Dans son article « La fin d’une année difficile » paru dans les « Voix de la terre » du 23 décembre, M.D., ironisant à propos du bio, prétend qu’il ne faut pas se baisser pour ramasser les primes et que beaucoup d’agriculteurs comptent profiter de la bêtise de certains consommateurs. C’est un peu court. Que dirait M.D. si un producteur bio lui répliquait, qu’en analysant honnêtement la situation, il se rendrait compte que beaucoup d’agriculteurs conventionnels restent bloqués dans les pseudos dogmes de leurs pratiques chimiques ?
Quant au fait que 90 % des installations en bio se feraient bassement pour les primes, je suis partiellement d’accord avec lui. Si Je me suis converti officiellement au bio en 1995, c’était pour les primes. Nous venions de bâtir une étable en association mon fils et moi, et nous avions besoin d’argent frais. Je me considérais déjà comme bio car, installé depuis 25 ans sur mon exploitation, je n’avais jamais utilisé ni engrais chimique, ni pesticides et, ayant suivi des cours de Nature et Progrès, je soignais déjà, partiellement, mon bétail et ma famille par homéopathie et phytothérapie. Jugez donc de ma surprise quand, un an plus tard, Ecocert me signala que pour épandre mes effluents d’élevage je devais demander une dérogation ou faire agréer mon cheptel en bio. Pour la petite histoire, notre exploitation fut la première à livrer du lait bio à Walhorn.
Mais, revenons au 90 % d’installations « bioprimes ». J’ai été un des initiateurs du groupe de travail bio aux UPA, puis à la FWA, j’ai participé à quelques réunions du COPA. Souvent des producteurs m’ont téléphoné pour des problèmes dont la solution pouvait être « chimique » mais était interdite par le cahier de charge. Des bêtes étaient malades, des terres et pâtures étaient bloquées par des pratiques antérieures, rien ou quasi n’y poussait. Les techniciens conseilleurs et vétérinaires se préoccupaient souvent fort peu du règlement bio, ils avaient la solution, « tu n’as qu’a… », « On ne verra rien ! ». Le réveil de ces chasseurs de primes fut dur. Je ne connais personne qui soit passé à travers les contrôles, mais j’ai connu pas mal d’exclus qui ont dû rembourser 2, 3, 4 années de primes avec de solides grincements de dents. Les vrais pionniers du bio, eux, ont échangé, lu, réactualisé des solutions anciennes, créé de nouveaux savoirs faire, des techniciens se sont formés. Certains remèdes issus de la recherche biologique sont aujourd’hui utilisés avec succès et satisfaction en conventionnel. La mentalité « bioprimes » ne dure, en général qu’un an, après, on devient réellement bio ou on disparaît du secteur. À une certaine époque, l’ex laiterie de Herve a payé le lait bio au prix conventionnel. Vu les coûts, les producteurs bios vendaient à perte, certains ont continué leur plan de cinq ans pour ne pas rendre leurs primes, puis sont retournés dans le conventionnel. L’un d’eux, toujours bio à l’heure actuelle, m’avait sonné pour me dire que s’il ne parvenait pas à avoir un plus pour son lait bio, il arrêterait à la fin des 5 ans, mais il a ajouté « Gustave, si je reviens au conventionnel, je te jure bien une chose, quand j’ai vu comme mes prairies étaient bloquées au départ de ma reconversion et comme elles poussent maintenant avec les seuls effluents de ma ferme, je ne mettrais plus jamais un kilo de nitrate chimique sur mon exploitation ».
Pour ce qui est de profiter de la bêtise des consommateurs, je mets en garde M.D.: j’ai assisté à de multiples réunions sur l’alimentation humaine, j’y ai parfois croisé certains hurluberlus, mais en agriculture aussi. En général celui qui mange régulièrement bio, surtout en direct du producteur, a longuement réfléchi a ce qu’il fait. Il a parfois sauvé sa vie alors qu’il était condamné par la médecine. L’erreur de beaucoup est de croire que les multiples normes sanitaires tous azimuts engendrent une alimentation saine, c’est absolument faux, jamais notre nourriture n’a été plus problématique et ce, dans la plupart des cas, à cause de ces normes. C’est pourquoi on observe un court-circuitage de plus en plus important de l’industrie agroalimentaire par des groupements d’achat de mieux en mieux organisés dans la recherche de la santé par l’aliment.
Le bio n’échappe pas à cette tourmente pseudo-sanitaire, dégageant une forte valeur ajoutée, il intéresse certains oligopoles agroalimentaires puissants qui font pression sur les décideurs pour le rendre plus « souple », permettre des « traitements » raisonnés, calculés. Finira-t-on par faire du bio minimaliste qui ne sera plus que du conventionnel à peine verdi ? Quoi qu’il en soit les prétendus bêtes consommateurs, comme vous dites, réfléchissent déjà plus loin, ils définissent de nouveaux types d’agro écologie, jettent les bases de la permaculture et que sais-je encore. Dernière remarque, plus mercantile celle-là, aussi controversé soit-il, le bio est un créneau de notre agriculture, en tant que tel il dépend de l’offre et de la demande, si trop s’installent, les prix pourraient s’effondrer…











