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Hendrik Dierendonck: «À quatre ans, j’ai décidé de devenir boucher»

La voix est rocailleuse, l’accent roule comme dans le nord où le vent s’affaire dans le ressac gris des nuages moutonnant. Ils racontent les pas lourds des animaux, insinuent les effluves de l’élevage, résonnent du couperet et de la feuille sur le billot.

Temps de lecture : 8 min

«  Je suis quasiment né dans la boucherie », annonce Hendrik Dierendonck qui a décidé très jeune, de reprendre le commerce familial, fondé en 1970 à Saint-Idesbald (Coxyde), pour s’inscrire dans les pas de son père Raymond « qui a toujours exercé son métier avec passion ».

Formation à Dixmude, travail à la boucherie familiale

Âgé de 47 ans, Hendrik est devenu la « star » d’un métier a priori très peu glamour.

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Mais ce métier, il l’a dans la peau, il s’y est frotté dès son enfance, commençant à donner un coup de main à la boucherie en rentrant de l’école, à une époque où ses parents travaillaient près de trois mois sans le moindre jour de congé. « Sauf en hiver, où mon père avait pris l’habitude, à l’aube des années 80, de dégager du temps pour aller à la découverte de nouveaux produits avec, déjà en tête, l’idée de se diriger vers une boucherie d’exception ».

Pendant ce temps, Hendrik suit sa formation de boucher en semaine à Dixmude, travaille le week-end dans la boucherie familiale et fourbit ses armes durant l’hiver tout à tour à Gand, Bruges et enfin Bruxelles.

« Il faut avoir du respect pour l’animal, pour le travail de l’éleveur »

De ces années, il se souvient du respect de son père pour les éleveurs et les animaux qu’il mettait un point d’honneur à acheter lui-même, allant souvent, pour ce faire, jusqu’à Bastogne, avant de reprendre, à 4 kilomètres de sa boucherie, une petite ferme à Furnes, dans laquelle il habite toujours.

Si son père travaillait avec un troupeau de Rouge des prés, Hendrik s’est quant à lui orienté vers la Rouge des Flandres au moment où il reprend le commerce familial en 2001.

Cette vache trapue à la robe rousse profonde et homogène, incontournable jadis dans les prairies de Flandre-Occidentale, était alors devenue une race quasiment en voie d’extinction. Elle bénéficie désormais à nouveau de l’écosystème du Westhoek.

« Tout le monde ou presque faisait du Blanc-Bleu-Belge à l’époque, et je souhaitais pour ma part travailler avec une race qui s’inscrivait dans notre patrimoine régional » rembobine Hendrik en précisant que lorsqu’il s’est lancé dans cette spéculation « il n’y avait plus que 800 bêtes de race pure encore inscrites en Belgique ».

Il y en a désormais environ 3.500 dans notre pays qui compte 13 éleveurs inscrits au Herd-book.

En plus de son propre élevage, Hendrik travaille avec cinq éleveurs flamands dont les exploitations sont situées à proximité immédiate de Saint-Idesbald.

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La Rouge des Flandres ressuscitée et repopularisée

On peut le dire, c’est en quelque sorte lui qui a sauvé cette race mixte de l’oubli.

Mieux, il l’a repopularisée et remise au goût du jour, qui plus est sur les meilleures tables du royaume avec le concours de plusieurs restaurateurs haut de gamme et étoilés qui apprécient le goût prononcé, la tendreté et le persillé de sa viande.

Ce succès, il le doit à son souci de totale transparence dans son métier. Pour ce faire, il repense le magasin familial en 2006, fait en sorte que ses clients puissent, par exemple, pénétrer dans l’atelier de découpe. C’était en soi une petite révolution à une époque où l’on sent poindre les prémices d’un courant de pensée anti-viande qui délégitime sa production et sa consommation et remet en cause, y compris par l’absurde, les appels à sa non-consommation ou à la disparition de l’élevage d’animaux de rente.

« Tu ne vas quand même pas montrer de la viande ! »

Hendrik Dierendonck n’a pas peur d’aller à contre-courant de cette tendance, il affiche au contraire sa fierté pour un métier et un produit qu’il vit et le font vivre.

Une position qui contribue à sa notoriété puisque les médias commencent à s’intéresser à lui en 2008, suivis de près par le monde de l’HoReCa et de tout ce qui compte sur la planète de la gastronomie.

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Il ouvre dans la foulée un second magasin à Nieuport, livre les plus grands chefs belges parmi lesquels Peter Goossens (Hof van Cleve), Sergio Herman (Le Pristine), David Martin (La Paix) et Christophe Hardiquest (Bon-Bon).

La renommée d’Hendrik a dépassé les frontières de sa Flandre natale. Elle s’est étendue à Bruxelles et à la Wallonie grâce à sa participation à « Culinaria », l’événement annuel dédié à la gastronomie belge où il fait la connaissance de Pierre Marcolini, « qui est devenu un véritable fan » sourit-il.

Par le biais de sa collaboration avec « Paris Brussels Gastronomy », il livre également ses produits au double étoilé parisien Bruno Verjus (La Table).

La philosophie « Nose to Tail »

Avec la multiplication des sollicitations, Hendrik commence à être à l’étroit dans ses murs. Il ouvrira en 2015 un grand atelier dans le zoning de Furnes où il effectue désormais toutes ses préparations. La même année, il fonde, à Saint-Idesbald, son restaurant « Carcasse » qui ne désemplit pas, surtout le week-end.

« Nous ne proposons ni frites, ni sauce au menu, seulement un florilège de viandes maturées (Rouge des Flandres, Holstein, Aubrac, Angus, Hereford, Simmental…) avec trois sortes de légumes, déroule Hendrik en précisant qu’il vend en boucherie de la viande issue de non moins de seize races différentes.

Le boucher-restaurateur est également l’un des fers de lance du « Nose to Tail » (du museau à la queue), qui consiste à utiliser littéralement chaque partie de l’animal abattu et garantit une consommation durable et responsable de la viande.

« Une belle viande, c’est comme un bon vin »

La viande maturée n’est pas ancrée dans l’ADN de la famille Dierendonck.

Son père n’en était d’ailleurs pas réellement adepte, même s’il pratiquait déjà la maturation dans les années 70, à une époque où ce concept n’était pas encore dans l’air du temps.

En hiver, se rappelle Hendrik, « il avait l’habitude d’abattre un animal toutes les trois semaines ». Comme les clients étaient rares, cela permettait à la viande d’avoir le temps de reposer et de s’attendrir.

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« C’était le cours normal des choses, la viande restait là pendant deux semaines, parfois trois ».

Pour parfaire ses connaissances en la matière, il est allé observer le travail de ses pairs en Grande-Bretagne, là où les bouchers « on un temps d’avance dans leurs connaissances du travail de la viande ».

Ils pratiquent ce que l’on appelle le « Dry Aging », une technique qui consiste à suspendre le morceau de viande immédiatement après l’abattage afin de le faire fermenter. Ce processus, très contrôlé, permet à la viande de maturer et de sécher longtemps, jusqu’à obtention du goût et de la texture souhaités.

Son approche sera toutefois différente, « j’affine plus que je ne laisse maturer mes viandes, je les travaille comme un affineur le fait avec un fromage » déroule-t-il.

Elles passent dans trois frigos. « Au cours du processus, on travaille un équilibre entre la température, la circulation de l’air et l’humidité. C’est précis, très précis ».

L’humidité de la viande s’évapore et la graisse se diffuse dans la chair. C’est plus riche en goût.

Pour autant, il ne faut pas, selon lui, laisser vieillir une viande juste pour le plaisir. « Une belle viande, c’est comme un grand vin, comme un bon fromage, il faut l’apprécier à son apogée ».

Et de compléter que « cet apogée, le bon moment, le vrai boucher, l’artisan, il sait, il connaît. Alors il la sort du frigo, la prépare et peut en parler au client : d’où elle vient, comment elle a grandi, comment elle a été préparée ».

Manger moins de viande, mais de qualité

Accaparé par un tourbillon d’activités, Hendrik Dierendonck souhaiterait néanmoins revenir davantage sur le terrain « pour rendre visite à ses éleveurs, en découvrir de nouveaux ».

Il a su s’adapter à l’évolution des mœurs, aux nouvelles tendances sociétales. L’alimentation n’est plus la priorité absolue des citoyens tandis que la grande distribution « accroît la pression sur les fermiers ».

Il a compris, et c’est bien là son intelligence, que les bouchers et les agriculteurs doivent désormais travailler différemment.

« Il faut changer le système et investir, se diversifier, se spécialiser et proposer un produit « exceptionnel ».

Voilà sept ans, il se démarquait déjà en affirmant qu’il fallait manger moins de viande, mais de meilleure qualité. Une prise de position qui lui avait alors valu une volée de bois vert de la part de ses collègues bouchers mais aussi d’éleveurs et d’abattoirs.

Et pourtant. Il vit l’exigence de ses clients au quotidien. « Ils veulent connaître l’origine de l’animal, la façon dont il a été nourri, traité, abattu et questionnent mon travail ».

Hendrik se considère comme un artisan qui évolue dans un marché de niche où les prix sont logiquement plus élevés.

« Quand j’ai commencé dans la profession, on me disait que jamais je n’allais pouvoir vendre mes produits aussi chers, sauf que lorsque l’on est passionné, que l’on propose de la qualité, on rencontrera une clientèle qui les achètera parce qu’elle partage cette philosophie ».

Redonner leurs lettres de noblesse à la viande et au métier d’éleveur, de boucher, telle est la volonté d’Hendrik Dierendonck qui se considère comme un « ambassadeur » de sa profession. Entre tradition, ambition et modernité.

Marie-France Vienne

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