Courrier des lecteurs : de l’espérance à l’amour
Si dans les prochains jours, vous avez envie de vous promener dans les cantons de l’Est, ne soyez pas surpris d’y découvrir des maisons très soignées, qu’elles soient anciennes ou modernes. Tandis que certaines façades afficheront en fer forgé des mots de bienvenue « Wilkommen » ou même des extraits de poème, vous constaterez que toutes les fenêtres sont garnies de voiles, en plus des rideaux.

Peut-être que les plus jeunes lecteurs ne savent déjà plus ce que sont ces voilages, qui permettent de voir ce qu’il se passe à l’extérieur, sans en dévoiler l’intérieur. Mais ici, au lieu de faire toute la hauteur de la fenêtre, ces voiles ont des formes ornementales et recouvrent la vitre à la manière d’un lourd et soyeux rideau de théâtre, repris de chaque côté par un cordon. D’ailleurs, à la nuit tombée, telle que sur une scène, vous y verrez la lumière d’un chandelier à sept bougies. Les portes d’entrées sont également décorées d’une couronne de Noël composée de branches de sapin, pommes de pin et autres beautés de la nature. Si vous en avez l’opportunité, vous la verrez également à l’intérieur des foyers, posée souvent sur la table basse du salon, cette fois-ci ornée de quatre bougies rouges. Depuis un peu moins d’une semaine, seule une bougie est allumée tous les soirs. La seconde le sera dimanche prochain et ainsi de suite pour la troisième et la quatrième. Bienvenue dans l’ère de l’Avent. Alors non, je ne vous parle par de ces fameux calendriers avec vingt-quatre cases qu’on a essayé de nous vendre par tous les moyens ces deux derniers mois et qui maintenant sont en promotion puisqu’ils ne sont déjà plus d’actualité.
Ma famille étant à cheval sur les deux cultures, tant au niveau identitaire que géographique, on peut facilement témoigner que les fêtes religieuses sont encore célébrées à l’identique que les siècles passés, grâce aux souvenirs d’enfance de nos aïeuls. Effectivement, encore aujourd’hui, la tradition reste plus forte et résiste au monde de la consommation. Pour le dire plus franchement, pas de cadeaux à toutes les occasions. Nul doute, la communauté germanophone a conservé une tradition authentique dans la célébration des fêtes qui rythment l’année. Authentique car même à Louvain-la-Neuve, j’ai déjà vu un cortège d’une demi-douzaine d’étudiants parcourir les rues estudiantines en chantant « Sankt-Martin » munis de leur lanterne au milieu de la mêlée qui ne s’est même pas retournée, les ayant sans doute pris pour un énième événement réservé au baptême des bleus. Il n’en était rien.
Alors je vous arrête tout de suite, je n’ai pas été sollicitée par l’église pour lui faire un peu de publicité. C’est bien le dernier sujet sur lequel je me serais lancée dans l’écriture d’une chronique et pourtant… Tout a commencé la semaine dernière. J’ai reçu dans le sac de mes deux garçons au total quatre papiers m’invitant à la messe pour célébrer le premier jour de l’Avent. Après avoir laissé ces quatre lettres pour mortes, je recevais cette fois-ci des messages WhatsApp de la part des institutrices, m’invitant (on n’était plus très loin de la convocation) à la soirée. Je tiens bon car j’avais décidé d’avance que j’allais être fatiguée le samedi soir et que je n’avais vraiment pas l’énergie d’aller à une messe. Vingt-quatre heures plus tard, je me retrouve mal assise sur un banc à écouter tous les enfants de l’école jouer une pièce d’une demi-heure : les rois mages, Jésus, Marie, Joseph et tout le tintouin. La veille, leur papa s’était fait harponner par une Oma du village pour nous donner rendez-vous le lendemain. Là, pour le coup, on était convoqués. Quand la Oma vous dit de venir, je peux vous assurer que ça file instinctivement droit !
Je suis donc sur ce banc trop étroit, m’obligeant à rester droite au risque de tomber sur les genoux alors qu’il en fallait si peu pour que ça se produise. J’aurais eu l’air bien pieuse et pourtant, je venais de soigner toutes mes bêtes en plus d’avoir nettoyé l’ensemble de mes poulaillers. J’avais mal partout, alors comme ultime effort, j’ai mis un vieux pull confortable et des chaussures sans lacets. Autour de moi, l’église était pleine à craquer et de surcroît, tout le monde était endimanché. Toutes les grands-mères venaient de faire leur permanente avec une mise en pli parfaite, les mamans avaient aussi des cheveux sublimés par un brushing et des baskets encore blanches. Mes cheveux ressemblaient à du foin et mes chaussures étaient salies par la boue. Tout ça n’avait pas l’air réel, comme si mes verres de lunettes s’étaient parés d’un filtre. Je vérifie sur mon téléphone qu’on n’est pas un 24 décembre au cas où j’aurais été victime d’un court-circuit dans mon cerveau. Non, on est bel et bien un simple 29 novembre.
Alors me voilà, complexée, à assister à la célébration du premier jour de l’Avent, ne sachant finalement plus très bien à quoi correspondent les quatre bougies. Vous commencez à me connaître, j’ai fait ma rapide petite recherche. Les quatre bougies de l’Avent symbolisent les quatre dimanches de préparation à Noël. Elles représentent quatre thèmes spirituels : l’Espérance, la Paix, la Joie et l’Amour. Chaque bougie est allumée progressivement d’un dimanche à l’autre jusqu’au 25 décembre. Dit comme ça, c’est un peu court comme explication, mais c’est fait exprès car le but n’est pas d’entamer un cours liturgique.
Je m’étais préparée à vous écrire sur l’Agribex, les pesticides ou autre actualité de ce journal. Puis finalement, qu’on soit croyant ou pas, ça n’a pas d’importance : j’aime beaucoup cette tradition de prendre le temps en fin d’année de célébrer en son for intérieur ces quatre thématiques. Chaque année est différente, l’une n’étant jamais plus facile ou plus difficile qu’une autre. Les défis, qu’ils soient la sécheresse, la pluie, les maladies et autres nous amènent notre lot de réussites et d’échecs, de moments de joie et de tristesse. Là récemment, je me suis mise à prier devant ma culture d’épeautre qui n’a pas (encore) germé, l’espoir est permis vu que nous sommes justement dans la semaine de l’Espérance. Puis j’imagine qu’étant donné que la seule patronne dans tout ça, c’est la mère nature, il faut savoir lâcher prise et être en Paix avec son travail, considérant qu’on a fait de notre mieux et qu’on fera encore mieux l’année prochaine. Dans le prolongement, j’imagine qu’on ressent ensuite la Joie à l’idée de clôturer cette année et d’en entamer une nouvelle, le renouveau où tout est possible. Après ce cheminement, on termine sur l’Amour qu’on porte aux gens et animaux qui nous entourent. C’est très philosophique tout ceci mais le travail d’agriculteur n’est-il pas en soi un métier philosophique ? L’agriculture nous pousse à avoir une réflexion poussée sur le vivant, à justifier le rôle des animaux d’élevage dans l’écosystème. À démontrer à quel point elle est maîtresse pour préserver l’équilibre de notre société et préserver la santé de nos enfants.





