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Ô H2O

« Flitch, flitch, plic, ploc ! », chantonnent les bottes dans les flaques d’eau. Cette fois, ça y est, la pluie est revenue en force et désaltère les prairies. Les gazons reverdissent et les champignons pointent leurs petits nez blancs, de-ci de-là. Le retour de l’eau a lavé les poussières et ravivé les couleurs, après six mois d’abstinence, d’abonnée absente à notre quotidien. Le manque crée l’envie, puis le besoin s’installe et nous fait mesurer la valeur de notre or bleu, lequel pourrait bien, à terme, devenir un précieux objet de convoitises, de spéculations, d’enjeux financiers et politiques.

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Pourtant, qu’y a-t-il de plus banal que l’eau ? De plus abondant sur Terre ? Les trois-quarts du globe sont recouverts de mers et d’océans ; il pleut chaque année sur nos têtes des milliards de mètres cubes ! Hélas, chacun sait que sur Terre 99,9 % de l’eau est, soit trop salée, soit polluée, soit inaccessible. Misère ! Et notre humanité l’a toujours consommée sans compter, sans modération, particulièrement dans nos pays européens arrosés régulièrement. Quand survient une sécheresse prolongée, -aïe aïe ! –, les gens d’ici tombent des nues quand on leur annonce des restrictions. Les agriculteurs, exposés en front de bandière aux réalités météorologiques, mesurent quant à eux la vraie valeur de l’eau. Nous voyons en direct l’herbe s’étioler, les céréales mûrir trop vite, les abreuvoirs des animaux se vider à vitesse grand V. Les maraîchers doivent gérer l’irrigation, leurs ressources en eau et sa distribution. Le climat change, nous devons nous adapter, apprendre un autre métier.

Nous aurions tort de nous plaindre, toutefois. Certaines régions du globe rencontrent des problèmes mille fois pires, que nous jugerions ici insurmontables. Afrique Sub-Saharienne, Australie, Californie, Asie Centrale, Proche-Orient… Hélas, même eux, professionnels de la sécheresse, éprouvent aujourd’hui de grandes difficultés ! L’eau douce se raréfie, c’est le moins qu’on puisse dire. L’or bleu porte bien son nom, et suscite bien des convoitises, y compris celles des vautours de la finance. Le contraire serait étonnant ! Par exemple, en Nouvelle-Galles du Sud (Australie), une société gère un système de quotas. Les exploitations agricoles, et entreprises grosses consommatrices d’eau, disposent chacune d’une quantité de référence, qu’elles peuvent louer ou vendre entre elles (comme nos quotas laitiers). Les partenaires signent des contrats bétonnés dans des lois, croient s’enrichir et se protéger, mais en réalité s’engagent dans un jeu de dupe. Là-bas, l’unité de mesure est le million de mètres cubes, lequel se négocie à 600.000 euros environ, en temps normal, soit 0,6 €/m3. Des spéculateurs ont investi le marché, et profitent des intenses sécheresses pour s’enrichir et ruiner les plus faibles. De nombreuses faillites désertifient le paysage agricole de cette partie de l’Australie.

En Californie, semblable système se met en place peu à peu, avec des contrats d’eau aux prix prédéterminés. Cette région des USA est sèchement impactée par le réchauffement climatique, avec un fleuve Colorado sucé jusqu’aux pierres de son lit. Le jour n’est pas si lointain où l’eau sera cotée en bourse ; elle fera l’objet de transports commerciaux, de stockage, d’accaparement. Elle causera sans doute des conflits politiques et guerriers, comme c’est déjà le cas entre la Turquie, l’Irak et l’Iran, aux sources des bassins de l’Euphrate et du Tigre ; entre Égypte et Soudan, pour le Nil ; en Israël, pour le Jourdain.

Dans nos pays beaucoup plus « humides », d’autres défis se posent, pour alimenter en eau potable les nombreux habitants, pour assurer la navigabilité des voies d’eau, pour refroidir les centrales électriques. Tout près de chez nous, la laiterie Solarec de Recogne-Libramont a manqué d’eau en septembre ; la SWDE est venue à sa rescousse, et a vendu de l’eau à la commune de Libramont. Ô H2O, tu coûtes de plus en plus cher ! 4,5 €/m³, au robinet de la distribution publique ! Pour abreuver son bétail, cela devient très vite un fameux budget ! Mille, quinze cents mètres cubes par an, le calcul est vite fait. C’est pourquoi la plupart des agriculteurs se creusent un puits, et consomment « local ». Les frais engagés sont vite amortis. Mais lors des années ultra-sèches comme 2020, même les puits très profonds perdent leurs eaux, et il faut acheter le précieux liquide.

Qui croirait cela, en voyant tomber les fortes averses de ce début octobre, ces 150 litres/mètre carré en une semaine, toute cette eau dégoulinante venue du ciel, et qui vaudrait tant d’argent ? Beaucoup trop de valeur financière, pour une denrée aussi essentielle ! L’avenir n’a pas fini de nous surprendre…

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