Accueil Cultures

Johan Colpaert, président de Fedagrim: «Il faut repenser l’agriculture à un niveau fédéral!»

Le lancement du pacte pour une agriculture équitable et viable a eu lieu lors des deuxièmes États Généraux au mois de novembre à Louvain-la-Neuve (voir le Sillon Belge du 17 novembre). En 10 points, la Fédération Belge des Fournisseurs de machines, bâtiments et équipements pour l’Agriculture et les Espaces Verts asbl, propose des recommandations pour une politique en faveur de l’agriculture. Depuis lors, les idées ont mûri. Qu’en retire Johan Colpaert, président de ladite fédération Fedagrim ?

Temps de lecture : 9 min

Le pacte agricole est lancé. Diverses idées ont été émises. Quelles sont les réactions, notamment à propos d’une idée de banque de terres ou banque foncière ?

Johan Colpaert : Globalement, les réactions que nous avons reçues sont positives, et cela non seulement de la part de nos propres clients, mais également d’entreprises apparentées. En France, il existe les Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), qui s’apparentent à des banques foncières à l’échelle régionale, voire départementale. Cette problématique de l’accès aux terres agricoles est également en discussion aux Pays-Bas. Il est question d’en prendre le bon et d’affiner. Nous devons en tout cas entreprendre quelque chose en Belgique. Un exemple : on vient de vendre des terrains agricoles dans la région de Bruges pour une valeur de 100.000 euros par ha. Cela n’a plus de sens. Il faut en discuter. Fedagrim ne doit pas prendre le leadership dans ce débat, mais la fédération est prête à servir de point de rencontre pour amorcer le mouvement.

Les sentiments étaient mélangés, lors des états-généraux précédents, sur le rôle pris par Fedagrim. Certains se sont sans doute estimés mis sur le côté. Des organisations agricoles, comme le Boerenbond, étaient ostensiblement absentes.

Je concède volontiers que j’avais peut-être au départ formulé les choses de façon un peu polémique. Mais cela découlait concrètement des résultats de notre enquête auprès des agriculteurs. Par ailleurs, certains aspects sensibles ont été ressentis personnellement de sorte que certains ont préféré s’abstenir. Après coup, c’était inutile. Il est clair que les organisations agricoles sont au centre de la thématique, à savoir faire en sorte que l’agriculture reçoive une place plus élevée qu’aujourd’hui, mais celle qu’elle mérite au sein de la société. Je suis par conséquent convaincu que nous pouvons très bien collaborer avec les syndicats.

Mais on peut comprendre aussi que vous voyez plus loin, que vous recherchez au-delà des organisations agricoles.

Nos membres voient leur clientèle diminuer, année après année, et il en résulte un chiffre d’affaires en baisse en agriculture par rapport à il y a dix ans. En 2017, les constructeurs de tracteurs vendront au final 30 % de tracteurs en moins qu’au début des années 2000. Les engins sont peut-être plus puissants, mais leur effectif décline. La tendance est similaire pour les fabricants d’aliments, le commerce des engrais et de produits phytos. Enfin, l’industrie est confrontée à de moins en moins d’agriculteurs. Le phénomène suivant est possible. Que va faire l’industrie de la frite s’il y a moins de planteurs de pommes de terre ? Va-t-elle devenir plus dépendante encore des importations de tubercules de France ou d’Angleterre alors qu’elle peut aujourd’hui s’approvisionner localement avec la meilleure qualité ? D’où notre appel à ce que ces maillons de la filière agricole rejoignent le débat à mener en commun.

Contraintes excessives

Les exploitations qui poursuivent leurs activités s’agrandissent, et leur surface augmente.

Il paraît logique qu’un recul du nombre des fermes s’accompagne d’un transfert de terres vers celles qui poursuivent, mais ce transfert n’est pas complet. De fait, la surface agricole utile connaît aussi un repli. En 35 ans, la surface agricole utile (cultures et prairies) dans la région de Bruges a régressé de 1.850 ha, soit près de 30 %, au profit des habitations, de l’industrie et de zones portuaires, de la nature, de bois et de zones récréatives… Il y a là aussi une menace.

Les machines agricoles sont de plus en plus puissantes et complexes. Les étables doivent émettre très peu d’ammoniac. Cela procure aussi des possibilités pour le secteur de la construction et de l’équipement.

La question de l’émission d’ammoniac par les stabulations pose problème dans le nord du pays, et cela génère des activités pour les entreprises concernées. Mais construire de telles étables coûte nettement plus cher, de sorte que certains investissements sont remis à plus tard, quand ils ne passent pas aux oubliettes. En 1980, on vendait en un an 5 étables sur une même commune, aujourd’hui on en serait plutôt à une stabulation nouvelle sur 5 communes.

Les Verts prônent une solution « très simple » : détenir moins d’animaux. En Wallonie, les autorités sont en faveur de l’agriculture biologique.

L’agriculture biologique offre certainement des opportunités, mais affirmer que c’est la seule solution d’avenir pour une agriculture rentable, c’est se bercer d’illusions. Il n’y a pas de solution universelle miracle. Il y a plusieurs modèles possibles, et ils peuvent coexister : les filières courtes, le bio, une forme agriculture plus industrielle… Si nous nous lançons tous dans les filières courtes et le bio, on sera vite à la (sur)saturation. Les entreprises de type plus industriel génèrent de nombreux emplois de même que des possibilités d’exportation.

Parler aussi

des sujets sensibles

Mais les autorités ont malgré tout un pouvoir d’influence ?

Peut-être, mais tout agriculteur doit être libre de choisir son propre modèle d’activité. Il n’est pas question d’être « anti ». J’ai des clients qui, de Wallonie, ont déménagé en Flandre. Ils avaient des projets pour des bâtiments de 200 vaches, mais ils ont été étouffés dans l’œuf parce que considérés comme trop industriels. Essayez de construire une porcherie ou un poulailler en Wallonie, cela ne réussit presque jamais. Dans le sud du pays, il y a des dizaines d’exploitations agricoles qui veulent investir, mais elles ne le peuvent pas.

«L’agriculture offre plus d’un visage. Il n’y a pas la solution universelle miracle. Plusieurs modèles peuvent coexister: les filières courtes, le bio, une forme agriculture plus industrielle…», soutient le président de Fedagrim.
«L’agriculture offre plus d’un visage. Il n’y a pas la solution universelle miracle. Plusieurs modèles peuvent coexister: les filières courtes, le bio, une forme agriculture plus industrielle…», soutient le président de Fedagrim. - M. de N.

Le pacte pour une agriculture équitable et viable traite peu de la thématique du lisier dans notre pays. Mais il estime que ce n’est pas une bonne idée de vouloir systématiquement enfermer un produit dans une filière locale.

C’est d’ailleurs pourquoi nous plaidons pour que la compétence politique de l’agriculture retrouve le niveau fédéral. La politique à propos du lisier en Flandre constitue une vision à courte vue pour résoudre une problématique sur le plan local, alors que la solution serait bien moins coûteuse à plus grande échelle. Nous sommes un si petit pays. Si un éleveur de porcs en Flandre-Occidentale dispose de quantités excessives de lisier, et qu’une exploitation en Wallonie est demandeuse pour le valoriser, cet engrais de ferme pourrait utilement rejoindre la Wallonie. Les deux parties sont gagnantes et le coût total est diminué. En nous refermant sur nos petites régions, nous augmentons les coûts. Je sais que cette matière est délicate sur le plan environnemental et politique. Mais est-ce parce que les choses sont sensibles qu’on ne peut pas en parler ?

Les membres de Fedagrim sont-ils eux aussi structurés en fonction de la frontière linguistique ou travaille-t-on au plan national ?

Avant tout, nous sommes une organisation neutre et nationale, nous ne sommes pas liés politiquement ou syndicalement. Nos membres opèrent au niveau national ou au niveau régional. Nous constatons bien une consolidation chez les concessionnaires, mais avec un ou deux concessionnaires par province, éventuellement épaulés par des sous-concessionnaires. Certains se sont entre-temps tournés vers des secteurs différents de l’agriculture ou ont été absorbés. Un certain nombre d’acteurs, plus spécifiquement dans la fabrication d’aliments du bétail, optent pour une approche plus régionale. Ils délaissent Agribex, ce que je regrette. Mais nous devons respecter chaque décision, et je comprends leur raisonnement. Par ailleurs, Agribex est la seule foire située au centre du pays et elle attire des visiteurs de toute la Belgique et des pays voisins. Et la location du stand chez Agribex est souvent moins chère que certaines foires régionales en Belgique.

Il y a trop de foires et salons !

N’avons-nous pas finalement trop de foires ?

Je trouve en effet très dommage que nous soyons autant dispersés. Potato Europe, Agriflanders, journée de l’herbe, journées de la mécanisation, journées de la volaille, des foires régionales ici et là, des foires locales ailleurs. Je veux faire un appel à tous les organisateurs de foire. Les firmes ne pourront pas à terme continuer à payer la participation aux foires à partir de leur budget marketing. Là aussi, il faudra, un jour ou l’autre, qu’une consolidation intervienne.

Une foire moderne doit-elle cibler des groupes spécifiques, comme c’est le cas avec les planteurs de pommes de terre pour Potato Europe ? Les foires agricoles n’ont-elles pas aussi un rôle à jouer par rapport au grand public ?

Il existe, plus souvent qu’ici, des foires bien ciblées dans les pays environnants. À titre personnel, je ne pense pas que celles-ci présentent sur le plan sociétal une valeur ajoutée pour le secteur agricole.

Pour Agribex, vous avez voulu faire le lien avec le grand public par des « roadshows » sur les grands parkings de Carrefour. Qu’en avez-vous retenu ?

J’ai été très agréablement surpris par l’impact de ces rencontres. Nous avons été accueillis à bras ouverts partout où nous avons présenté le salon. Les citoyens ont réagi de façon émerveillée sur les réalités de notre agriculture aujourd’hui. Le consommateur reconnaît les valeurs de ce métier, même s’il en est fort éloigné. Ce qui m’a également frappé, c’est l’importance que ladite enseigne accorde à la mise en valeur des produits locaux. Un contact en direct est beaucoup plus puissant qu’un produit exposé en rayons. C’est un message important pour ceux qui veulent mettre en avant l’image « belge ».

Fedagrim est une fédération, pas seulement un organisateur de salon agricole, elle défend aussi des intérêts. Comment fait-elle la différence pour ses membres ?

Nos membres sont confrontés à une problématique récurrente, à savoir comment faire pour attirer les bons profils techniques. Comment pouvons-nous rendre les missions de technicien agricole plus attrayantes pour que les jeunes techniquement doués ne s’orientent pas préférentiellement vers le secteur de l’automobile ou d’autres domaines plus médiatisés ? Il y a également un autre dossier dans lequel nous sommes fortement impliqués. Dans les porcheries à faible émission d’ammoniac, nous constatons parfois de grandes concentrations de gaz « mordants », et les produits en béton n’y sont pas tout à fait adaptés. Cela peut même poser des problèmes de santé chez les personnes. En outre, certaines techniques de réduction de l’ammoniac ne sont pas toujours aussi efficaces en pratique par rapport à ce que promet la théorie. C’est une problématique que nous suivons également de près.

D’après IDC

A lire aussi en Cultures

Mieux valoriser l’azote en culture de pommes de terre

pommes de terre Belfertil et Belgapom ont uni leurs efforts pour proposer aux producteurs et conseillers un nouveau site web centré sur la fertilisation durable de la pomme de terre. Celui-ci regorge d’informations et conseils pratiques pour optimaliser l’efficacité de la fumure.
Voir plus d'articles