Ruffus fête ses 20 ans
Planté en 2002, le vignoble des Agaises est devenu en 20 ans le plus grand et le plus important domaine viti-vinicole belge. Retour avec Raymond Leroy et Etienne Delbeke sur cette formidable épopée qui a donné ses lettres de noblesse aux vins effervescents du pays.
Relancée tant en Flandre qu’en Wallonie vers la fin des années soixante, la viticulture belge fut jusqu’aux années 2000 l’affaire de quelques amateurs qui avaient créé un petit vignoble dans leur jardin ou sur un terrain leur appartenant, parfois aussi dans des endroits plus étonnants, comme le terril de Trazegnies ou dans les jardins suspendus de Thuin.
Une des plus importantes réalisations de ces années fut la création du Domaine de Mellemont à Thorembais-les-Béguines en 1993 qui s’inspira de l’expérience de Charles Henry à Seraing et qui, avec ses 4 hectares, fut longtemps le plus grand vignoble de Wallonie. Un vignoble qui est toujours bien vivant et qui a récemment été repris par quatre jeunes enthousiastes.
En mars 2002, plantation de deux premiers hectares à Haulchin, non loin de Binche, par une équipe menée par Raymond Leroy : la cuvée Ruffus va rapidement gagner le cœur du public et devenir l’une des grandes « success-stories » de la viticulture belge.
Mais l’aventure démarre en réalité vingt ans plus tôt, en 1981, à deux pas de là, à côté du domicile de Raymond Leroy et de sa femme.
Premiers pas
À son retour, comme prévu, Raymond entre dans l’entreprise familiale et assure les tournées dans la région. « J’avais envie de créer un vignoble, mais je ne savais pas du tout où. Soit j’achetais en France, soit je plantais. Il faut bien se rendre compte qu’en 1980, il n’y a quasiment rien comme vignobles, juste sur le terril à Trazegnies, l’idée était un peu saugrenue.
Chaque fois que je déposais des vins dans mes tournées, je regardais le terroir et j’ai été séduit par les terres calcaires où nous nous trouvons aujourd’hui, qui appartenaient à la famille Delbeke, des fermiers voisins spécialisés dans la pomme de terre. Je vais voir Joseph Delbeke et je lui demande de pouvoir faire un essai de vignoble. Je me souviendrai toute ma vie de sa tête : il m’a tout simplement fait comprendre qu’il n’avait pas que cela à faire et m’a gentiment envoyé balader. De dépit, j’ai planté 600 pieds de Pinot noir chez moi à Faurœulx en 1980. Ce n’est certes pas un terroir à vignes, mais je suis content… Aujourd’hui, ce sont 100 à 200kg de raisins qui entrent dans la composition du rosé. »
Rebondissement
L’histoire aurait pu en rester là, s’il n’y avait eu fin 2001, le Banquet des Anciens de Bonne-Espérance. « Celui-ci a lieu chaque premier samedi d’octobre, se remémore Raymond, nous sommes à chaque fois 6 ou 700 à manger ensemble (quand on se retrouve comme cela, c’est effrayant, rit-il…) et là un de mes amis me présente au fils de Joseph Delbeke, Etienne, qui est de la même promotion que lui. « Ce nom me dit quelque chose, me dit-il, vous n’êtes pas venu voir papa ?… Ah oui, c’était en 1981, et il me demande alors si j’étais toujours prêt à le faire ? »
Comme ils étaient « tous deux bien torchés », Raymond Leroy n’y croit qu’à moitié, mais le lendemain, Etienne Delbeke vient lui déclarer qu’il est prêt à relever le défi.
Soucieux de ne pas prendre de mauvaise décision, les deux hommes invitent Thierry Gobillard, un producteur champenois que la famille de négociants importait depuis trente ans et devenu proche des Leroy. « Je lui montre les terres, poursuit Raymond, et il me dit qu’elles sont parfaites pour planter. Dans les trois mois, on faisait notre société, et on a planté les premiers pieds en mars 2002, tout a été très vite. »
Outre Thierry Gobillard et Etienne Delbeke, rejoignent la société Michel Wanty, l’oncle d’Isabelle (la femme de Raymond) et Joël Hugé, un ami.
« Au départ, je ne voulais planter que 30 ou 40 ares, avec quelques milliers de pieds de vigne, mais dès la première réunion, Thierry a demandé que cela soit directement un hectare. Une semaine plus, il revient et annonce que l’on va même démarrer avec deux hectares, sinon c’est du jardinage…
Je n’étais pas sûr que cela soit une réussite, notamment au vu de ce que je faisais chez moi, et en plus, avec cette surface, il faut tout de suite du matériel et prévoir une cuverie. Comme je le disais, il ne faut pas oublier qu’il n’y avait rien comme vignoble ni comme effervescents, à part Chardonnay Meerdael à Oud-Heverlee qui a démarré peu de temps avant nous, et qui a d’ailleurs pris ses pieds de vigne chez Gobillard. »
« Pour des pommes de terre, poursuit Etienne Delbeke, ancien président de la Fiwap, il faut des terres profondes et bien pourvues, et certainement pas du calcaire sur des sols très peu profonds. Comme ces terres blanches n’étaient pas des terres prioritaires au niveau de la ferme, je me suis dit, « Dans le fond, pourquoi pas ? »
« De fil en aiguille, après la visite de Chardonnay Meerdael, du vignoble de Thierry en Champagne, on s’est dit que c’était un univers avec un aspect technique que l’on pouvait approcher, certainement pas un aspect rigolo, ce n’est pas juste boire un coup entre copains. »
« Via Thierry Gobillard, on avait accès à la technique, c’est lui qui nous a tout apporté. Il suit encore les assemblages, mais depuis dix ans, les enfants de Raymond ont pris son relais. John est œnologue et Arnaud s’occupe de la commercialisation. »
L’envol
Médailles en pagaille
L’équipe présente son premier vin au Concours mondial de Bruxelles et s’offre le culot de décrocher une médaille d’argent… Ruffus est vraiment bien lancé, mais il faut dès lors trouver des terres pour se développer. Après de longs mois de négociations, l’équipe a pu racheter huit hectares à des voisins et exploite aujourd’hui 31 hectares, ce qui en fait le plus grand vignoble belge en production. Quasiment tout en Chardonnay, mis à part 8 % de Pinot Meunier et Pinot noir.
« Le problème est de trouver de nouvelles terres propices à notre culture. Grâce à des accords avec des membres de ma famille, ajoute Etienne Delbeke, nous allons pouvoir malgré tout racheter et ajouter quelques hectares. Financièrement parlant, l’entreprise est superbe, mais nous n’avons pas un euro devant nous. Il faut toujours réinvestir, replanter… Avec notre nouvelle cave, l’agrandissement du chai prévu dans les prochains mois et les plantations, nous serons à plus de dix millions d’investissement depuis vingt ans.
En effet, « dans les années 2000, reprend Raymond, un hectare était vendu 5.000 euros, car ses terres étaient trop pauvres et ne valaient rien pour l’agriculture. Maintenant, cela peut atteindre 50.000 euros !! C’est dingue, cela coûte plus cher qu’un hectare déjà planté en Petit-Chablis ! »
La donnée climatique
Le mot de la fin