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«The Good Soap», les fiançailles de l’agriculture et du savon

Et il y aura des bulles, mais pas celles que l’on croit, polyphoniques et précaires qui accueillent l’éphémère, le lointain et se dissipent, fragiles, dans l’air. Dans les rouages de l’automne, à côté de sa petite cuve, au milieu de ses flacons, Nicolas Ancion, agriculteur à Saive, nous explique le cheminement qui l’a amené à se lancer dans le savon…

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Certains se diversifient dans le yaourt, le fromage ou encore les glaces.

La diversification vers laquelle Nicolas Ancion s’est tourné est tellement originale qu’il est le seul à l’avoir développée.

Ce petit-fils d’agriculteur, dont le père n’a pas repris l’exploitation laitière, s’est concentré avec ce dernier sur les quelques terres restantes en grandes cultures (triticale, pois, avoine, maïs) qu’il a converties en bio voici deux ans.

HEC et « woofing » en Amérique latine

La question de la valorisation des produits de la ferme s’est rapidement posée au décès de son grand-père. Elle n’aura pas mis très longtemps à germer dans son esprit.

Diplômé de HEC à l’université de Liège, il travaille ensuite comme ouvrier agricole dans le maraîchage avant de s’envoler durant quelques mois en Amérique latine où il pratique le « wwoofing » (World Wide Oportunities on Organic Farms), ce mouvement qui a débuté outre-Manche en 1971 avant de se développer progressivement dans le monde entier. Il permet à ses adeptes de combiner investissement personnel en milieu agricole et découverte des façons de vivre alternatives.

C’est dans l’une des exploitations costariciennes qu’il découvre au fil de son périple sud-américain, qu’il apprend à faire du savon à base d’huiles végétales recyclées selon la technique de saponification à froid. « Il s’agit du processus le plus naturel pour fabriquer du savon » explique Nicolas Ancion. « On mélange un corps gras (de l’huile), de l’eau et l’hydroxyde de sodium (NaOH), communément appelé soude caustique pour obtenir un produit brut, sans transformation aucune, 100 % naturel et biodégradable ».

Un processus extrêmement simple qui a le désavantage de requérir une main-d’œuvre importante et, surtout, du temps car il nécessite une période de séchage longue qui permet la poursuite de la réaction naturelle.

« L’alternative consisterait à chauffer le savon pour gagner en temps, mais cela mobiliserait de l’énergie et s’éloignerait donc de notre démarche » précise Nicolas qui décide, à son retour en Belgique en 2018, de transposer son expérience sud-américaine à la réalité wallonne.

Huiles de chanvre et de tournesol

Son but sera de valoriser localement les produits de la petite exploitation familiale et de se tourner vers les cosmétiques bio, un marché actuellement en plein essor puisqu’il croît de 7 % chaque année pour être actuellement évalué à plus de 3,8 milliards €.

Pour mener à bien son projet, il s’associe avec Boris Louis, un doctorant en chimie, contacte Biowallonie et des agriculteurs voisins, dont Michel Mordant, un arboriculteur qui s’est lancé dans la culture bio de chanvre et de tournesol dont il vend les huiles. Ce sont avec ces dernières que Nicolas Ancion réalise ses premiers tests et sa production de savon avant d’élaborer sa propre huile en 2022, date à laquelle il sera certifié bio.

« On mélange un corps gras (de l’huile), de l’eau et l'hydroxyde de sodium (NaOH), communément appelé soude caustique pour obtenir un produit brut, sans transformation aucune, 100% naturel et biodégradable ».
« On mélange un corps gras (de l’huile), de l’eau et l'hydroxyde de sodium (NaOH), communément appelé soude caustique pour obtenir un produit brut, sans transformation aucune, 100% naturel et biodégradable ».

Et sa technique est unique en son genre. Contrairement à Nicolas et Boris, qui ont développé deux ans durant une formule pour produire du savon liquide, les savonniers utilisent généralement la saponification à froid pour fabriquer du savon solide.

« Les seuls savons liquides disponibles sur le marché sont en fait des gels douches issus d’un mélange de différents surfactants » développe-t-il, « alors que nous, nous développons une véritable molécule de savon qui est la résultante d’une réaction chimique ».

Si, au début, Nicolas Ancion et Boris Louis ont tout d’abord tenté d’élaborer leur savon liquide uniquement à base d’huiles locales de chanvre et de tournesol, ils ont rajouté, au fil de leurs essais, des huiles de coco, d’olive et de ricin.

« Ces huiles-là ont non seulement des propriétés bénéfiques pour la peau mais elles apportent, de plus, davantage de mousse au produit. Psychologiquement, un savon qui ne mousse pas se vend moins bien » précise Nicolas Ancion en indiquant que tout le processus de transformation est assuré dans la petite pièce sise à côté de son garage.

Le jeune entrepreneur est néanmoins avant tout un agriculteur qui voit également dans le pressage de ses huiles une possibilité d’obtenir du tourteau qu’il pourra valoriser en alimentation pour volailles.

Une marque blanche « premium »

Nicolas a d’ores et déjà introduit un dossier en vue d’une autorisation de mise sur le marché au niveau de l’UE. Pour ce faire, le savon liquide devra être analysé par un chimiste spécialisé en cosmétologie qui devra approuver la formule. Une démarche qui devrait aboutir en ce mois de novembre.

Pour son projet « The Good Soap », Nicolas Ancion a été primé lors de l’édition 2021 du concours agri-innovation, le guichet de soutien à l’innovation et à la coopération en agriculture.
Pour son projet « The Good Soap », Nicolas Ancion a été primé lors de l’édition 2021 du concours agri-innovation, le guichet de soutien à l’innovation et à la coopération en agriculture. - M-F V.

Officiellement, le produit s’appellera « The Good Soap » et s’il n’est pas encore disponible à la vente, Nicolas Ancion a déjà été contacté par des magasins bio.

Son but ne sera pas de commercialiser son savon sous marque propre mais bien sous marque blanche « premium » dans les commerces bio et de proximité afin de limiter les intermédiaires, « l’objectif étant d’offrir une juste rémunération à chacun » indique-il.

Quatre fragrances, à base d’huiles essentielles bio, seront pour le moment disponibles : lavande-bergamote, floral, tonic (menthe poivrée, citron) et pain d’épices (girofle, cannelle, orange). Si la formule du savon, gardée secrète, est entièrement mise au point, Nicolas et Boris se penchent sur celles de shampooings, après-shampooings et savons barbe.

Pour son projet « The Good Soap », Nicolas Ancion a été primé lors de l’édition 2021 du concours agri-innovation, le guichet de soutien à l’innovation et à la coopération en agriculture. Il réfléchit désormais à la création d’une coopérative agricole afin de donner accès à ce débouché à un maximum d’agriculteurs.

Marie-France Vienne

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