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Réussir sa mise à l’herbe

Avec les températures printanières que nous avons connues la semaine dernière, certains éleveurs n’ont pas hésité à laisser sortir leurs animaux en pâture pour leur permettre de profiter de l’exceptionnelle douceur du climat. S’il n’est pas encore vraiment question de pâturage, revenons sur les éléments clés d’une mise à l’herbe réussie.

Temps de lecture : 8 min

La saison de pâturage va bientôt commencer. Pour les ruminants, l’herbe constitue un aliment de base. Lorsqu’elle est pâturée dans de bonnes conditions, c’est un aliment très nutritif, appétent et peu coûteux qui peut nourrir totalement ou partiellement les ruminants pendant la moitié de l’année. La valorisation de l’herbe dans les rations pour bovins prend toute son importance dans un contexte où les prix du lait et de la viande ne sont pas élevés.

La transition d’une ration hivernale vers une ration à base d’herbe est un moment délicat qu’il faut bien négocier pour préserver le potentiel de production du ruminant et de la prairie.

Avant toute chose, il faut s’assurer du bon état des clôtures pour éviter les divagations des animaux Les points d’eau sont à contrôler afin que le cheptel dispose d’eau propre en quantité suffisante. Il est conseillé de réaliser périodiquement une analyse de sol afin de vérifier le pH et différents éléments ; un pH trop acide est à corriger afin d’obtenir un bon rendement en herbe.

Mieux vaut examiner les onglons des animaux. S’ils ne sont pas en bon état, un parage sera effectué avant la sortie en prairie. Il est essentiel que le bétail puisse marcher facilement car le pâturage demande beaucoup de déplacements. On considère qu’un bovin qui pâture jour et nuit voit ses besoins énergétiques augmenter d’au moins 10 %. Des chemins aménagés et en bon état facilitent les retours quotidiens des vaches laitières et augmentent aussi le confort de l’éleveur.

Déprimage et transition alimentaire

Les vaches peuvent aller en prairie dès que la portance du sol l’autorise. Il est judicieux de procéder à cette période à un « déprimage » ; cette technique peut être effectuée par un pâturage rapide sur une herbe courte avant le stade épiaison de manière à ce que celle-ci puisse se produire ensuite. Le tallage est ainsi favorisé, ce qui veut dire que les animaux auront à leur disposition une herbe plus feuillue et donc plus nutritive. Cette technique permet aussi de mener une transition alimentaire en douceur pour les animaux.

Selon les dires d’éleveurs, la dernière fois que des bovins avaient été remis en prairie si tôt dans l’année remonte au 17 février 1961.
Selon les dires d’éleveurs, la dernière fois que des bovins avaient été remis en prairie si tôt dans l’année remonte au 17 février 1961. - P-Y L.

Pour assurer une transition alimentaire, on estime qu’il faut 3 semaines ; c’est le temps nécessaire pour que les micro-organismes du rumen s’adaptent à une nouvelle ration. Distribuer une partie de la ration hivernale pendant les premiers jours de sortie permet d’éviter des troubles digestifs. Si l’herbe est abondante, on restreindra la surface de la prairie ou on limitera le temps d’accès afin d’éviter un excès d’ingestion. L’herbe de printemps est riche en protéine brute, en sucres solubles et pauvre en fibres, sa valeur énergétique est excellente. La ration devra donc être adaptée et on diminuera progressivement l’apport en protéine et en sucres solubles en diminuant par exemple l’apport de tourteau, de betteraves ou de mélasse. Les aliments apportant de l’amidon, comme l’ensilage de maïs et les céréales sont conseillés. L’apport en fibre pouvant être insuffisant avec de l’herbe très jeune, on peut distribuer de l’ensilage d’herbe s’il n’est pas trop riche en protéine ou de l’ensilage de maïs. Il peut être utile d’incorporer un peu de paille dans la ration afin de favoriser la rumination.

Bien penser la complémentation

Certains éleveurs, qui font pâturer leurs vaches laitières uniquement la journée et les alimentent en stabulation le soir, craignent qu’elles ne mangent pas beaucoup d’herbe en prairie ou au contraire qu’elles ne veulent pas rentrer pour la traite du soir.

Dans le premier cas, il suffit de ne pas trop complémenter les vaches à l’étable. Si l’auge est pleine le matin, la majorité des bovins n’auront pas faim en sortant et le pâturage effectif sera différé : certaines vaches ne mangeront que l’après-midi et ne profitent pas pleinement des avantages de l’herbe. Restreindre la quantité distribuée de manière à ce que la mangeoire soit vide avant la traite du matin est une solution pour optimaliser l’ingestion d’herbe. Ainsi, l’animal peut faire un repas d’herbe le matin et un repas l’après-midi. On distribuera de préférence la complémentation à l’étable le soir.

Dans le deuxième cas, on peut limiter la superficie de la parcelle en l’ajustant aux besoins des animaux pour la journée à l’aide d’un fil électrifié (technique du fil avant). Le déplacement quotidien du fil peut paraître contraignant, mais ne prend que quelques minutes et permet de vérifier l’état de la prairie. Les vaches s’habituent très vite à ce système et sont pressées de sortir le matin car de l’herbe fraîche les attend. Le soir, elles savent qu’elles auront le reste de leur ration dans l’auge. Il faut donc faire jouer leur gourmandise.

Une attention particulière aux veaux

Pour les vaches allaitantes, la sortie en prairie doit se faire aussi progressivement afin d’assurer une transition alimentaire permettant à la vache et au veau de s’habituer au changement de régime. Si ce n’est pas possible, on les mettra en prairie le « ventre plein » sur une surface limitée les premiers jours. La mise en prairie des veaux au pis peut s’accompagner de problèmes divers comme des diarrhées ou de problème plus graves comme des myopathies ou des entérotoxémies.

En plus de la consommation d’herbe qui est un aliment nouveau pour lui, le changement de régime alimentaire de la vache va modifier la composition de lait ingéré par le veau. La proportion d’acides gras insaturés à longues chaînes va être augmentée tandis que la proportion d’acides gras à courtes chaînes va diminuer surtout si l’herbe présente peu de structure. Ce changement de composition provoque une malabsorption du lait et des diarrhées qui devront être traitées.

La mise en prairie s’accompagne aussi de courses et d’efforts inhabituels chez les jeunes veaux. Ce phénomène de stress peut entraîner des myopathies. La consommation d’un lait plus riche en acides gras insaturés à longues chaînes va aggraver cette situation de stress chez ces animaux surtout si leur statut en éléments anti-oxydants protecteurs comme le sélénium ou la vitamine E est déficitaire. En cas de carence en ces éléments et dans cette situation de stress, les animaux peuvent mourir subitement par arrêt cardiaque. À l’autopsie, on détectera des lésions dues à des myopathies communément appelées muscles blancs.

Des problèmes d’entérotoxémies peuvent aussi être rencontrés lors de la mise en prairie chez des jeunes bovins. Il s’agit d’une maladie due à des germes anaérobies (clostridium) qui se traduit par une mort brutale après un court épisode de fièvre, de la diarrhée, des ballonnements et des symptômes nerveux. Le traitement est souvent trop tardif. Il arrive que la distribution d’un aliment composé complémentaire pour veau n’améliore pas la situation, voire l’aggrave. Dans ce cas, le remplacement en partie de ce complément par de l’épeautre entier ou aplati donne de bons résultats pour sécuriser les fermentations ruménales. Les jeunes animaux sont sensibles aux parasitoses ; le plan de vermifugation doit leur assurer une protection tout en permettant de développer progressivement leur immunité.

De nouveaux outils pour faciliter le pâturage

Offrir une herbe de qualité en quantité adéquate aux animaux n’est pas toujours facile. La quantité d’herbe varie selon les conditions climatiques et le stade de maturité idéal pour le pâturage (herbe courte au stade feuillu ou tallage) peut vite être dépassé lors les conditions de croissance sont bonnes. De plus, les besoins des animaux varient au cours de la saison de pâturage.

Au printemps, lors de la mise à l’herbe, la croissance est rapide et le nombre d’animaux doit être suffisant. C’est également la période pendant laquelle une partie de la surface des prairies sera consacrée à la fauche. Il faut donc adapter le chargement (nombre d’animaux par ha) à la quantité d’herbe de manière à ce que les animaux ingèrent suffisamment d’herbe sans nuire au potentiel de la prairie. Pour estimer la quantité d’herbe disponible, on peut utiliser des herbomètres.

Dans le cadre du projet Dairyclim, deux appareils ont été testés au Centre des Technologies Agronomiques. L’EC20 a été développé en Nouvelle Zélande et le Grasshopper en Irlande ; dans ces 2 pays, l’herbe pâturée occupe une place essentielle dans l’alimentation des bovins. Ces herbomètres ont été modernisés grâce au développement d’application sur smartphone. Les mesures peuvent être consultées en temps réel ! Une fois le plan parcellaire de l’élevage intégré dans l’application, 2 heures chaque semaine suffisent à faire le tour des parcelles en mesurant les hauteurs d’herbe. Ces mesures permettent, dans un pâturage en rotation, d’estimer le stock d’herbe disponible du prochain cycle de rotation (soit dans les prochains 30 à 40 jours). À partir de ces données, on peut objectiver certaines décisions comme le choix de la parcelle la plus appropriée au pâturage et certaines actions à mener telles que la fauche en cas d’excès d’herbe et la complémentation dans le cas inverse. Ces outils étant connectés, les données sont traitées instantanément et leur usage via une application disponible sur smartphone est convivial. La quantité d’herbe pour chaque parcelle est représentée dans un diagramme de même que la hauteur de l’herbe ( voir figure 1 ).

herbe

Un pâturage bien mené permet donc de réduire les coûts alimentaires (voir encadré et graphique 1) en diminuant les achats d’aliments à l’extérieur ; il contribue à rendre les élevages indépendants de la fluctuation des marchés. D’un point de vue environnemental et pour l’image de marque du lait et de la viande, c’est également tout bénéfice. Mener une transition alimentaire correcte est une première étape pour profiter de ces avantages.

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D’après Françoise Lessire

et Isabelle Dufrasne

Unité de Nutrition Animale, Faculté de Médecine Vétérinaire (ULg)/

Centre des Technologies Agronomiques de Strée Modave

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