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La lutte intégrée, une approche de longue date à Gembloux

Au moment de célébrer les 5 décennies du Livra blanc, la bible bien connue des céréaliculteurs, Michel De Proft, expert « ravageurs » au Centre wallon de recherches agronomiques ne manqua pas d’attirer l’attention sur quelques faits marquants… et sur un moucheron « très petit mais costaud » !

Temps de lecture : 7 min

À l’époque du premier Livre Blanc publié en 1967, lorsque l’on parlait de « ravageurs des céréales », ce n’était pas tant à ceux qui s’en prenaient aux cultures que l’on pensait… mais plutôt à ceux qui dégradaient les récoltes entreposées, en les consommant, et en les polluant de leurs déjections et de leurs cadavres : les ténébrions, les charançons, les teignes, quand ce n’était pas les pigeons ou bien les rats.

Aujourd’hui, cette difficulté n’est plus du tout d’actualité dans nos pays industrialisés grâce au perfectionnement des installations de stockage et de séchage des céréales. En ce qui concerne les rongeurs, M. De Proft pointe l’impact majeur des rodenticides anticoagulants : « des molécules dont la découverte a changé la vie des gens, dans les campagnes comme dans les villes. »

Au champ, il y a quelques décennies, les ravageurs de début de culture inquiétaient davantage qu’aujourd’hui : les oiseaux, les limaces, les insectes du sol tels que les taupins, ou encore la mouche grise des céréales tracassaient les céréaliers plus que les déprédateurs de fin de saison. Tous ces ravageurs qui contrarient l’installation de la culture sont toujours bien présents aujourd’hui et ne se privent pas de faire des dégâts, mais moins qu’à l’époque.

La lutte intégrée: nouveau, vraiment ?

Cette atténuation de l’impact des ravageurs de début de culture est due aux progrès de la sélection et du triage des semences, de même qu’aux avancées de la phytotechnie et de la mécanisation qui ont conduit à la levée rapide et régulière des céréales… « Sans en porter le nom, voilà des méthodes de lutte qui constituaient bien déjà une véritable protection intégrée ! »

Des semences de qualité, des semis de qualité : pas besoin donc d’exagérer les densités de semis : les agronomes de Gembloux ont été précurseurs en cherchant à utiliser au mieux le tallage, cette propriété qu’ont les céréales pour ajuster « sans intervention » les densités d’épis. « En comptant sur de bonnes levées et sur le tallage, on s’est donc mis à semer plus clair, et la chimie y a apporté sa contribution. »

Protection de la semence: trop de cibles?

Les premiers traitements de semences – et de loin les plus importants – ont été des fongicides, des « désinfectants », comme on les appelait, qui ont débarrassé celles-ci des germes de carie, de charbon, et d’autres pathogènes.

Contre les insectes tels que la mouche grise ou les taupins, les premiers organochlorés avaient montré une efficacité intéressante dans les essais, mais se sont révélés catastrophiques envers les oiseaux. C’était le cas de l’aldrine ou de la dieldrine : ces produits n’ont jamais été autorisés en traitement de semences. En revanche, des produits organo-phosphorés comme le chlorfenvinphos et le fonophos (à l’époque, Birlane ou Dyfonate), ont été utilisés pendant une quinzaine d’années, principalement contre la mouche grise, avant d’être retirés au profit de la téfluthrine.

Enfin, l’anthraquinone, a été utilisé très largement et pendant des décennies en tant que répulsif envers les oiseaux, et surtout le corbeau freu.

Aujourd’hui, ne subsistent que des fongicides, principalement des triazoles, et un seul insecticide.

« On peut se demander si ces traitements de semences répondaient à un besoin réel, ou bien s’il ne s’agissait pas d’une sur assurance », note Michel De Proft.

Et d’affirmer que « Concernant les fongicides, la désinfection des semences est réellement indispensable. Si l’on s’arrêtait aujourd’hui de traiter, il ne faudrait pas deux ans pour être confronté à de gros problèmes. En revanche, l’anthraquinone a été appliquée à très grande échelle pour prévenir des dégâts d’oiseaux, certes localement sérieux, mais globalement insignifiants. Plutôt que de généraliser un tel traitement de semences, il aurait sans doute été possible de développer une forme de mutualisation du risque, permettant d’indemniser les céréaliers touchés par les dégâts. »

Pucerons de l’épi: incertitudes à foison

Le Livre blanc était à peine lancé qu’une pullulation spectaculaire de pucerons de l’épi a été observée dans tout le pays. C’était en 1968. Elle a également touché les pays voisins, et fut le départ de travaux importants visant, d’une part à déterminer des seuils de tolérance (lutte intégrée), et, d’autre part, à modéliser la dynamique de populations de pucerons.

Ces travaux de modélisation ont été menés pendant de longues années, notamment à Gembloux, mais sans succès décisif : dans la « grande machine à produire des pucerons », il y a trop de phénomènes biologiques complexes, trop d’interactions entre les espèces concernées. Une seule chose est sûre : la dynamique des pucerons est essentiellement fonction de l’efficacité de leurs parasitoïdes, de leurs prédateurs et de leurs mycoses.

Forte poussée de jaunisse nanisante

La fin des années ‘80, mais surtout les années ‘90, a vu une aggravation considérable de la jaunisse nanisante. Il y a 50 ans, cette virose n’était quasiment pas connue en céréales d’hiver, et pour une raison toute simple : les quelques plantes infectées au cours du printemps se desséchaient en été, et les virus qu’elles contenaient ne pouvaient pas se propager.

L’essor de la culture du maïs a totalement changé la donne. En effet, cette plante est en plein développement pendant la période séparant deux saisons céréalières, et constitue le relai (le réservoir) idéal pour le virus de la jaunisse nanisante… et pour ses pucerons vecteurs.

En juillet, les pucerons quittent les céréales moins hospitalières et migrent vers les parcelles de maïs. En octobre, le maïs est sénescent, et les pucerons trouvent refuge dans les céréales. Sauf rupture dans ce cycle, l’épidémie peut s’amplifier d’année en année, jusqu’à des niveaux extrêmes.

L’aggravation de la jaunisse  nanisante de l’orge dans les années ‘90 est directement liée à l’essor du maïs, les pucerons y trouvant  refuge.
L’aggravation de la jaunisse nanisante de l’orge dans les années ‘90 est directement liée à l’essor du maïs, les pucerons y trouvant refuge. - M. de N.

Cécidomyie orange : minuscule…

Et voilà les années 2000. Les chercheurs de Gembloux se mettent alors en tête d’étudier un moucheron connu et décrit depuis belle lurette. Jusque-là, ladite cécidomyie orange était considérée comme un ravageur susceptible de causer des dégâts, légers, et de toute façon si fugaces et imprévisibles qu’on ne pouvait pas y faire grand-chose.

« À partir de 2005, la diffusion d’une phéromone spécifique (substance volatile produite par les individus femelles) de cette espèce a permis de capturer des centaines d’insectes quotidiennement. Il devenait enfin possible de visualiser, de localiser et de mesurer les populations de cet insecte. Les vrais travaux pouvaient commencer. Ils ont duré trois ans et permettent aujourd’hui non seulement de lancer des avertissements de lutte auprès des céréaliers, mais aussi d’identifier les variétés résistantes à ce nuisible. »

… mais très nuisible !

Les pertes de rendement causés par cet insecte peuvent être considérables : lorsqu’en fin de saison, les observations mettent en évidence la présence d’une vingtaine de larves par épi, cela ne signifie rien moins que la perte de 2 à 3 tonnes de grains par ha ! Sidérant ! On a du mal à croire que ce minuscule insecte, si discret, puisse être à ce point nuisible. On a du mal à croire, comme Saint Thomas, ce qu’on ne voit pas.

Une façon de « voir », consiste, vers le début juillet, à faire sortir les larves des épis : on récolte des épis, on les pose sur un treillis, lui-même posé sur un bac ou sur un seau, et on les met sous asperseur pendant une nuit. En quelques heures, les larves quittent les épis, et on peut les compter au fond du seau. Encore plus simple : début juillet, on peut poser des barquettes remplies d’eau entre les lignes de froment, et laisser agir les pluies. Les larves tombent dans les barquettes, et il suffit de surveiller.

Les quelques champs échantillonnés l’an dernier ont permis au Centre wallon de recherches agronomiques de dénombrer souvent plus de 20 larves par épi. Autrement dit, « à l’entrée de cette nouvelle saison, il faut être conscient de cette menace. Le niveau des populations est très élevé. Ne vous laissez pas surprendre », avertit l’expert du Cra-w.

Propos recueillis par M. de N.

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