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PAC au tison

Aurons-nous des fruits cette année ? À moins d’avoir, avec force bonnets, écharpes et cache-nez, emmitouflé nos pauvres arbres transis par les gels nocturnes prononcés, leurs fleurs si fragiles ne vont sans doute pas résister. Dans les étables, les animaux se morfondent et vident le fond des granges, en attendant des jours meilleurs et un réveil végétatif des prairies, digne de ce nom.

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L’avril « au tison » de cette année 2017 nous rappelle à souhait la fragilité de l’agriculture, tributaire du climat et de ses aléas. Mais pas de souci ! Nous supportons les vicissitudes de la météo avec fatalisme : tout le monde est logé à la même enseigne, et on a beau s’en taper la tête au mur, cela n’y changera rien. Par contre, les contraintes liées à la société des hommes sont souvent bien plus difficiles à accepter, et pénibles à supporter… Les difficultés de notre métier, en contact direct avec la nature, sont déjà suffisamment nombreuses, mais ce n’est pas assez, ce ne sera jamais assez pour ceux qui nous dirigent. Il nous faut surmonter d’autres obstacles, sanitaires et environnementaux, se frayer un passage dans les labyrinthes administratifs, satisfaire les multiples demandes sociétales, versatiles et schizophréniques.

En Europe, cette tyrannie porte un nom : la PAC, un arbre bureaucratique gigantesque, prunellier monstrueux planté dans notre quotidien, broussailleux, épineux, inextricable, envahissant. Il est justement en fleurs, en ce printemps 2017, tout bourdonnant d’idées de réforme, en pleine cogitation, en pleine fécondation intellectuelle. Le gel sibérien de l’actualité aura-t-il raison de ses fruits, attendus en 2020 ? Ceux-ci seront-ils pour nous abondants et amers, comme lors des épisodes précédents, ou davantage sucrés et digestes ? Notre avenir se joue maintenant, c’est le moment c’est l’heure, comme l’avenir des récoltes de nos vergers. Ici aussi, difficile pour nous d’agir, car nos moyens sont dérisoires, pareils à ceux des fruiticulteurs face au gel. Deo Favente ! À la grâce de Dieu, et de ceux qui se sont arrogé le droit de décider à notre place ! Ce qui ne nous empêche pas d’y réfléchir et de faire un petit tour d’horizon des desiderata des uns et des autres.

En ce qui concerne les agriculteurs, la PAC actuelle, bardée de primes, lardée de conditionnalités, fardée de verdissement, n’entretient en aucune façon un climat de bel épanouissement. Les revenus végètent, avec des prix congelés depuis trente ans, cryogénisés par un marché impitoyable qui nous tient dans ses mains glacées. Quant aux « mirobolantes » aides financières, tellement décriées par les opposants de la PAC, et bien, parlons-en ! Elles aboutissent en bout de course dans la poche des professions situées en aval et en amont de notre profession. D’une main, les aides européennes profitent par percolation aux gens qui nous vendent de plus en plus cher leurs machines et leurs tracteurs, leurs équipements, leurs services divers, les engrais et tous les intrants agricoles. De l’autre main, l’argent public qui nous maintient en vie profite au final à la filière transformatrice et commerciale, laquelle nous achète notre production au rabais. L’Europe nous arrose, mais sa manne « providentielle » nourrit surtout les secteurs para-agricoles, un point c’est tout !

Cette situation ne convient pas à tout le monde. Les syndicats agricoles s’y accrochent pourtant, désespérément, comme des noyés à leur bouée, mais ce système d’aides est largement décrié par ailleurs. Les citoyens européens lui reprochent son coût, son manque d’efficacité, et un partage injuste des indemnités entre les agriculteurs (80 % bénéficient à 20 %, selon le sempiternel principe de Pareto). Les aides à l’investissement poussent au suréquipement et au surendettement de l’agriculture ; à la surproduction également, laquelle entraîne ces prix ridiculement bas. La PAC actuelle laboure en un cercle vicieux ; elle déroule en ornière une spirale négative où s’enlisent nos illusions les plus optimistes, les plus créatives.

Alors, que faire ? Les agriculteurs préféreraient, et de loin, ne plus percevoir de primes, mais obtenir des prix corrects pour leurs productions, et cesser d’être l’éternelle « variable d’ajustement » exploitée sans vergogne. On peut rêver… Au niveau de l’Europe, des tractations intenses et compliquées ont commencé aux trois niveaux de pouvoir : Conseil, Commission et Parlement. Pas facile de s’entendre à 28 pays, aux sensibilités et cultures disparates ! Les idées fusent de tous les côtés. Le système d’aides financières agricoles est appelé à évoluer, mais dans quelle mesure, et vers quelle direction ? Depuis sa création en 1962, le rôle économique de l’agriculture a été sur-pondéré, comme consommatrice et productrice de biens, comme écluse essentielle pour accélérer les flux de gros capitaux financiers. Son rôle social a été négligé, puisque la PAC a réduit en charpie son chatoyant tissu paysan. On voudrait maintenant lui confier un rôle environnemental d’importance : gérer le réchauffement climatique par la captation du CO2 dans ses sols, produire de l’énergie verte, sauvegarder la biodiversité, produire des aliments de manière peu énergivore et sans intrants chimiques, entretenir les paysages ruraux…

La Commissaire Hogan voudrait encourager les initiatives innovantes dans ces différents domaines, réduire la fracture numérique d’un monde agricole vieillissant, pour qu’il fonctionne au diapason de notre société moderne, dans un souci d’efficience et d’épanouissement social. Excusez du peu…

Toute cette floraison de belles idées portera-t-elle un jour quelques fruits bien mûrs et appétissants ? Dans le climat actuel des choses, on ne peut que s’accrocher à l’espoir et croire au retour de notre bonne étoile !

Hélas, je crains le pire : PAC au tison, agro-industriels au balcon, paysans en prison…

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