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Des bouliers compteurs pour des morceaux de sucres

Agricultrice, productrice de betteraves sucrières, je ne peux que m’étonner de l’attitude attentiste du secteur bancaire vis-à-vis du projet de la sucrerie coopérative de Seneffe. À l’heure du développement local, du commerce équitable, ce projet répond à une nécessité pour le secteur agricole.

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Comme pour d’autres produits agricoles (lait, viande, pomme de terre…), je souhaite produire du sucre près de chez moi. S’il m’est impossible de construire une petite sucrerie dans la cour de la ferme, je me suis associée à 1.399 collègues pour produire du sucre local.

Et voilà, le projet est prêt, conforme aux exigences sévères des conseillers bancaires :

– Il y a une usine prête à sortir de terre, efficace, peu énergivore, sans chimie, dont tous les coproduits seront recyclés ;

– Il y a des contrats de fourniture de betteraves pour la totalité de la production ;

– Il y a une coopérative agréée à la gestion transparente, ouverte à tous coopérateurs sympathisants ;

– Il y a plus d’un tiers du budget réuni sous forme d’actions coopératives ;

– Il y a 100 emplois directs à créer dans une région fragilisée et trois fois plus d’emplois indirects ;

– Il y a le soutien des pouvoirs publics et des structures de développement régional ;

– Il y a un permis de construire inconditionnel ;

– Il y a des acheteurs potentiels déclarés pour plus de la moitié de la production ;

– Il y a une amélioration potentielle du revenu de 2.000 familles de betteraviers ;

– Il y a…

Ces dernières années et encore plus depuis cette crise du Covid, les banques parlent de relocalisation, d’investissements durables, de respect de l’environnement. Et ce jour, elles ont sur la table un projet concret, durable, local, rentable, ancré dans l’économie réelle, bien loin de subprimes américains ou des fonds gaziers russes.

Que manque-t-il ? De l’audace ? De quoi ont-elles peur ?

Oui, le marché du sucre est un marché fluctuant, comme le sont tous les marchés agricoles tributaires de variations de production naturellement liées à la météo. Mais la variation du cours du cacao n’a jamais empêché la construction de nouvelles chocolateries

Oui, le sucre a une mauvaise image car le sucre en excès peut nuire gravement à votre santé, comme l’abus d’alcool… mais à dose raisonnable, il s’inscrit dans le menu quotidien des Belges.

Oui, il y a d’autres acteurs sur le marché mais nous n’avons pas l’ambition de les remplacer. Il y a en Belgique assez de terres de qualité pour fournir des betteraves à tous les entrepreneurs performants.

Oui, construire une nouvelle sucrerie est un gros projet, avec des contraintes techniques, et ce n’est plus arrivé depuis 30 ans. Mais c’est sans doute moins risqué et surtout plus responsable que des investissements dans des fonds obscurs qui finissent par soutenir des fabricants d’armes et s’effondrent à la moindre crise financière.

Quand en 1841, mon arrière-arrière-grand-père, déjà cultivateur de betteraves, a créé une petite sucrerie avec ses voisins, il a eu le soutien de son banquier, qui avait une vision d’avenir et ce financier s’est enrichi grâce aux bénéfices faits par mon ancêtre.

Alors en 2020, quand la betterave reste un pilier des rotations agricoles, j’attends la même énergie, la même responsabilité, le même bon sens devant 1.400 entrepreneurs dynamiques.

L’Europe entend apporter des milliards pour un redéploiement industriel dans une logique du greendeal. Je ne connais aucun projet plus proche de ce beau concept que cette sucrerie coopérative, équitable, locale, non délocalisable, bien posée sur le sol européen.

Les citoyens qui déposent leur épargne dans les agences sont aussi demandeurs de responsabilité sociétale.

Banquiers, laissez un instant vos bouliers compteurs, chaussez vos bottes. Regardez la véritable opportunité de vous montrer responsables.

Nous avons besoin de tous les banquiers fiables et proches avec un ancrage wallon (CBC), qui nous facilitent (ING) des projets, qui soutiennent l’économie locale (Crelan) dans un monde qui change (BNP Paribas Fortis), qui nous entourent (BeoBank)… Et avec encore bien d’autres qualités.

Au-delà de l’espérance des slogans, c’est le moment de passer aux actes. Aujourd’hui.

Anne, Agricultrice de Thudinie

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