Accueil Cultures

À la découverte du thé… belge : le théier, de l’Extrême-Orient à la Flandre

Le thé n’est plus l’apanage des pays lointains ou tropicaux, comme l’Inde ou le Népal. C’est du moins la façon dont l’enseigne Delhaize l’envisage désormais. La chaîne de grande distribution a en effet conclu un partenariat avec la société belge « Local Tea », qui cultive du thé à la fois aux Pays-Bas et en Belgique.

Temps de lecture : 8 min

Si boire et acheter du thé belge semblait encore totalement incongru voici quelques années, c’est devenu une réalité depuis quelques mois. Du moins si vous vous promenez dans le rayon « thés » de chez Delhaize. Vous y trouverez le « Local Tea », l’une des marques partenaires de l’enseigne, initiée par deux jeunes producteurs qui se sont récemment lancés dans la plantation et la récolte de thé tant en Belgique qu’aux Pays-Bas.

Dionne Oomen et Johan Jansen sont les inspirateurs de ce premier projet de thé en Flandre. Johan en est le fondateur, Dionne la responsable de la production. Tout a commencé lorsque Johan s’est rendu en Chine dans le cadre de ses études. « J’étais déjà sélectionneur de plantes et surtout un amateur de thé, sans rien connaître de cette culture, ou presque. C’est dans ce pays que j’ai appris à le cultiver. De retour en Belgique, j’ai tout simplement voulu partager mon expérience de terrain », explique Johan.

Chez «Local Tea» on ne cueille que les bourgeons ainsi que les deux feuilles qui le suivent. Ceci garanti la fraîcheur et les saveurs des thés.
Chez «Local Tea» on ne cueille que les bourgeons ainsi que les deux feuilles qui le suivent. Ceci garanti la fraîcheur et les saveurs des thés. - M.V.

Johan et Dionne ont été biberonnés au thé depuis leur enfance. « Nous avons finalement peu de connaissances sur le thé, alors qu’il s’agit de la boisson la plus consommée dans le monde après l’eau. Toutes les gammes de thés proviennent en fait d’une seule plante, le théier. Peu le savent, même les amateurs les plus avertis. C’est pour cette raison que nous avons voulu raconter et faire découvrir l’histoire de cet arbuste originaire d’Extrême-Orient.

Un arbuste adapté au climat européen

Pour que le théier soit rentable sous le climat européen, il fallait s’appuyer sur une plante dotée d’une bonne génétique. « Local Tea » a réussi à accroître la tolérance et la résistance au froid et aux températures basses du théier par sélection (sans OGM mais de manière naturelle, avec les fleurs et les abeilles). Ce qui présente de nombreux avantages pour les cultivateurs puisque les plantes ne doivent pas être conservées en serres chauffées. Nous avons croisé des plantes issues de différentes régions, car il faut savoir que le théier ne pousse pas seulement en Chine. On le retrouve aussi dans sur des endroits aussi improbables que des pistes de ski au Japon, ou en Russie. Nous avons fini, après 8 ans de travail, par obtenir un plan qui convienne au climat européen », explique dit Dionne.

Dionne et Johan ont travaillé pendant deux années supplémentaires pour améliorer la qualité de leur produit avant de passer à l’étape suivante. Ils participent en 2018 au concours international des thés du monde organisé par l’Avpa (Agence pour la Valorisation des Produits Agricoles) à Paris. « Plus de 200 pays ont soumis leur thé à un jury d’experts », explique Dionne. « Nous avons fini à la quatrième place et obtenu la confirmation de notre savoir-faire. Il ne nous restait plus qu’à nous lancer dans sa commercialisation pour le partager avec les consommateurs ».

Un produit éthique et respectueux de l’environnement

« Aux Pays-Bas comme en Belgique, la tendance est au locavorisme qui s’adapte à de nombreux produits, sauf au thé qui provient majoritairement de Chine, du Sri Lanka, du Kenya, d’Inde ou encore du Népal et dont la chaîne de valeur n’a malheureusement rien à envier à celles du café et du cacao en termes d’éthique et de durabilité. Mais nous sommes désormais fiers d’offrir aux consommateurs un choix de thés produits à Loenhout (Belgique) ou à Zundert (Pays-Bas) » déroule Dionne en précisant que « Local Tea » est synonyme de conditions de travail, de salaires équitables et de respect de l’environnent.

Un partenariat noué avec Delhaize

Une philosophie qui rencontre celle de l’enseigne Delhaize dont la stratégie porte depuis plusieurs années sur un élargissement de sa palette de produits belges. Le choix du groupe s’est porté sur le thé vert classique ainsi que sur des variantes aromatisées au gingembre ou à la camomille. On retrouve également en rayons des thés noirs aux fruits rouges ou aux vertus apaisantes. Si « Local Tea » est également vendu chez Bioplanet, il n’est pourtant pas biologique pour autant. « Bien que nous produisions notre thé de façon la plus naturelle possible, nous ne pouvons le labelliser comme tél et y apposer l’eurofeuille car selon la législation en vigueur, la récolte de plantes en pot ne peut bénéficier de la certification bio.

En pots et en pleine terre, en Belgique et aux Pays-Bas

« Grâce à une bonne génétique, faire du thé ne s’avère pas trop compliqué. Nous avons débuté avec le théier commun (Camellia sinensis), dont nous avons dégagé plusieurs lignées », explique Dionne. Les serres de « Local Tea » abritent 130 plantes mères originaires de différentes régions du monde que Dionne et Johan croisent pour obtenir le théier idéal dont la production peut être récoltée après un an à un an et demi. « Local Tea » possède actuellement des plantations en pots à Zundert aux Pays-Bas et en pleine terre à Loenhout en Belgique.

La récolte du thé s’effectue avec une «tondeuse» réglable en hauteur  qui ne coupe que le sommet de la plante.
La récolte du thé s’effectue avec une «tondeuse» réglable en hauteur qui ne coupe que le sommet de la plante. - Local tea

« La plupart de nos plantes se situent aux Pays-Bas. Nous y en avons 1,5 million en pots contre seulement 60.000 en Belgique » développe Dionne en expliquant que « les plantes en pots sont plus facilement transportables ». Et d’ajouter « nous souhaitons également nous développer dans d’autres pays ».

Un arbre qui peut atteindre 15 mètres de haut

Beaucoup l’ignorent, c’est que le théier, ou arbre à thé, est un arbuste persistant, compact, dense très différent des plantes comme la menthe ou le basilic, qui sont plus fragiles. « Le théier peut atteindre jusqu’à 15 mètres de haut et avoir une durée de vie de 100 ans » précise Dionne.

La culture présente en outre l’avantage d’être respectueuse de l’environnement, peu énergivore vu qu’en raison de son adaptation au climat européen les serres ne doivent pas être chauffées, et facile à entretenir. « Nous n’avons encore rencontré aucun souci de maladies et de parasites » indiquent en chœur Dionne et Johan en précisant que la plante s’épanouit toujours mieux sur un sol légèrement acide. « Notre production locale nous permet d’économiser jusqu’à 96 % des émissions de CO2 et jusqu’à 99 % d’eau et d’énergie ».

Cueillette au sommet

On peut produire le thé de différentes manières. Plus de 90 % des thés vendus dans les supermarchés sont aujourd’hui des thés CTC (de l’anglais Crushing, Tearing, Curling, « écraser, déchirer, rouler »). Suivant cette méthode, la transformation se fait en découpant les feuilles de thé dans une machine. Les feuilles et les morceaux de branches sont flétris, hachés puis roulés. La plupart des thés noirs produits actuellement dans le monde entier utilisent la méthode CTC. Le produit fini donne un thé bien adapté aux sachets, fortement aromatisé et rapide à infuser. Cette méthode a le désavantage d’homogénéiser la saveur du thé auxquels sont ajoutés divers arômes, couleurs et autres saveurs. « Le vrai thé c’est bien plus que ça » souffle Dionne.

Le processus de production du «Local Tea» ne requiert ni un grand espace,  ni pléthore de machines, lesquelles tenant dans une pièce n’excédant pas 10 m²…  « qui fleure bon le thé frais en permanence».
Le processus de production du «Local Tea» ne requiert ni un grand espace, ni pléthore de machines, lesquelles tenant dans une pièce n’excédant pas 10 m²… « qui fleure bon le thé frais en permanence». - M. V.

Le processus de production de « Local Tea » est complètement différent. « Nous n’utilisons que le sommet de la plante, soit les deux premières feuilles et les bourgeons que nous récoltons avec une large tondeuse réglable en hauteur toutes les 3 à 4 semaines. Le même nombre de semaines est nécessaire à l’apparition d’un nouveau bourgeon. Dionne souligne que les plantes entrent en dormance entre octobre et mars, période pendant laquelle elles produisent peu de bourgeons. « Si nous devions chauffer les serres, nous pourrions y remédier, mais nous ne le faisons pas. Nous voulons que la plante poursuive son processus naturel ».

Les bourgeons, la clef du succès du thé

Que ce soit pour un thé noir, vert, blanc ou Oolong (un thé semi-oxydé, faible en théine, qui peut être dégusté toute la journée et dont la palette aromatique varie énormément selon le degré d’oxydation), tout débute par les jeunes bourgeons du théier. Ils contiennent tous les arômes et les saveurs. « C’est la façon dont vous traitez ces bourgeons, et non l’âge de la plante qui détermine le goût », explique Johan en ajoutant qu’il existe « plus de 500 saveurs différentes de thé ». Et de conclure que « la magie du thé réside en fait dans l’artisanat, un savoir-faire que l’on ne trouvait pas jusqu’à présent sous nos latitudes. C’est désormais chose faite avec Local Tea ».

Les bourgeons sont transformés en thé dans une zone de production située juste à côté des serres. Le processus de fabrication du thé vert varie légèrement différent de celui du thé noir. Pour obtenir du thé vert, les feuilles sont seulement chauffées dans un tonneau rotatif à 285 degrés pendant 5 minutes. Contrairement au thé noir, les feuilles ne sont donc pas oxydées. Elles sont ensuite roulées sur elles-mêmes afin d’en extraire les huiles essentielles qui confèrent au thé son odeur, sa couleur et son goût. Elles passent dans l’armoire à séchage (ou dessication) là où elles sont soumises à un courant d’air très chaud (environ 90ºC) afin d’en abaisser le taux d’humidité à un niveau proche de 3 %. À la différence des thés verts, les thés noirs sont entièrement oxydés et leur fabrication nécessite davantage d’étapes : tout d’abord le flétrissage, ensuite le roulage avant le passage en salle d’oxydation. Comme le thé vert, le thé noir passe par l’étape de la dessiccation avant celle du triage (par tamisage) et de l’emballage des feuilles.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce processus de production ne requiert ni un grand espace, ni pléthore de machines, lesquelles tenant dans une pièce n’excédant pas 10 m² … « qui fleure bon le thé frais en permanence. Nous n’avons pas besoin de plus que ça pour fabriquer des milliers de sachets de thé ne pesant pas plus de 2g chacun ».

Marie-France Vienne

D’après Marlies Vleugels

A lire aussi en Cultures

Voir plus d'articles