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De la croix de mer à la croisette: quand l’accueil à la ferme s’octroie une parenthèse cinématographique

C’est à Cannes, non sans une certaine émotion, que Jacques de Marneffe a enfin découvert « Le jeune Ahmed », le nouveau film des frères Dardenne tourné en partie dans son exploitation, la Ferme de la Croix de mer, à Borlez. L’occasion pour l’éleveur et son épouse, Fabienne Laruelle, d’évoquer leur parcours, leur pédagogie et leur parenthèse cinématographique, qui a mis en exergue l’accueil à la ferme. Retour le parcours d’un couple qui a fait de l’ouverture aux autres leur principale diversification.

Temps de lecture : 8 min

À la tête d’une exploitation de polyculture-élevage, composée notamment d’un cheptel de 200 Blanc-bleu et de 30 laitières, le couple de Marneffe-Laruelle n’est pas en manque de travail, pourtant près de la moitié de leur temps est consacrée à l’accueil pédagogique à la ferme. Accueil d’école, anniversaires, stages à la ferme, golf champêtre… sont autant d’activités qui rythment la vie de la Croix de mer depuis près de 20 ans. Une diversification nécessaire suite aux crises (dioxine, vache folle...) qui ont frappé de plein fouet le monde agricole.

Se nourrir de sa fibre pédagogique

C’est en 1999 qu’une institutrice du village leur demande si une visite de ferme avec sa classe est possible. Une demande surprenante pour le couple mais une expérience somme toute plaisante. Les retours sont positifs et l’initiative vouée à se répéter, d’autant que Jacques a la fibre pédagogique.

Le couple fait alors appel à Accueil Champêtre en Wallonie pour l’encadrement et le suivi de leur structure. Il ne faudra pas longtemps à la Ferme de la Croix de Mer pour répondre aux conditions d’admission.

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« Au début, nous étions contents d’avoir une classe par semaine. C’était une bonne moyenne car recevoir à la ferme nécessite un apprentissage et un bon rodage. Pour être au contact d’enfants, il faut avant tout savoir faire preuve de patience », explique Jacques.

L’expérience est concluante et, de fil en aiguille, le bouche-à-oreille fait son travail ! Mise aux normes, formations… les critères d’accueil se durcissent et la structure se professionnalise. « Quand on propose des activités de tourisme à la ferme, on ne peut rien laisser au hasard ! La préparation est importante et doit être minutieuse. Tout doit être prêt pour l’arrivée des jeunes. »

Aujourd’hui, le couple est victime de son succès. Du 1er mars au 30 juin, en semaine, il reçoit pratiquement une classe par jour, sans compter l’organisation d’anniversaires à la ferme, les mercredis après midi et les samedis. « Cette année, nous avons dû refuser de nombreuses classes. Je crois que si nous ne nous étions pas lancés dans cette voie, nous aurions eu beaucoup de difficultés à payer les études de nos enfants. C’est un revenu complémentaire non négligeable dans la comptabilité d’une exploitation », estime-t-il.

Pourtant, Jacques et Fabienne ne sont pas du genre à vouloir se reposer sur leurs lauriers: stages à la ferme, golf champêtre… sont autant de nouvelles activités qui permettent à cette famille de recréer du lien autour de leur travail.

traite des vaches et alimentation des veaux et autres animaux sont au programme  d’une matinée riche en découvertes.
traite des vaches et alimentation des veaux et autres animaux sont au programme d’une matinée riche en découvertes.

Dans la région, on retrouve différentes fermes pédagogiques. « Nous sommes plusieurs à proposer ce type d’activités mais avec des spécificités bien différentes. C’est ce qui fait d’ailleurs la richesse du réseau. Nous ne nous considérons donc pas comme concurrents, nous sommes complémentaires. Il nous arrive d’ailleurs de rediriger des personnes vers des collègues en fonction des besoins. »

Un cadre idéal pour

« Le jeune Ahmed »

C’est encore par le biais du bouche-à-oreille que Jacques eut la surprise en mars 2018 de répondre à un coup de fil de Luc Dardenne, l’un des deux réalisateurs belges, lauréats de deux Palmes d’Or. Lui et son frère sont en effet à la recherche d’une ferme qui pourrait être le cadre d’une partie de leur nouveau film : « Le jeune Ahmed », l’histoire d’un ado radicalisé qui trouvera une voie de réinsertion dans la société à travers l’accueil social réalisé en ferme.

Si le contact passe bien entre les deux hommes, Jacques n’aura plus de nouvelles du cinéaste avant septembre, un mois totalement fou durant lequel a été tourné le film. « J’espérais qu’une scène ou l’autre puisse être filmée dans la ferme, je ne m’attendais pas à vivre 22 jours de tournage intenses », sourit-il.

« Quand nous nous sommes rendu compte de l’ampleur de l’organisation, nous avons un peu froncé les sourcils. Nous pensions pouvoir choisir les dates de tournage mais le planning était déjà défini. D’emblée, les deux réalisateurs ont mis la barre très haut. Ils me voulaient en permanence avec l’équipe du film. Raison pour laquelle celle-ci a toute de suite pensé aux Services de remplacement agricole pour assurer au besoin le bon fonctionnement de la ferme. La production a assumé ce coût pour nous permettre de coacher au mieux les acteurs afin qu’ils puissent poser les gestes réels liés aux travaux agricoles. »

Mais coacher les artistes, c’est aussi répondre aux questions des personnes qui gravitent autour du projet. Si les questions semblaient d’abord naïves, elles témoignent du fossé qui sépare les citadins des exploitants agricoles. Tout au long du mois, les artistes, les preneurs de sons, les habilleurs... ont posé énormément de questions. « La ferme interpelle par rapport à tout ce que l’on peut entendre. J’ai essayé de répondre au mieux et le plus objectivement possible en montrant comment on travaille. Utilisation de produits phyto, bien-être animal… des sujets qui sont souvent revenus sur les lèvres. Il y eut en outre tout un aspect de sensibilisation sur les réalités d’une exploitation: «On ne fait pas ce qu’on veut et cela a pu clairement être un facteur limitant lors du tournage », se souvient-il.

À l’inverse, le couple a pu énormément apprendre sur l’univers du cinéma, du tournage... des facettes d’un univers qu’il n’avait que peu appréhendé par le passé.  Tout cela a été rendu possible par la bonne intégration du couple dans l’équipe du film. «Nous nous sommes directement sentis membre d’une grande famille», acquiesce Jacques.

L’expérience cannoise

Une fois le tournage terminé, le film est entré en post-production. Il a donc fallu quelques mois avant que les Dardenne ne leur annoncent la bonne nouvelle : le film est sélectionné pour participer au Festival de Cannes ! L’occasion pour les cinéastes d’inviter le couple à s’y rendre pour la première du film.

« Ce n’est pas mon monde mais j’avais envie de découvrir le festival, ses coulisses, ses côtés fastes… » Jacques réfléchit : « Je ne suis pas sûr qu’ils s’attendaient vraiment à me voir sur la Croisette mais quand je les ai rejoints au dîner de Gala, ce fut un moment fort en émotions. Ils m’ont pris sous leur aile tout au long de ma présence au Festival. Ils m’ont ouvert les portes d’un autre monde ! »

Et d’en venir à la première du film : « A notre arrivée dans la salle, les 4.000 personnes présentes se sont levées pour applaudir l’équipe de longues minutes… Un moment fort qui ne put laisser personne indifférent ! Ressentir cette émotion, cet engouement et voir les réactions du public… C’est une expérience inoubliable ! Je n’irai sans doute plus jamais à Cannes mais quel souvenir ! »

Quelques jours plus tard, alors que Jacques a rejoint sa routine de la Croix de Mer, un appel téléphonique leur annonce que le film a reçu un prix. « Nous étions en effervescence, à l’affût de toute information susceptible de nous éclairer sur la récompense. Nous nous sommes sentis réellement impliqués. Toutes les scènes tournées à la ferme sont empreintes de beaucoup d’humanisme, d’amour. » Le film recevra finalement le prix de la mise en scène.

Depuis le début de cette aventure, le couple entretient d’excellentes relations avec les deux réalisateurs. « Ils sont humains, travailleurs, et respectueux de leur personnel… Pas étonnant que nous nous soyons sentis si proches », sourit-il.

L’Accueil social commence ce vendredi

Au-delà de l’accueil pédagogique, Jacques et Fabienne veulent s’inscrire dans le programme d’accueil social, lancé par Accueil Champêtre en Wallonie. L’initiative est une diversification agricole à vocation sociale et solidaire, à travers laquelle une personne dite en difficulté est accueillie par une structure agricole ou rurale en vue d’améliorer son bien-être. « Faisant partie du conseil d’administration de l’asbl, j’ai voulu donner l’exemple. J’avais déjà accueilli des élèves d’une école spécialisée dans un tout autre cadre. Si l’on peut rendre à ces jeunes l’envie de travailler en venant chez nous, pourquoi pas ! », se dit Jacques.

La ferme reste intrinsèquement liée à la terre. « Les deux premiers jeunes arriveront ce vendredi ! On a des petits travaux légers à leur faire faire. Ils seront accompagnés d’un coach. Ils connaissent déjà la ferme et savent ce que l’on attend d’eux. À terme, l’objectif est qu’ils puissent gagner en autonomie grâce à cet accompagnement. »

Actuellement, aucun contrat à long terme n’est établi. « Nous sommes partis pour une première période d’essai de 4 semaines. Ensuite, toutes les parties se mettront autour de la table pour juger de l’opportunité de continuer ou non le contrat. Pour ma part, j’espère partir sur du long terme. Ce n’est pas en seulement 14 semaines que l’on va pouvoir les aider. Un travail de fond plus important nous semble opportun », conclut l’éleveur.

P-Y L.

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