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Entreprise agricole Agri Minon – Annie Van Landuyt: «En tant que femme, on doit au moins faire mieux que nos collègues masculins»

À Braine-le-Château, Annie Van Landuyt dirige son entreprise agricole d’une main de fer depuis près de 30 ans. Son fils, Guillaume l’y a rejoint il y a quelques années et, le tandem fonctionne plutôt bien…

Temps de lecture : 7 min

L’agriculture et les machines ont toujours fait partie de ta vie ?

En effet, mes parents étaient agriculteurs et entrepreneurs. Les machines agricoles ont toujours suscité mon intérêt.

Ensuite, début des années ’80, j’ai épousé un entrepreneur agricole. Nous œuvrions ensemble au développement de l’entreprise familiale. En période creuse, mon mari travaillait à l’extérieur et, de mon côté, je veillais à la remise en ordre du matériel et à la préparation des saisons. Malheureusement, milieu des années ’90, nous nous sommes séparés. Ça a été un coup dur. Ma fille et mon fils, Ludivine et Guillaume, étaient très jeunes et je m’étais destinée à cette vie, je n’avais jamais imaginé que mon mariage puisse échouer…

Tu as alors choisi de continuer seule l’entreprise…

Je n’avais pas de diplôme, pas beaucoup de possibilités, et surtout pas l’envie de faire un autre métier. Mon mari ne souhaitait pas continuer l’entreprise, j’ai donc choisi de la reprendre à mon nom. J’étais passionnée par ce métier mais, j’avais la peur au ventre de ne pas y arriver, tant financièrement que professionnellement. Heureusement, dans ces moments difficiles, j’ai pu m’appuyer sur ma petite sœur, quelques vrais amis et surtout Michel, mon compagnon de travail depuis plus de 30 ans.

C’est une décision que j’ai prise pour moi. Beaucoup me disaient : tu as un fils, tu continues pour lui ! Mais, je ne voulais pas lui imposer cette décision. S’il souhaitait reprendre plus tard, c’était bien, si non, il n’y avait rien de grave. Évidemment, ça aurait sans doute été difficile de le voir prendre une autre direction mais, je crois que lorsqu’on oblige nos enfants à faire quelque chose contre leur gré, ça tourne mal, tôt ou tard.

À l’époque, j’ai donc repris le matériel et puis nos dettes aussi… Je suis aussi allé voir chacun de mes clients pour leur confirmer la continuité de l’entreprise. Personne ne m’a lâché. Ça a été une vraie force pour moi. Au fil des années, la clientèle s’est agrandie. J’ai engagé du personnel, diversifié mes services et renouvelé mes équipements. Avec le recul, je trouve que les choses se sont finalement bien passées.

« Je préférais avoir moins mais être maître de mon affaire. »

Passer de la femme de l’entrepreneur à entrepreneur au féminin, ça a été compliqué ?

Oui et non. Disons qu’au début, certaines personnes arrivaient peut-être chez moi en terrain conquis. On me proposait parfois de l’aide avec des arrières pensées. Mais, j’ai toujours été très méfiante et je tenais plus que tout à mon indépendance. Je préférais avoir moins mais être maître de mon affaire. Et puis, j’avais un défi à relever…

Avec le personnel et mes interlocuteurs, cela s’est en général toujours bien passé. Ce qui compte, je pense, c’est de rester au courant de tout et d’oser, comme eux, mettre ses mains dans la graisse ou dans la terre. J’ai tout appris sur le tas, un petit peu à la fois. Ce que je ne savais pas, je le demandais et je m’informais. Quand des concessionnaires me rendaient visite, j’écoutais et j’observais ce qu’ils faisaient. Je participais aussi à toutes les formations de prise en main du matériel proposées.

Bien sûr, j’ai également rencontré des personnes qui me sous-estimaient. Elles pouvaient passer leur chemin. Les gens ont vite appris à me connaître et je n’ai jamais eu beaucoup de souci avec le fait que je sois une femme. Aujourd’hui, je suis d’ailleurs coprésidente d’Agro-Service, l’organisation professionnelle des entrepreneurs des travaux agricoles. Le secrétaire régional, Otto Oestges, m’avait à l’époque poussée à poser ma candidature, une belle marque de confiance et de respect.

L’arrachage des betteraves, une activité dans laquelle Annie excelle et pour laquelle elle cède difficilement sa place.
L’arrachage des betteraves, une activité dans laquelle Annie excelle et pour laquelle elle cède difficilement sa place. - DJ

Dirais-tu qu’être une femme t’aie avantagé dans ce métier ?

Non, quand même pas. Contrairement à ce que beaucoup croient, cela demande encore plus de professionnalisme. En tant que femme, il faut toujours au moins faire mieux que ses collègues hommes pour avoir la même reconnaissance. Dans le cas contraire, on dit vite que tu te prends pour ce que tu n’es pas et on te juge. On doit faire attention à tout et quand, malheureusement, on fait des erreurs, il faut en discuter avec l’agriculteur et le dédommager, le cas échéant.

Tu étais aussi maman. Comment as-tu fait pour gérer tout cela ?

Ça n’a pas toujours été facile. Je n’ai pas toujours pu être très présente et j’avais très peur pour l’éducation de mes enfants. J’avais la grande chance de pouvoir compter sur ma maman qui s’occupait souvent de Ludivine et Guillaume, mais c’était leur grand-mère, pas leur maman. Je m’interrogeais sur la manière dont je devais me comporter avec eux, où je devais placer les limites. J’étais assez ferme et quand je disais quelque chose, je m’y tenais. Je n’ai pas été parfaite mais, je suis très fière de ce qu’ils sont tous les deux devenus.

« Mes enfants et leurs amis m’appellent parfois « la mère supérieure » ! »

Au quotidien, Annie et Guillaume gèrent ensemble l’entreprise familiale : « On n’est pas toujours d’accord sur tout mais ça fonctionne plutôt bien. Sur certains points, il est même beaucoup plus doué que moi»
Au quotidien, Annie et Guillaume gèrent ensemble l’entreprise familiale : « On n’est pas toujours d’accord sur tout mais ça fonctionne plutôt bien. Sur certains points, il est même beaucoup plus doué que moi» - DJ

Et aujourd’hui, tu travailles avec ton fils…

Oui, il s’est intégré petit à petit à l’entreprise et aujourd’hui, elle porte également son nom. Certains pensaient que ça serait hasardeux, que vu mon caractère, je ne pourrais jamais m’entendre avec mon fils. Mais, ça se passe très bien et il a tout à fait sa place. Mes enfants et leurs amis m’appellent parfois « la mère supérieure ». Ça ne me vexe pas, ça me fait plutôt rire. Il est vrai que je suis assez chef. Tant que j’étais seule, je me devais d’être comme ça pour tenir ma place. Mais, aujourd’hui, je partage mon rôle et j’essaie surtout de ne pas étouffer mon fils. Il contribue largement au développement de notre entreprise. Il s’ouvre à de nouvelles techniques culturales, de conservation des sols, d’agriculture biologique. Ce sont des sujets qui m’intéressent mais je lui laisse volontiers la main. Je le laisse prendre des initiatives et, aujourd’hui, je sais que quand je ne serai plus là, il se débrouillera parfaitement, ça me tranquillise beaucoup. Maintenant, ça ne veut pas dire qu’on n’est toujours d’accord sur tout mais, l’un comme l’autre, on s’adapte.

Tu n’as jamais pensé à cultiver pour toi-même ?

Être agriculteur ou entrepreneur, ce n’est en effet pas la même chose en termes de « sécurité ». Sans mes clients, je n’ai plus rien. Mais, je ne me suis jamais vraiment dirigée vers le métier d’agricultrice. Tout d’abord parce que l’accès à la terre reste très cher, ensuite, parce que je pense que lorsqu’on s’approprie les terres de ses clients, ça crée des problèmes à terme.

Une recette pour être un(e) bon(ne) entrepreneur ?

Faire son travail du mieux qu’on peut, avoir du bon matériel, un personnel au top et une bonne organisation. Je concède qu’il n’est pas toujours facile d’assurer sur tous les fronts, surtout si on ajoute à cela une paperasserie monumentale.

Nous travaillons avec trois temps plein et demi, quelques indépendants et étudiants qui viennent en soutien en pleine saison. Le turnover du personnel n’est pas toujours facile à gérer. À chaque fois, c’est tout un apprentissage et une confiance à retrouver, pour nous comme pour les clients. Néanmoins, nous pouvons compter sur une base solide. Certains sont là depuis le début et nous avons également la chance de pouvoir nous reposer sur Benoît, chef d’atelier et homme à tout faire, qui est un pilier de notre entreprise en qui nous avons pleine confiance.

Annie Une
DJ

D’autres passions, de nouveaux projets pour l’avenir ?

Mon métier est ma passion et il est tellement prenant que je n’ai pas beaucoup de temps pour autre chose. Mais, grâce à mon compagnon, je pars maintenant chaque année 15 jours en vacances. J’en profite alors à fond et je me déconnecte complètement. J’aime également beaucoup danser, surtout les danses de salon, je ne désespère pas de m’y remettre un jour.

Sinon, pour le reste c’est un peu flou. J’ai bientôt 60 ans. Je pense donc à progressivement lever le pied en prévision de ma pension et à me détacher du lieu de travail.

Plus tard, si mes enfants sont en accord avec cela, je me vois bien faire comme ma maman, qui venait me donner un coup de main en après-midi, s’occupait de ses petits-enfants et accomplissait diverses tâches dans l’entreprise.

Tu es donc une femme heureuse et accomplie ?

Oui. Je me suis toujours bien sentie dans mon métier, même si je déplore qu’il y ait maintenant autant d’administratif. Malgré un mariage raté, j’ai le sentiment d’une vie bien accomplie tant au niveau familial qu’au niveau professionnel.

DJ

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