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Stratégies «de la ferme à la table» et «biodiversité»: un énorme chantier et beaucoup d’interrogations

Baisse d’ici 2030 de 50 % des risques et de l’utilisation des pesticides, de 20 % de l’utilisation des engrais, de 50 % du recours aux antibiotiques en élevage mais aussi un objectif de 25 % de surfaces en agriculture biologique. La Commission européenne a officiellement lancé le 20 mai ses stratégies « de la fourche à la fourchette » et « biodiversité à l’horizon 2030 » qui fixent un cap ambitieux pour le verdissement des systèmes alimentaires européens.

Temps de lecture : 9 min

Loin d’être des propositions législatives à proprement parler, ces stratégies constituent surtout un programme pour le secteur alimentaire de l’UE, et l’agriculture en particulier, pour les dix ans à venir. Une multitude d’initiatives sont attendues dans les prochains mois et années afin de concrétiser les grands objectifs fixés pour 2030. Les outils pour y parvenir sont la politique agricole commune, les normes et l’information aux consommateurs. Énormément de questions restent ouvertes, qui seront débattues au fur et à mesure que le Commission dévoilera ses initiatives.

Une première en 27 initiatives

« C’est la première fois que nous disposons d’un agenda intégré et global qui recouvre tous les stades de l’approvisionnement alimentaire, de l’agriculteur au consommateur », se félicite la commissaire européenne à la Sûreté alimentaire Stella Kyriakides. La stratégie de la ferme à la table prévoit 27 initiatives qui seront précisées peu à peu dans les prochains mois et années. Parmi celles-ci : un plan d’action pour l’agriculture biologique en 2020, des recommandations à chaque État membre concernant les plans stratégiques de la pac fin 2020, une révision de la directive sur l’utilisation durable des pesticides en vue de réduire sensiblement leur utilisation en 2022, ou encore une révision de la directive bien-être animal en 2023.

Autres éléments clefs des deux stratégies : atteindre une part de 30 % des terres de l’UE protégées dans le cadre du réseau Natura 2000, au moins 10 % de la surface agricole utilisée consacrée à des surfaces de haute diversité, la baisse du gaspillage alimentaire et la lutte contre les fraudes.

Et pour atteindre tous ces objectifs la Commission aura recours à la future pac (en particulier les éco-régimes du premier pilier), à la réglementation (pesticides, OGM, bien-être animal…) et à l’information des consommateurs avec en particulier un nouveau système d’étiquetage à l’avant des produits alimentaires (valeur nutritionnelle, durabilité, voire origine).

Pour les secteurs de l’alimentation – agriculture et pêche réunies –, le vice-président de la Commission européenne en charge du pacte vert (Green deal) assure que la transition proposée peut accroître la valeur de la production de 50 milliards €. « Les agriculteurs sont les gardiens de nos terres. Ces stratégies doivent renforcer leur rôle sans laisser personne sur le côté », promet-il.

Une politique agricole sollicitée

La Commission européenne estime que les propositions qu’elle a mises sur la table pour la prochaine pac avec sa conditionnalité renforcée, ses mesures agro-environnementales du second pilier, son programme de conseil aux agriculteurs et surtout ses éco-régimes du premier pilier doivent permettre de porter l’ambition de ses nouvelles stratégies environnementales.

Et comme les discussions ont pris deux ans de retard, les États membres ont encore le temps d’intégrer dès à présent certains éléments de ces dernières. Ce pourrait être le cas des objectifs concernant l’agriculture biologique : 25 % à atteindre d’ici 2030 contre environ 8 % aujourd’hui. La Commission compte présenter en 2020 un plan d’action 2021-2026 pour le secteur biologique, afin de « stimuler un développement durable de l’offre et de la demande de produits biologiques ».

L’objectif de 10 % d’éléments de haute valeur environnementale sur les surfaces agricoles est un autre objectif qui pourrait être introduit dès à présent dans la pac même si dans le cadre de la conditionnalité renforcée, la Commission européenne propose pour l’instant 5 % d’éléments non-productifs. Des recommandations seront donc adressées fin 2020 à chaque État membre concernant les neuf objectifs spécifiques de ladite politique, avant que les projets de plans stratégiques nationaux ne soient officiellement soumis.

La stratégie fait référence à la promotion de régimes alimentaires plus sains visant aussi, sans la nommer, la consommation de viande, rouge en particulier. Celle-ci ne serait plus soutenue. Une crainte évoquée et dénoncée par certains eurodéputés.
La stratégie fait référence à la promotion de régimes alimentaires plus sains visant aussi, sans la nommer, la consommation de viande, rouge en particulier. Celle-ci ne serait plus soutenue. Une crainte évoquée et dénoncée par certains eurodéputés. - M. de N.

Manque de données de référence

D’autres objectifs, ceux concernant les réductions de pesticides, d’engrais et d’antibiotiques, seront plus difficiles à intégrer immédiatement à la politique agricole commune. Pour une bonne raison : la période de référence par rapport à laquelle mesurer cette réduction n’est pas encore clairement définie. Il s’agirait en théorie que ces réductions se fassent en dix ans (entre 2020 et 2030) mais la Commission européenne admet que les données dont elle dispose actuellement ne sont pas encore suffisamment fiables et harmonisées pour avoir un aperçu clair de la situation dans chaque États membre.

Afin « de contribuer à une large adoption de pratiques agricoles durables », une proposition de révision du règlement relatif au réseau d’information comptable agricole en vue de le transformer en un réseau d’information sur la durabilité de l’agriculture est attendue pour 2022. Et dans la même optique, une initiative en faveur de l’agriculture décarbonée pourrait voir le jour en 2021.

Des normes renforcées

Autre levier que va activer la Commission : la réglementation. En 2022, devrait, notamment, être proposée une révision de la directive sur l’utilisation durable des pesticides afin de réduire sensiblement l’utilisation et les risques liés aux pesticides, ainsi que la dépendance à leur égard, et de renforcer la lutte intégrée contre les ravageurs. La question du statut, OGM ou non, des nouvelles techniques de sélection végétale devrait également être traitée. Une évaluation d’impact pour clarifier la situation et éventuellement réviser la directive OGM est attendue en 2021.

L’an prochain également, une révision du règlement sur les additifs pour l’alimentation animale afin de réduire l’impact environnemental de l’élevage devrait être présentée. Et en 2023, la Commission européenne compte réviser la législation existante en matière de bien-être animal, y compris en ce qui concerne le transport et l’abattage des animaux.

Un étiquetage à tout faire

Dernier outil majeur pour porter les transformations qu’entend engager la Commission européenne : l’étiquetage des produits. « Une bonne partie de la stratégie de la ferme à la table repose sur l’information des consommateurs pour qu’ils fassent des choix responsables », a souligné la commissaire Stella Kyriakides. Un « label nutritionnel » obligatoire sur le devant de l’emballage pour les produits alimentaires va être mis en place.

L’Institution veut aussi faire de l’étiquetage un moyen d’informer les consommateurs sur la « durabilité » des produits qu’ils achètent. Tout est envisagé : indication du pays d’origine, du respect des normes de bien-être animal, d’impact climatique…

La stratégie fait plusieurs fois référence à la promotion de régimes alimentaires plus sains visant, notamment, sans la nommer, la consommation de viande, rouge en particulier. Néanmoins, la commission ne veut pas imposer « de manière péremptoire » aux consommateurs ce qu’ils doivent acheter, d’autant plus qu’il faut distinguer élevage extensif, favorisant avec les prairies la captation de carbone dans les sols, et élevage intensif. Une révision du programme de promotion de l’UE pour les produits agricoles et alimentaires en vue de renforcer sa contribution à la production et à la consommation durables est néanmoins prévue pour fin de cette année.

Approvisionnement et consommation

Un dernier volet important de la stratégie de la ferme à la table concerne la chaîne d’approvisionnement alimentaire et les consommateurs. Dans ce domaine aussi, de nombreuses initiatives sont au programme, qui visent notamment à renforcer la coopération des producteurs primaires afin de soutenir leur position dans la chaîne alimentaire et améliorer la transparence en 2021-2022, ou par exemple à mettre en place des profils nutritionnels pour limiter la promotion d’aliments riches en sel, en sucre et/ou en graisses… Il est aussi question de réduire les pertes et le gaspillage alimentaire, la Commission table sur des objectifs européens pour la réduction des déchets alimentaires en 2023 et une proposition de révision des règles de l’UE sur le marquage des dates (limites d’utilisation et péremption) en 2022.

Le chantier est énorme. Ces stratégies vont être discutées au Parlement européen et entre les États membres. Mais c’est surtout au sein de chacune des initiatives annoncées que les débats promettent d’être les plus intenses, car, c’est connu, le diable se cache dans les détails.

Des réactions contrastées à ces objectifs ambitieux

Les organisations et coopératives agricoles de l’UE (Copa-Cogeca) estiment que les agriculteurs « ont besoin de solutions leur permettant d’atteindre ces objectifs ambitieux tout en préservant leurs moyens de subsistance et l’économie rurale européenne. Une approche précipitée pourrait menacer la sécurité alimentaire, la compétitivité de l’agriculture européenne et le revenu des agriculteurs, alors que ces derniers ont déjà été fortement touchés par la crise liée au Covid-19 ». Le Copa-Cogeca souligne également que « tout étiquetage nutritionnel et recommandations diététiques devraient reposer sur des données scientifiques solides, en évitant des raisonnements simplistes qui peuvent induire en erreur », notamment sur les produits d’origine animale.

Dans sa réaction aux statégies proposées, le Copa-Cogeca souligne qu’en termes d’étiquetage nutritionnel et recommandations diététiques notamment sur les produits d’origine animale, les données scientifiques doivent prévaloir pour éviter tout raisonnement simpliste mensonger.
Dans sa réaction aux statégies proposées, le Copa-Cogeca souligne qu’en termes d’étiquetage nutritionnel et recommandations diététiques notamment sur les produits d’origine animale, les données scientifiques doivent prévaloir pour éviter tout raisonnement simpliste mensonger.

L’industrie européenne des produits de protection des cultures ne se dit pas opposée à la fixation d’objectifs de réduction des pesticides mais « un taux de réduction de 50% d’ici 2030 n’est pas réaliste et n’aura pas l’effet souhaité d’avoir un modèle de production alimentaire plus durable en Europe », estime-t-elle.

Selon Ifoam Europe (agriculture biologique), il est possible d’atteindre 25% des terres biologiques dans l’UE d’ici 2030 si la pac prévoit la rémunération nécessaire pour les avantages de la conversion et du maintien de l’agriculture biologique par le biais des politiques de développement rural existantes ou d’outils innovants tels que les éco-régimes.

Les ONG – Birdlife, les Amis de la Terre ou le Bureau européen de l’environnement –, saluent globalement ces propositions ambitieuses tout en se montrant prudentes sur la manière dont elles seront mises en œuvre sur le terrain. Greenpeace regrette néanmoins que la Commission européenne ne reconnaisse l’impact de la surproduction et de la surconsommation de viande sur la santé, la nature et le climat sans proposer de mesure pour en réduire la consommation.

La viande serait dans le collimateur

Selon l’eurodéputée française Anne Sander (PPE), « il se murmure la fin de la promotion des viandes », dans le cadre de la stratégie de la ferme à la table, a-t-elle expliqué lors d’une visioconférence avec des journalistes le 19 mai. Ainsi, l’institution pourrait arrêter de financer les campagnes de communication soutenant la consommation de viande.

« Ce serait très grave, cela voudrait dire que la consommation de viande est forcément négative pour la santé, et la production de viande forcément négative pour l’environnement. Or, on sait que l’élevage en Europe a des effets positifs sur les territoires et la biodiversité », a-t-elle commenté.

Et de souligner que dans le même temps, alors que les producteurs européens de viande sont en difficulté, la Commission européenne ouvre encore les portes de l’UE à la viande bovine dans le cadre d’accords de libre-échange, dernièrement avec le Mexique. « C’est à cause de telles contradictions que l’Europe se décrédibilise », regrette la députée européenne.

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