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Les bons choix

C’est le moment, c’est l’instant de réfléchir à son plan de culture ! Février avance bon train, et les champs se réveillent tout doucement à l’appel d’un soleil qui revient aux affaires, après les interminables semaines d’un hiver à la Jacques Brel, « avec un ciel si gris qu’il faut lui pardonner, avec le vent du nord qui vient s’écarteler ». Que va-t-on semer cette année ? Et d’une manière plus large, quelles surprises 2022 nous réserve-t-il ? Été de foins ? Été de grains ? Inondations ou sécheresse ? Marchés agricoles en hausse, ou dégringolade ? Bye bye covid, ou corona come-back ? Guerre ou paix en Ukraine ? Les questions se bousculent dans les têtes, et laissent autant de réponses à deviner…

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Est bien malin qui peut prévoir l’avenir ! Serait-il préférable cette année de planter des pommes de terre, ou de semer du maïs-grain ? Des betteraves sucrières ou des légumes pour l’industrie de transformation ? Semer un peu de tout pour diversifier ses risques ? Pas question de se louper, en tout cas, si on considère les prix des engrais et de tous les intrants à mettre en œuvre… Forcément, l’une ou l’autre spéculation tirera mieux son épingle du jeu, mais il sera trop tard « après », de découvrir ce qu’il aurait fallu faire « avant ». Le cœur et la raison s’affrontent souvent quand il s’agit de décider ce que l’on va planter ou non. Les patatiers adorent leurs champs de pommes de terre ; les betteraviers ont connu de si belles années qu’ils ne peuvent se résoudre à laisser de côté leur spéculation-reine. De même, en élevage viandeux, les amoureux du Blanc-Bleu-Belge défendent envers et contre tout leur race-fétiche, malgré les déceptions. Quand on aime, on ne compte pas…

En 2022, hélas, il vaut mieux compter ses euros et ses centimes, plus que jamais ! La raison étrangle le cœur, et l’empêche de battre au rythme de ses émotions. Les états d’âme n’ont plus droit de cité dans le monde d’aujourd’hui. Si au moins, on pouvait prévoir la météo des semaines et des mois à venir ! Le dérèglement climatique a relégué les vieux dictons au fond de l’armoire à nostalgies ! Les points de repère ont changé : l’orientation des grandes éoliennes tri-pales indique la direction du vent, et les smartphones donnent les prévisions en continu. Un été sur deux est fort sec-été à grains- ; un sur cinq est bien mouillé-été à foin-. Les cultivateurs doivent s’équiper de matériel d’irrigation pour se prémunir des sécheresses ; les éleveurs doivent garder d’importants stocks de fourrages comme réserves de crise. En année fort humide, d’autres problèmes surgissent, et les planteurs de pommes de terre se rongent les ongles de dépit quand ils voient leurs champs ravagés par le mildiou et d’autres maladies fongiques. La météo donne et reprend à sa guise, depuis toujours.

Au moment des choix, devant leurs parcelles à emblaver, les fermiers réfléchissent à ce qui risque d’arriver. Le climat n’est qu’une simple composante au milieu de multiples incertitudes, et quoi qu’il advienne, les agriculteurs sont habitués à ses caprices et sautes d’humeur. Choisir la bonne plante à semer, la bonne spéculation animale à développer, dépend également d’autres paramètres, inventés par les hommes ceux-là ! On ne fait pas ce qu’on veut, en toute liberté, dans une Union Européenne où la PAC toute-puissante dicte le tempo, dans une Wallonie où rien n’est jamais simple, où les promesses s’envolent très vite aux quatre vents. De nombreuses directives conditionnent l’aménagement du plan de culture, des règles à respecter impérativement si l’on veut percevoir des indemnités, éviter des sanctions. La déclaration de superficie ressemble à une carte d’état-major sur laquelle se pencheraient des stratèges militaires, désireux de mener la bataille agricole à leur guise, afin de vaincre les adversités. Où va-t-on placer telle ou telle culture ? Pas dans cette parcelle trop pentue, à laisser en prairie ; ni dans celle-ci, qui regorge de fausses sources en année humide. Et ce terrain-là, loin de la ferme et en lisière de forêt, est-ce bien raisonnable d’y semer encore du maïs-ensilage ? Pas question en tout cas de labourer cette prairie, reprise en Natura 2000 ! Il faut respecter les clauses du verdissement, laisser une bande le long des cours d’eau, en attendant l’année prochaine les éco-régimes…

L’air de rien, établir un plan de culture adéquat exige de se triturer les neurones ! Bon nombre de fermiers, les anciens, les vieux singuliers comme moi, ne se prennent pas trop la tête et appliquent une rotation classique, sans s’énerver tout seuls, ni nourrir à plaisir leur anxiété. Peut-être ont-ils raison, de ne pas trop se tracasser… Ils font ce qu’ils ont toujours fait, et qu’ils savent bien faire ; ils connaissent leurs terres et leurs animaux par cœur. D’autres, le plus souvent issus de la jeune génération, sont à l’affût de toutes les nouveautés, et n’hésitent pas à innover, à essayer des cultures « exotiques » ou à changer de spéculation animale. Des tas de conseillers -non-agriculteurs- essayent de nous vendre des nouveautés dans un bel emballage enrubanné, mais quand on ouvre celui-ci, on s’aperçoit le plus souvent qu’il ne contient que du vent, des promesses théoriques qui ne s’appliquent pas à notre terroir agricole, aux dures réalités économiques. Celles-ci finissent toujours par nous rattraper, nous punir ou nous bénir…

Le conseilleur n’est pas le payeur, et le mieux peut être l’ennemi du bien. Une fois nos parcelles semées, il est trop tard pour se mettre martel en tête, de toute façon. Il faut attendre et voir, et ça, les agriculteurs savent y faire, car le fatalisme est notre seconde nature. « Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé, et le courage de changer ce qui peut l’être, mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre. »(Marc-Aurèle). Ainsi, aujourd’hui en février, la page de notre plan de culture présente encore pas mal de blancs à colorier. Puisse une entité bienveillante nous inspirer les bons choix !

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