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Ferme/Domaine des Hêtres: deux entités pour une production fruiticole locale, diversifiée et de qualité

C’est à Rosoux-Crenwick (Berloz), que la famille Goffin exploite sur une centaine d’hectares vergers et aspergeraie. Au vu du déclin des marchés pour les variétés traditionnelles, elle a réorienté sa production avec la plantation de variétés dites de niches, qui ont la particularité d’être particulièrement gustatives et résistantes aux maladies. Rencontre avec Nicolas Goffin, l’un des acteurs de cette réorientation qui leur a fait du bien.

Temps de lecture : 8 min

Chez les Goffin, la fruiticulture est une affaire de famille. « Du temps de Joseph, mon grand-père, l’entreprise agricole « Rosoux plants » travaillait les cultures traditionnelles comme la pomme de terre, la betterave et les céréales… C’est dans les années 60 qu’il se lance dans la plantation des premiers hectares de poires « Conférence » et « Doyenné » en Belgique et de pommes Golden. Cela représentait un vrai défi car tout était encore à faire pour développer ce marché », nous confie Nicolas Goffin, l’un des 4 associés actuels de la Ferme des Hêtres.

Dans les années 80, arrive la Jonagold. Là aussi les Goffin, par l’intermédiaire des parents de Nicolas, à savoir Jules-André et Anne Catherine, sont pionniers dans la plantation de cette variété qui gagne alors en popularité. « Tout cela a très bien fonctionné pendant des années et c’est dans les années 2000 que nous nous sommes lancés dans les cerises. » L’exploitation plante ainsi ses premières griottes ainsi que des variétés de bouche.

C’est également à cette période que Jules-André plante ses premières vignes ainsi que les asperges vertes, un marché qu’il a commencé et développé pour que la Ferme devienne aujourd’hui le plus gros producteur de Belgique.

Actuellement, outre les 7 effectifs à temps plein, une trentaine de saisonniers travaillent quotidiennement dans l’exploitation. Sur la centaine d’ha travaillée, une vingtaine est dédiée aux asperges, récoltées du 15 avril au 1er juillet ; une douzaine d’hectares de cerises douces et 5 ha de griottes, récoltées en juillet août; 4 ha de prunes, dont Jubileum, mirabelles et reines-Claudes, récoltées entre août et octobre ; une quinzaine d’hectares de pommes ; 32 hectares de poires ; 8 ha de raisins ; et 1,5 ha de noisettes, dont les arbres sont plantés en haie en clôture des surfaces.

Jules-André Goffin, le papa de Nicolas, qui a notamment planté les premières vignes du Domaine des Hêtres dans les années 2000.
Jules-André Goffin, le papa de Nicolas, qui a notamment planté les premières vignes du Domaine des Hêtres dans les années 2000. - P-Y L.

Étoffer son offre

Retour en 2007, année durant laquelle Nicolas revient sur l’exploitation familiale après des études en sciences économiques. Il s’associe avec ses parents et son frère Alexandre. La fratrie participe activement à l’évolution de la ferme familiale originellement tournée vers les produits traditionnels. L’objectif est clair : diversifier la production. « Sur le marché, la plupart des fruiticulteurs ont planté des variétés classiques comme la Jonagold. Cela fonctionnait bien jusqu’à l’embargo russe, moment où nous avons commencé à nous remettre en question. Vu que nous vendions certains de nos produits localement, nous avons voulu étoffer notre gamme et notre offre pour rendre la chaîne logistique plus rentable. »

« Cette crise nous a donné un coup de fouet pour nous mettre en selle par rapport au marché existant… Nous avons donc planté des variétés qualitatives qui trouvent leur place sur des marchés de qualité à destination de consommateurs avertis, qui souhaitent une différenciation par rapport à ce que l’on peut consommer tous les jours. »

Des espaces tests

Dans tout ce qu’ils entreprennent, les Goffin mettent d’abord le pied à l’étrier pour sentir le marché, toujours en culture raisonnée. Et récemment, les nouvelles plantations se tournent vers des variétés nettement moins orientées « export », mais davantage « marché national ». « En pomme par exemple, nous proposons de la Wellant, de la Redlove – une variété à chair rouge –, de la Pirouette – une variété très aromatique –, ainsi que la WUR29 (HoneyCrunch). Des variétés très gustatives mais aussi résistantes aux maladies. »

« Nous avons toujours planté des produits en fonction de leur goût – et celui du client – et de leur résistance aux maladies. Nous repérons les variétés chez un pépiniériste, aménageons des espaces-test et suivons la variété pendant 3 à 4 années. »

En fonction du retour du client, nous déterminons quelle variété plaît avant de la développer sur des superficies plus importantes. La Wellant, connue aussi sous le nom de Belle de Rosoux, variété très aromatique, est toujours numéro 1 au niveau des tests consommateurs », note Nicolas. C’est la raison de son succès.

La Belle de Rosoux, la variété numéro 1 dans les tests consommateurs.
La Belle de Rosoux, la variété numéro 1 dans les tests consommateurs. - P-Y L.

Les Goffin ont récemment planté des prunes, dont la Jubileum. « C’est une variété très gustative, au gabarit plus grand, propice à la production et à la conservation. De nouvelles opportunités existent à ce niveau-là. D’autant que nous voyons une certaine demande. C’était notre première année de récolte et les retours des consommateurs sont vraiment excellents. »

Organiser son commerce

« Comment procède-t-on ? On conserve, on trie et on vend nos fruits en direct à nos clients sur le marché. On gère le commerce ! Nous avons pris l’option d’un schéma d’organisation plus compliqué afin de développer notre clientèle. Nous plantons pour des clients que nous connaissons. Nous trouvons le débouché avant de les produire. Nous pensons d’abord local avant d’ouvrir les portes à d’autres clients. Au fur et à mesure, nous nouons des liens avec des gens enthousiastes par rapport aux produits locaux, et ciblons les commerces qui pourraient s’y intéresser, comme les grossistes ou autres acteurs de la moyenne et grande distribution. »

« Notre force : servir de l’ultra frais ! Un client nous passe une commande, nous cueillons ce qu’il nous demande, nous le conditionnons pour lui livrer le lendemain. »

« Peu de fruiticulteurs font ce que nous faisons car il faut pouvoir en organiser le commerce. Les coopératives sont là pour le faire mais qui peut faire son commerce sur d’aussi grosses quantités ? Le commerce de nos fruits demande une logistique, des frigos qui représentent des investissements lourds. Nos frigos tournent pour l’ensemble de nos produits. Nous les amortissons donc sur différentes gammes de fruits. »

À force de développer des produits de niches, l’exploitation attire des clients qui viennent pour l’ensemble de leurs produits. « Ils sont contents d’avoir un producteur avec qui ils peuvent avoir une relation commerciale toute l’année. »

Nicolas Goffin sur la valorisation de la production : « Tu ne sais vendre un produit facilement que s’il est exceptionnel. La question a donc été de savoir comment se différencier en temps de crise, si ce n’est en ayant des produits qui sont qualitatifs ? Il faut savoir changer son fusil d’épaule et prendre les directions les plus adéquates. Le marché change tous les 5 ans. Il n’attend pas que l’on amortisse tous nos investissements pour évoluer. Raison pour laquelle nous avons planté de nouveaux produits pour lesquels on imagine avoir la clientèle. Ces paris sont osés mais calculés. C’est beaucoup de travail mais quel plaisir d’avoir les retours positifs de la clientèle. »

La diversification et la taille de l’exploitation permettent de proposer du travail aux saisonniers toute l’année, autant pour la taille en hiver que pour la cueillette. Ils peuvent ainsi pleinement profiter des 100 jours disponibles pour le secteur.
La diversification et la taille de l’exploitation permettent de proposer du travail aux saisonniers toute l’année, autant pour la taille en hiver que pour la cueillette. Ils peuvent ainsi pleinement profiter des 100 jours disponibles pour le secteur. - P-Y L.

Arriver quand il y a un vide

Le parti pris chez les Goffin est de pouvoir également se positionner avec des produits quand il n’y a plus d’autre offre sur le marché. « En cerises, nous avons pris une belle extension. Nous plantons une partie en cerise tardive pour arriver plus tard sur le marché et nous positionner quand le marché est moins rempli. »

Autre exemple : après les prunes, la famille Goffin s’est lancée dans les mirabelles et les reines-Claudes. « À l’époque où nous les vendons, les marchés espagnols et français sont terminés vu que nous sommes dans une région plus nordique. Nous proposons donc un produit qui n’est plus sur le marché et pour lequel la demande existe. »

Un écosystème d’activités

Autre secteur d’activité pour la famille Goffin : le Domaine (viticole) des Hêtres. « Si la ferme s’occupe des fruits, le Domaine ne concerne que les raisins que nous vinifions nous-même, tant dans une direction effervescente que vin tranquille. Notre projet est conséquent en termes de vignes. Nous savons que le vin ne doit pas être directement rentabilisé mais pourra apporter plus tard un gros coup de pouce à notre structure. L’idée d’ici quelques années est de transformer notre hangar en chai et ouvrir nos portes aux (œno)touristes par l’intermédiaire d’un gîte. »

« Quand nous nous sommes lancés dans les vignes, nous avions déjà tout le matériel nécessaire à l’entretien des vergers… Nous avons ainsi réalisé des économies d’échelle, qui permettent de ne pas trop supporter les coûts par une seule culture. »

Un échantillon des productions à valeur ajoutée du Domaine et de la Ferme. Outre les jus, la famille Goffin produit des vins tant effervescents que tranquilles.
Un échantillon des productions à valeur ajoutée du Domaine et de la Ferme. Outre les jus, la famille Goffin produit des vins tant effervescents que tranquilles. - P-Y L.

Le verger de Nicolas

« Le verger de Nicolas » est une marque créée dernièrement qui permet à l’exploitation d’avoir une identification et spécialement sur le marché français. « Nous utilisons des caisses en carton signée à notre nom qui ont l’avantage d’être moins chères que des caisses en bois.. »

« Pour le packaging, nous nous sommes inspirés des produits français pour lesquels les gammes sont étendues, diversifiées, et locales ! Le panel de choix en France est beaucoup plus important que ce que l’on a chez nous. J’ai une certaine admiration pour ce qui y est fait car la notion de « terroir » est davantage travaillée ! »

Protection des cultures

Pour avoir des relations stables et durables avec leurs clients, les exploitants doivent garantir un approvisionnement chaque année. « Pour avoir des clients fidèles dans le temps, il faut te donner la possibilité de leur être fidèle. Raison pour laquelle il est important de protéger les cultures. »

Les fruiticulteurs ont donc placé des bâches pour empêcher l’éclatement des cerises, reines-Claudes et mirabelles… sous l’effet de la pluie. Nous garantissons aux clients une continuité au niveau des produits.

Quand la récolte de Wellant bat son plein.
Quand la récolte de Wellant bat son plein. - P-Y L.

« Pour la WUR29, nous comptons placer des filets anti-grêle. Il y a souvent de la grêle dans les zones de hauts vents… Nous devons donc réaliser des investissements importants mais qui permettent de garantir chaque année une production. Cela fait partie des enjeux de demain… »

« … Tout comme l’empreinte locale, qui à mon sens, va devenir inévitable ! Quand on voit les coûts de transports, il ne sera peut-être bientôt plus possible d’aller chercher des produits aux quatre coins du monde, à toute saison. C’est là que l’agriculteur a sa carte à jouer », conclut Nicolas.

P-Y L.

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