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L’horloge tourne

Comme on dit dans notre petit coin d’Ardenne : « Le mois de novembre s’ra co’vite passé ! ». Le sable du temps glisse entre nos doigts à une vitesse ahurissante, en cette année de disgrâce 2020 placée sous le signe de la Covid-19, de la « co’vite » tout court. Aux horloges, les aiguilles tournent fou et nous piquent nos instants et nos heures. À peine lundi entamé, on est déjà samedi. Hier, c’était le printemps confiné ; aujourd’hui, c’est déjà l’automne, encore confiné ; même les poules ne peuvent plus sortir… Ce temps, quel taon ! Toujours à nous harceler, à sucer notre bon sang de bonsoir, du matin jusqu’au soir !

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Déjà, les arbres perdent leurs dernières feuilles, arrachées par les bourrasques d’automne. Les jours raccourcissent et ne sont plus que les ombres insignifiantes des longues journées d’été. Toussaint, Armistice, et puis la ribambelle des Saints de fin d’année, -Catherine, Éloi, Nicolas, Barbe, Cécile, Lucie… –, nous entraînent dans une folle farandole pour nous conduire à Noël et Nouvel An. Puis une autre année recommencera, et passera aussi vite que celle-ci. C’est bizarre : quand j’étais petit, le temps s’écoulait lentement, posément, sans s’énerver. Plus l’âge avance, plus les minutes et les heures courent à grande vitesse, et on se dit -mince alors !- que le compte à rebours vient de commencer, avant la fin de nos réjouissances, de nos dépits aussi…

Le temps se contracte ou bien enfle. La notion de durée ressentie est relative, comme l’expliquait ce bon vieil Albert Einstein : « Placez votre main sur un poêle pendant une minute, et cela vous semblera durer une heure ; asseyez-vous à côté de votre fiancé(e) durant une heure, et cette heure paraîtra une minute ! ». Quand une vache vous coince 10 secondes avec ses cornes contre une barrière pour protéger son veau, cet instant dure une éternité ; quand vous êtes occupé à traire ou soigner le bétail, deux heures se passent sans qu’on s’en rende compte. Le métier d’agriculteur est excessivement chronophage dans ses multiples tâches, ou plutôt « était », quand on voit aujourd’hui la rapidité avec laquelle les jeunes effectuent divers travaux avec leurs engins de manutention sophistiqués. Ils fonctionnent 10 fois plus vite que nous ! L’ennui, c’est qu’ils doivent exploiter dix fois plus d’hectares, élever 10 fois plus d’animaux pour espérer se dégager un revenu, peut-être 10 fois plus faible…

En 2020, le temps s’est encore accéléré à mes yeux. Il y eut certes cette pause « corona » au printemps. Mais rien n’arrête la marche -ou plutôt la course- du temps, lequel ne se mesure plus en secondes, mais en nanosecondes. Nous vivons à l’ère de l’instantanéité, du clic de souris sur l’ordinateur, de l’écran tactile du smartphone et de la tablette. 3G, 4G, 5G… et demain ? Les blés sont à peine semés dans le monde, que leurs récoltes font déjà l’objet de spéculations, de ventes boursières ! Un paysan digne de ce nom sait pourtant que le froment mis en terre mettra huit à dix mois avant d’être moissonné, que la gestation d’un veau dure 270 jours, et qu’il faudra deux ans de plus avant qu’il ne devienne une vache. Dans la nature, seuls les virus se multiplient par dix ou cinquante mille en quelques heures, n’est-ce pas, vilaine petite Covid-19 ? Les denrées agricoles mettent le temps qu’il faut pour être produites, ni plus ni moins qu’il n’est nécessaire. La sagesse des plantes et des animaux devrait nous inspirer !

Nos parents refrénaient nos ardeurs et notre empressement, au « bon vieux temps », quand nous étions jeunes et passions en coup de vent pour les saluer : « Assieds-toi un quart d’heure, va ! Prends du temps pour parler avec nous ; un jour, tu prendras bien le temps de mourir ! ». « Le temps est assassin, et emporte avec lui les rires des enfants », chantait Renaud. Quand je vois mes garçons grisonner, et mes petits-enfants monter en graine, je me souviens des jours anciens… Je désespère et regrette d’avoir laissé le temps m’emporter pour un voyage sans retour. Je voudrais l’arrêter, mais l’horloge tourne, tourne, tourne…

« Nous ne faisons que passer, dans l’ombre sous la lumière, sans prendre le temps de nous arrêter. Dernier cri, premier arrivé. Aurons-nous de l’eau cet été ? Tout le monde cherche à s’échapper. » (Help myself, Gaetan Roussel)

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