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Comme des hamsters

De quoi parlerions-nous, si le Covid-19 n’avait pas existé et n’était venu déglinguer notre monde familier, bouleverser nos petites habitudes et susciter chez nous des interrogations inimaginables ? Nos préoccupations seraient tout autres. La sécheresse de mars et avril serait sur les lèvres de tous les fermiers, laquelle a transformé nos prairies et nos champs inondés en boulevards de béton bosselés. Mon épouse causerait sans fin de football, des play-off de la Pro-League et de l’Euro, au lieu d’observer comme un animal étrange prête à la mordre sa vieille machine à coudre, exhumée du grenier pour confectionner des masques de protection… Comme un torchon dégoulinant et crasseux, le coronavirus a salopé, d’un coup d’un seul, notre vie naïvement colorée par nos soucis quotidiens et les banales actualités. Mais sous la couche des misères d’aujourd’hui, le fond des problèmes récurrents est toujours bien présent, en agriculture et partout ailleurs, dans tous les domaines de la vie… Semblable à une immense roue-cage bourrées d’hamsters affairés, notre société a ralenti pour un temps sa course folle. Pour bientôt la reprendre de plus belle ?

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Connaissez-vous la blague de cet Australien qui voulait se débarrasser de son boomerang en le lançant loin de lui ? On devine le résultat… Tordues comme des boomerangs, nos préoccupations d’avant Covid finiront fatalement par nous revenir un jour en pleine figure, dès que les premiers nuages de la crise seront dissipés. En pire, affirment les esprits chagrins ! Le marché du lait risque fort de s’effondrer. Nos patatiers n’ont plus la frite ; leurs contrats se sont plantés. La fluidité du commerce mondial et de la logistique d’approvisionnement est gravement compromise, et c’est peu de le dire. Notre agriculture belge, largement exportatrice, se situe dans l’œil du cyclone et s’apprête à affronter des vents tempétueux. Les laiteries demandent à leurs coopérateurs de diminuer leur production, et leur déconseillent vivement de se lancer dans des investissements inconsidérés, en cette année de grâce bénie au Covid 19. Dieu merci, pas de Foire de Libramont cette année ! Cela évitera à d’aucuns d’être soumis à la tentation et de commettre des achats intempestifs, impulsifs ou compulsifs…

C’est absolument ahurissant ! Dans les années 1980 et ’90, les délégués de laiterie nous exhortaient à acheter du quota, à augmenter notre cheptel, à investir massivement dans des étables performantes. Aujourd’hui, c’est tout le contraire : ils tirent sur le frein à main ! J’ai eu l’occasion, dernièrement, d’en parler avec un jeune exploitant, 32 ans à peine, et déjà endetté à plus de deux millions d’euros ! « On est foutu, on emprunte trop ! », écrivait la semaine dernière Manou de Warneton dans le Sillon… Trop d’agriculteurs tournent dans leur roue-cage comme des hamsters dopés aux amphétamines : plus vite, encore plus vite, toujours plus vite ! S’ils s’arrêtent de courir, ils trébucheront ; la roue va les emporter et leur briser les reins. Avez-vous déjà observé ces pauvres petites bêtes, prisonnières de leur folle manie ?

En fait, tous les êtres humains agissent un peu comme des souris dans leur roue-cage, toujours à se précipiter vers ce qu’ils appellent le bien-être, le plaisir, le bonheur. Dans leur perpétuelle fuite en avant, ils courent en déséquilibre pour ne pas tomber. Gagner des sous, et vite les dépenser. Voyager, s’amuser, partir en vacances, boire et manger au resto, s’étourdir dans des paradis artificiels, comme si la vie n’était qu’un vaste jeu virtuel… Être riche, de plus en plus riche, écraser tout le monde pour y parvenir. Les animaux sont plus intelligents que nous. C’est nous qui plaçons un hamster ou un écureuil dans cette prison qui les rend fous ; eux n’ont rien demandé. Mais c’est nous-mêmes qui nous construisons notre propre roue-cage, cette sacro-sainte croissance économique qui nous pousse à produire, à consommer toujours davantage, à investir sans limite, à transformer les belles petites fermes léguées par nos parents, en mastodontes industriels qu’aucun de nos enfants ne pourra reprendre sans s’endetter à mort. À mort !

Notre roue-cage a ralenti ces jours-ci… Ou du moins, c’est l’impression qu’elle donne. Un bête virus est venu gripper les roulements de son axe. Mais sa force d’inertie et sa « balourdise » sont telles qu’il est impensable qu’elle s’arrête. Des milliers de milliards d’euros la poussent à maintenir sa cadence, à garder un rythme de croissance économique. Nous sommes canalisés, encadrés, encanaillés, cadenassés. Et puis, tant pis pour le réchauffement climatique et les ressources gaspillées de notre planète ; tant pis pour les inégalités sociales, les injustices scandaleuses, la faim dans le monde et la misère des pays pauvres… Nous autres hamsters « intelligents » des pays dits « développés », n’avons d’autres soucis que de courir, courir, courir en rond… vers le néant.

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