vaste et pauvre lande où paissaient des moutons, croissaient les genêts et les épineux. Puis elle fut enrésinée d’épicéas à partir de 1850. Jusqu’à la guerre 1914-18, les prairies étaient entourées de haies d’aubépines en guise de clôture. Puis celles-ci furent arrachées au fil des générations.

Les haies vives ont disparu de nos campagnes ! Elles ont subi un sort comparable à celui des petits paysans défrichés au profit des « exploitants agricoles », d’aujourd’hui. Les parcelles ont été regroupées lors des remembrements, et les reliquats de haies vives déracinées sans état d’âme… Et puis, le balancier est reparti de l’autre côté, quand on s’est rendu compte de la valeur de ces alignements de petits arbres sympathiques, fleuris au printemps et chargés de fruits en automne, refuges et garde-manger d’une faune très diversifiée.

La petite sainte d’Alexandrie ne marie plus les jeunes dames… Elle s’est recyclée dans l’écologie, et nous invite à planter des arbres. On ne va tout de même pas planter là Sainte-Catherine ?

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