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Ferme connectée: la gestion des données,entre nouveaux modèles économiques et coopératifs

Si la ferme connectée peut être porteuse de promesses, elle se révèle encore pourtant génératrice de stress. Des ajustements sont donc nécessaires, et notamment au niveau des notifications et des données qui transitent entre exploitations et nouveaux prestataires de services. Mais bien plus que de simples paramétrages, ce sont de nouveaux modèles économiques qui se cherchent. C’est là que l’ensemble des éleveurs doit se mobiliser pour bénéficier de la plus-value de leurs données.

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«  Les principaux enjeux de la ferme connectée ? Remettre l’agriculture de précision au goût du jour et la rendre possible par la mise en place de capteurs dans les exploitations. Ceux-ci permettent, notamment, d’améliorer les performances à l’échelle de l’exploitation et une protection de l’environnement, en optimisant au mieux les processus, en diminuant les intrants, en apportant la bonne dose au bon moment », explique Jean-Pierre Chanet, chercheur à l’Irstea dans les domaines de la robotique agricole, de l’agriculture numérique et de la fertilisation de précision.

Pour le chercheur, elle « permet à l’éleveur d’être plus réactif, de piloter plus finement son exploitation et de pouvoir intervenir à bon escient. La technologie ne laisse donc plus de place au hasard et vient en aide à l’agriculteur dans son quotidien. »

Des modèles d’aide à la décision

Avec le numérique, c’est la notion de partage qui fait son apparition. Les données collectées sur les exploitations permettent de créer de nouveaux services. Des plates-formes apparaissent et permettent de mutualiser du matériel entre éleveurs et d’étendre et de démultiplier la notion de coopération, de coopératives…

Mais derrière les termes « ferme connectée », il ne faut rien y voir d’autre que la réunion de 3 mondes : le réel, le numérique, et l’intelligence artificielle. Une convergence qui mène à des modèles d’aide à la décision et à l’intervention.

Nombreux sont donc les acteurs à vouloir se positionner dans ce nouveau segment. Si l’on retrouve des acteurs historiques, comme Lely, Delaval…, l’on en voit converger d’autres hors-secteurs mais qui voient en l’agriculture un potentiel de développement important. L’enjeu est de pouvoir connecter le monde réel au monde numérique et apporter de l’intelligence artificielle sur base de ces données.

Il n’est donc pas étonnant de voir des grands groupes mettre en place des prototypes afin de s’approprier certaines technologies pour les intégrer à d’autres mais surtout pour appréhender les difficultés de récupération des données. « Toutefois, si les applications foisonnent, elles n’arriveront pas toutes à s’incruster dans le paysage agricole », estime le chercheur. La question est donc de savoir comment elles vont prendre place aux côtés de l’éleveur.

L’IA pour augmenter le pouvoir des données

Pour M. Chanet, c’est l’« intelligence artificielle » (IA) qui va apporter les réelles plus-values aux données. Pour l’instant, toutes les données récoltées sont pensées pour une seule application. Tout l’intérêt de l’IA est donc de pouvoir démultiplier le pouvoir de ces données. Vont alors naître des services qui apportent une véritable valeur ajoutée à l’éleveur. On ne compte d’ailleurs plus le nombre de services qui ont été créés à partir d’un simple système d’identification.

« Avec de l’intelligence et de l’imagination, on est capable de démultiplier le pouvoir de ces capteurs ! » Toutefois, il est important de se poser la question quant à ce qui est véritablement utile et qui facilite le travail de l’éleveur. Nombreux sont les produits qui arrivent sur le marché, souvent poussés par des entreprises qui ne voient qu’une opportunité supplémentaire de faire du business. Si le service ne répond pas à un besoin précis de l’éleveur, il est inévitablement voué à disparaître ! Notons que ce n’est pas forcément le capteur le plus sophistiqué qui va apporter le meilleur service ! Et de prendre l’exemple de la boucle d’identification : « Elle apporte de nombreux services pourtant en termes de capteurs, elle ne coûte pas grand-chose. C’est la mise en œuvre de ceux-ci, combinée avec d’autres mesures, qui permettent d’apporter une aide à la décision cohérente et pertinente. »

Mais pour le chercheur, la clé du système ne réside pas dans les capteurs mais bien dans les données récoltées ! Le tout est ensuite de trouver un consensus afin de savoir comment elles sont collectées et ce à quoi elles vont être destinées. L’idée de mutualiser ces données au niveau de l’exploitation, entre les différents éleveurs va permettre de donner une vision d’ensemble sur les différents cheptels, de détecter de manière précoce des maladies, d’avoir des approches plus ciblées en termes sanitaires… « La technologie permet alors une optimisation fine des surveillances et de la gestion des élevages. »

Pas de place pour les gadgets

« Nous vivons dans une société dite « de technologie ». Les applications se multiplient tout autour de nous ! Toutefois, l’éleveur ne peut avoir 15 applications pour gérer son élevage… L’agriculteur doit donc directement se poser la question de la pertinence quant au service qu’elles proposent. L’important pour lui est de mutualiser toutes les infos et avoir un endroit d’où il peut prendre sa décision sans devoir passer d’une application à l’autre. »

Par ailleurs, une question de pérennité de la technologie se pose. En agriculture, les investissements sont à long terme… le rythme des cultures, la vie d’un animal… C’est une question d’années. A contrario, le monde de la technologie, les start-up, travaillent sur du court terme. Une technologie est peut-être vraie aujourd’hui, et obsolète d’ici trois ans…

Leur multiplicité et leur manque de pérennité peuvent donc être un frein à l’investissement et donc à leur adoption.

Des interrogations auxquelles vient se greffer la question de la standardisation. Il est en effet nécessaire que les données soient standards entre les différents acteurs. Pourtant, il reste encore beaucoup de travail pour aller dans ce sens. Si cela a demandé beaucoup de temps dans le secteur du machinisme, cela devrait toutefois aller plus vite pour le secteur de l’élevage. On peut donc limiter ces sollicitations en passant par des plateformes de centralisation des données et de leurs règles de décision qui vont l’accompagner dans sa gestion de l’exploitation.

Les producteurs qui se sont essayés à des outils connectés regrettent souvent recevoir trop de notifications. « Si ces outils ont un sens, on se rend compte qu’adopter ou proposer une technologie n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît. Le paramétrage des outils destinés au milieu agricole doit être affiné pour amener davantage d’efficacité au quotidien. » Car l’objectif premier n’est autre que recevoir des informations fiables afin d’agir directement et efficacement sur le problème. Quant aux alertes, notifications… Il semble préférable de les rediriger vers une plate-forme en vue de les administrer et les redistribuer au sein du portail.

Les modèles traditionnels bousculés

Et d’aborder la question du modèle économique dans lequel inscrire la technologie. « La question est vaste car l’agriculture numérique revisite complètement les modèles économiques traditionnels ! On change complètement d’horizon et de modèle au profit de la notion de services. L’éleveur n’achète plus des capteurs mais des services que rend l’outil. En lieu et place de l’investissement traditionnel, on paie désormais un abonnement. »

Et de poser la question : « Quelle valeur a cet abonnement sachant qu’en plus de le payer, l’agriculteur fournit des données qui vont aider l’opérateur à fournir, étendre ce service, voire même le combiner à d’autres données pour proposer d’autres services. La question est donc de connaître la valeur de ces données et comment l’agriculteur peut en tirer un bénéfice ! »

À titre individuel, la donnée élémentaire n’a pas beaucoup de valeur mais l’ensemble des agriculteurs qui en fournissent en a énormément. Il en veut pour preuve : « La plus-value se situe chez les opérateurs qui gèrent la donnée, le service. C’est eux qui font l’argent ! On peut dès lors se demander comment redistribuer cet argent et comment l’éleveur contribue à fournir ces nouveaux services. C’est ici que la notion de coopération, d’entraide entre agriculteurs prend tout son sens. Je pense qu’il faut revoir les systèmes coopératifs. Il faut que les agriculteurs se posent la question : « comment, coopérativement, gérer ces données et prendre une part de la valeur générée par celles-ci ? » » Pour l’instant ces modèles économiques se cherchent. Chacun à son mot à dire sur la gestion de cette data. « C’est important ! Les éleveurs doivent véritablement s’emparer de cette question. »

Un marché en croissance

Avec toutes les offres de services présentes sur le marché, nombreux sont les utilisateurs à regretter un manque de standardisation entre les données récoltées. L’orateur se veut toutefois rassurant : « Nous sommes dans une phase de croissance de marché où l’on voit certains acteurs vouloir imposer leur standard… Pourtant certains d’entre eux vont disparaître, se réunir, se racheter… Une fois leur nombre stabilisé, c’est celui qui remportera le marché qui imposera son standard. Une pression doit être exercée par les différents acteurs sur les fabricants afin qu’ils puissent faire communiquer leurs systèmes entre eux au risque de ne pas voir le marché se développer au potentiel qu’il pourrait avoir ! »

« Si on prend le cas de l’Isobus, le standard dans les machines, il a mis près de 15 ans à être mis en place… En élevage, on peut penser que cela devrait arriver plus rapidement. »

P-Y L.

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