Accueil Bovins

Françoise Tagnon, paysanne et pas que…

C’est comme ça qu’aime se décrire Françoise Tagnon, agricultrice bio, originaire de Serinchamps. Car, même si elle ne perd jamais une occasion de défendre la cause agricole, sa vie, ses passions et ses aspirations ne s’arrêtent pas à ce domaine. Elle a d’ailleurs exposé, il y a peu, ses photos au Centre Culturel des Roches à Rochefort.

Temps de lecture : 8 min

Nous retrouvons Françoise Tagnon au sein de son exploitation familiale de Serinchamps (Ciney). La Ferme du Moulin est dans la famille Tagnon depuis 1874, pourtant il s’en est fallu de peu qu’elle ne cesse ses activités à la génération des parents de Françoise, mais le destin en a voulu autrement.

Et pourquoi pas la ferme finalement ?

En effet ni Françoise, ni son frère ou sa sœur ne se destinaient à une carrière agricole. Après des études de photographie, Françoise avait plutôt pour projet de vivre de son métier de photographe et de découvrir le monde. Mais, sa route a croisé celle d’un jeune féru d’agronomie et d’agriculture, Frédéric Minon. Ensemble, ils décident de reprendre, fin des années ‘80, l’exploitation herbagère en BB-B mixte du papa de Françoise.

Au début, Françoise essaie de combiner son métier de photographe et d’agricultrice mais elle se rend vite compte que cela s’avère compliqué. « Ce n’est pas parce qu’on travaille à l’extérieur que l’on n’est plus libre, que du contraire, quand on rentre à la maison, la ferme est toujours là et le travail aussi. C’était une vie de dingue. À la naissance de mon premier fils, je me suis dit ‘essayons autre chose’, et j’ai décidé de me consacrer uniquement à la ferme », dit-elle.

Et quand on lui demande si ça n’a pas été dur de revenir exclusivement à un métier auquel elle ne s’était pas destinée, elle répond : « J’ai toujours travaillé avec mes parents, donc le métier je le connaissais bien. Maintenant, il est vrai que je m’étais dit que j’aurais une autre vie et que je rêvais d’autres choses… de voyages, de congés… mais ce n’est pas le bagne non plus ! »

Avec sa touche personnelle

À son retour à temps plein sur la ferme, Françoise développe un petit commerce de yaourts : « Cette activité nous a permis de dégager un salaire supplémentaire sur la ferme mais m’a également donné l’opportunité d’apporter ma touche personnelle à notre projet ».

« La ferme étant assez reculée, les clients ne viennent pas à nous », explique-t-elle. Un gros travail de recherche de collaborateurs pour la commercialisation a donc dû être fait. « Je me suis adressée à des crémeries, des traiteurs et j’ai mis en place des tournées dans la région. Par contre nous n’avons jamais été particulièrement convaincus par les échanges avec les grandes surfaces. Celles-ci nous proposaient en général de très mauvaises conditions de travail. Et puis, finalement, c’est quand même à cause de l’agro-industrie que les producteurs sont écrasés ici et ailleurs. Nous avons donc plutôt choisi de travailler avec des personnes plus proches et qui nous permettaient de maintenir un contact direct avec le client », dit-elle.

Lever le pied

Durant 20 ans, le couple réalise cette activité avec passion. Ils obtiennent même un Coq de cristal pour leurs yaourts en 1997. « Ce commerce nous a vraiment aidés en périodes de crise. Mais, ça représente pas mal de boulot entre la recherche de clients, la préparation, l’entretien du matériel, la commercialisation… Lorsque tous nos emprunts ont été remboursés soit on agrandissait et engageait, soit on essayait de vivre autrement, en levant un peu le pied sur le travail et en allégeant quelque peu nos horaires. Nous avons fait quelques essais de personnel mais cela n’a pas été concluant. Nous avons donc opté pour la seconde possibilités », dit l’agricultrice.

Reconversion bio

Initialement en BB-B mixte, Françoise et Frédéric on peut à peu introduit des rouges dans leur troupeau afin de le scinder en deux et d’avoir des élevages viandeux et laitier bien distincts.

En 2008, le couple opère une nouvelle conversion et passe uniquement au bio laitier. « Nous avons toujours été convaincus par le bio, mais la ferme ne s’y prêtait pas bien au début. Et puis, dans les années ‘90, il y avait peu de formations sur le sujet et nous étions déjà endettés, nous préférions donc jouer la carte de la prudence et ne pas prendre de risques supplémentaires », explique-t-elle. « Aujourd’hui nous trayons 45 vaches et cultivons une cinquantaine d’ha pour l’alimentation de notre bétail. Vu la crise à laquelle doit faire face le secteur laitier non bio, économiquement, nous ne regrettons pas non plus notre choix, mais c’est quelque chose que nous ne pouvions pas prévoir à l’avance… comme nous ne pouvons pas prévoir l’évolution future du marché laitier bio », ajoute-t-elle.

«J’ai l’impression que la seule option qu’on offre aux jeunes pour s’en sortir aujourd’hui, c’est l’agriculture industrielle...»

Les jeunes et l’agriculture ?

Françoise a deux fils, Louis et Pol, qui ne destinent nullement à l’agriculture. Une décision qu’elle considère avec recul et philosophie : « Quand je vois la conjoncture actuelle, je ne suis pas mécontente qu’ils ne fassent pas ce choix. Maintenant, je ne peux pas dire à l’avance s’ils s’en sortiront mieux par rapport au choix qu’ils ont fait. Néanmoins, je trouve, qu’aujourd’hui, il est vraiment difficile pour des jeunes de se lancer en agriculture. J’ai l’impression que la seule solution qui s’offre à eux pour s’en sortir, c’est l’agriculture industrielle. Quand je vois toutes les dérives que cela entraîne, dans mon cas, ce n’est pas une option », affirme-t-elle. Et ajoute, « Je pense que les jeunes ne se posent pas toujours les bonnes questions par rapport à leur projet. On privilégie les calculs de rentabilité, les chiffres… mais il n’y a pas beaucoup de réflexion sur l’avenir de l’agriculture. Si on ajoute à cela les politiques qui semblent, pour la majorité, croire uniquement en l’agriculture industrielle et considérer le reste comme marginal, il ne faut pas s’étonner que cette manière d’envisager les choses entraîne dans son sillage de multiples groupes de contestation ».

Donner son avis, c’est important

Des contestataires dont elle ne partage pas forcément toujours l’opinion mais bien le besoin d’expression. « Je pense qu’on n’a pas souvent l’occasion de donner son avis, alors, quand on nous donne cette opportunité, il faut la saisir. Lorsqu’on voit ce qu’on fait de nos votes, je crois qu’il est important d’exprimer notre avis à d’autres moments, telles que lors des manifestations, et de montrer que nous sommes contre les choix qui nous sont proposés. J’ai par exemple participé à des réunions et manifestations contre le Ceta ou au sujet de la crise du lait. En m’investissant dans ces causes, je ne cherche pas à ne pas être ‘inactive’. Pour moi, c’est un tout et ça me semble naturel ».

Et quand, on lui demande si elle n’est pas découragée par le peu de retombées qu’on parfois ce genre d’action, elle répond : « Il s’agit parfois de coups dans l’eau, mais j’y trouve toujours quelque chose de positif. Lors de la manifestation contre le Ceta de septembre par exemple, j’ai trouvé merveilleux que l’on puisse réunir quelques milliers de personnes de tous les horizons, aussi bien des agriculteurs que des syndicats civils ou le monde associatif. Ça, ce n’est pas courant et c’est déjà une fameuse victoire ! »

«Il est important de prendre la parole et de montrer qu’on est contre les choix qu’on nous propose».

Un retour à la photo

Françoise aime également s’investir dans des hobbies en lien ou pas avec des sujets agricoles : le sport, les voyages avec son mari, le théâtre ou encore la photo en font partie. « Je pense qu’il est essentiel d’avoir des activités extérieures qui nous permettent de décompresser, voir autre chose… » dit-elle. Durant le mois de mars, elle a notamment exposé ses photos au Centre Culturel des Roches à Rochefort, l’occasion pour elle de revenir a sa première passion : « La photo est toujours restée dans un coin de ma tête mais lorsqu’on est pris dans le tourbillon de la vie, on a toujours tendance à laisser ce genre d’idée de côté. Lorsque mes enfants ont grandi et sont devenus autonomes, je suis sans doute devenue aussi plus organisée et j’ai décidé de m’y remettre ».

Active dans le festival À Travers Champs, elle a tout d’abord proposé de photographier les agriculteurs y participant, une initiative qui a finalement débouché sur l’expo photos « Paysans et pas que… ». « C'est la première fois que j’expose uniquement mes photos et en si grand nombre. J’en suis vraiment très heureuse. Avant le début de l’expo j’avais quand même quelques petites apréhensions, pas par rapport aux choix des photos car j’ai passé l’âge de me demander s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise photo, mais plutôt parce que j’allais montrer un peu de ma vie et des choses assez personnelles », dit-elle.

Dans « Paysan et pas que », fidèle à elle-même, Françoise ne se limite pas uniquement à l’agriculture mais aborde aussi les thèmes du voyage, de la pauvreté, des personnes âgées… « Je suis aussi fascinée par la ville et par l’animation qui y règne, même si ça me fatigue vite et que je suis ensuite contente de rentrer », explique-t-elle. Son expo, elle la dédie à sa grand-mère, Alice, et sa belle-mère, Jacqueline. « C’étaient des personnes extraordinaires et si je ne me suis pas uniquement contentée de faire mon métier de bonne fermière dans ma vie, c’est grâce à des personnes comme elles ! ».

À l’avenir, Françoise souhaite persévérer dans la photo et ses autres activités tout en continuant tranquillement la ferme. « Même si la contrainte de la traite deux fois par jour, reste difficile pour moi car on vit dans un monde où on ne tient plus compte du quotidien des agriculteurs. Avant, il y avait un tas d’agriculteurs dans les familles, maintenant on oublie qu’ils ont certaines contraintes et on n’en tient pas souvent compte dans l’organisation d’activités. Du coup, on viendrait parfois à se sentir coupable de faire ce métier… c’est dommage… », finit-elle.

DJ

A lire aussi en Bovins

Voir plus d'articles