Multiplier par semis,

c’est (parfois) possible

Pour le jardinier aux « doigts verts », le semis de graines récoltées dans les fruits de différentes espèces est une expérience passionnante qui amène parfois à des constatations étonnantes et à des surprises agréables.

A priori, les graines de toutes les espèces fruitières peuvent être semées, mais la réussite implique souvent certaines pratiques particulières qui vont être expliquées ici.

Un peu de biologie

Souvent, lors de la consommation d’un fruit, je marque un temps d’arrêt en observant la ou les graines qu’il contient. Voilà des individus en devenir, porteur certes d’un patrimoine génétique qui est celui de l’espèce, mais aussi de caractères originaux dus à la combinaison des gènes des parents.

En effet, en règle générale, l’embryon à 2n chromosomes d’une graine est issu de la fusion des n chromosomes d’un ovule et des n chromosomes apportés par le pollen, ce nombre n étant identique dans les deux cas. Par exemple, il est de 17 chez les pommiers, poiriers et cognassiers, et de 8 ou d’un multiple de 8 chez les fruits à noyau : 8 chez les cerises douces, les prunes japonaises, les amandes, les abricots et les pêches, 16 chez les cerises acides et certaines prunelles, et le plus souvent 24 chez les prunes européennes et d’autres prunelles.

Comme à toutes les règles générales, celle-ci comporte des exceptions. Il existe des pommiers et des poiriers dits « polyploïdes » chez lesquels le nombre de chromosomes est plus élevé : par exemple 51 chez les pommiers triploïdes. Il existe aussi des graines dont l’embryon est dit « apomictique » ; il résulte de la fusion de deux cellules du sac embryonnaire, donc femelles toutes deux. C’est un cas fréquent chez les agrumes et occasionnel chez certains pommiers. Les graines totalement apomictiques donnent donc des individus en tous points semblables à l’arbre qui les a produites.

Selon le cas, le pollen qui a assuré la fécondation peut être celui de la variété même (autogamie), ou obligatoirement celui d’une autre variété (allogamie). Les pêchers, les griottiers, quelques cerisiers à fruits doux et quelques pruniers sont autogames, mais l’ovule peut aussi avoir été fécondé par le pollen d’un autre arbre. Les espèces à pépins et la plupart des cerisiers à fruits doux sont allogames. Dans ce cas, la descendance est nécessairement hybride.

De tout ceci, on peut déduire en pratique que la descendance obtenue par semis est parfois très hétérogène, mais avec un « air de parenté », ou encore conforme à l’arbre-mère. Par expérience, on a appris quelles sont les variétés fruitières dont la descendance présente le moins de variabilité. Après le semis, il faudra dès lors faire une sélection parmi les plantules, en fonction de leur aspect.

Réussir son semis

Voici quelques conseils pour réussir ses semis de fruitiers.

 Utiliser des graines de bonne qualité

On sait que la réussite d’un semis de graines d’arbres fruitiers dépend de leur calibre (le plus gros = le mieux !), du stade optimal de récolte et de leur conservation à l’état frais, sans séchage. Il faut aussi que les graines ne soient pas sujettes à une dormance, et par conséquent incapables de germer alors qu’elles sont pourtant placées dans des conditions favorables : un substrat adéquat, une température et une humidité suffisantes.

De manière générale, il existe trois types de dormance des

graines :

– par imperméabilité des téguments à l’eau et aux gaz, ou par emprisonnement de l’embryon : on rendra alors les téguments perméables par un traitement mécanique ou chimique ;

– par immaturité de l’embryon lors de la récolte des graines : il suffira d’attendre quelque temps ;

– par inhibition chimique des processus nécessaires à la germination : c’est le cas chez les Rosacées fruitières. Cette dormance sera levée en exposant les graines à une température basse (maximum +5ºC) dans un substrat humide pendant une durée variable. Ce traitement s’appelle la « stratification ». Les graines sont mélangées à du sable ou de la tourbe légèrement humide (tourbe sèche + 1,5 à 2 fois son poids d’eau) puis placées en chambre froide pendant au moins 3 mois (pépins de pommes, noyaux de pêches, de prunes et de cerises, noisettes) ou 2 mois (pépins de poires et de raisin). Pour des pépins récoltés en automne, on peut aussi placer les récipients à l’extérieur afin de les exposer au froid hivernal (protéger de la pluie et des rongeurs). En fin d’hiver, ils germeront spontanément.

 Semer des graines qui ont un bon pouvoir germinatif

On sait que certaines graines d’arbres perdent rapidement et définitivement leur pouvoir germinatif lorsqu’elles sont séchées. Leur réhydratation ne résout pas ou mal le problème ; il faudra donc les maintenir humides jusqu’au semis par stratification, ou les semer rapidement après récolte. C’est le cas des osselets de nèfles du Japon et des pépins d’agrumes. Un lavage à l’eau afin de débarrasser les graines de la chair du fruit est toujours utile ; il permettra aussi d’éliminer les graines flottantes, vides.

 Semer au bon moment

On pourra semer dès la récolte les graines qui ne présentent pas de dormance ou qui perdent rapidement leur pouvoir germinatif. Pour les espèces qui présentent une longue dormance, il faudra attendre que celle-ci soit levée. Le semis se fera au printemps, en plein air, dès que les conditions climatiques sont favorables. Pour les graines récoltées dans des fruits d’été, à dormance faible ou nulle, le semis se fera en fin d’été ou en début d’automne ; il est conseillé de protéger les jeunes plants pendant le premier hiver.

 Assurer une bonne germination

Comme chez toutes les autres plantes, la germination des graines d’arbres et d’arbustes fruitiers débute par une imbibition dont la vitesse dépendra de la température et de l’humidité du substrat, ainsi que de la perméabilité des téguments. Pour la plupart des graines d’arbre, on recherchera une température comprise entre 15 et 25ºC ; une température élevée pourrait induire parfois une dormance secondaire. Le substrat doit être poreux, retenant l’eau mais qui laisse percoler l’eau en excès : par exemple pour les semis hors-sol un mélange d’un volume de sable de rivière pour deux volumes de tourbe ou de terreau fibreux.

Pour les semis en pleine terre, il faudra un sol sain, bien préparé par un labour profond avec apport de matière organique compostée et de sable, puis plusieurs hersages ; on choisira un emplacement qui n’a jamais porté d’arbres fruitiers. Les graines sont enterrées à trois fois leur diamètre.

 Soigner attentivement la première année

Pendant toute la première année de croissance, il convient évidemment de maintenir humide le sol ou le substrat, et d’ombrer les plantes. En cours d’année, un repiquage peut se justifier en pleine terre soit pour briser la racine pivotante, soit pour espacer les plantules pour les semis réalisés en caissettes, soit encore pour trier les plants selon leur aspect et leur vigueur.

On pourra parfois observer des cas de « juvénilité » : certains semis se différencient des plantes adultes par exemple par la forme des feuilles ou leur disposition sur la tige, la présence d’épines ou l’absence de floraison, et donc l’impossibilité de fructifier. Cette dernière peut durer jusqu’à 8 ans, mais souvent ne dépasse pas 4 à 5 ans.

Comment utiliser les plants issus de semis ?

Commençons par un peu de vocabulaire. Un « franc » est un arbre issu de semis effectué par l’Homme, tandis qu’un « sauvageon » provient d’un semis spontané de pépin ou de noyau, qui a été prélevé dans la nature. Les plants issus de semis de pommiers et poiriers sauvages sont parfois appelés « égrins » ou « aigrins », probablement parce qu’ils produisent des fruits aigres. Le terme est parfois employé aussi pour des semis de semences sélectionnées, ce qui est très différent.

En arboriculture fruitière, le semis est utilisé principalement pour produire des sujets porte-greffe qui, après quelques années d’élevage, seront greffés avec une variété fruitière reconnue. Ces sujets ont une faible hétérogénéité de comportement : vigueur, fertilité… C’est par exemple le cas des pommiers ‘Bittenfelder’ ou ‘Grahmas’, du poirier ‘Kirchensaller’, des pêchers ‘G.F.305’ ou ‘Rubira’, des pruniers ‘Saint-Julien d’Orléans’ et ‘Myrobolan’, des merisiers ‘Limburgse boskriek’ et ‘Hüttner’ et du cerisier de Sainte-Lucie (Prunus mahaleb).

Le semis est peu utilisé pour la production d’arbres franc-de-pied (= non greffés) puisque la descendance peut être très hétérogène ; il est permis pour les pêchers ‘Reine des vergers’ ou ‘Pêche de vignes’, pour l’abricotier ‘Rouge du Roussillon’, pour les pruniers ‘Reine-Claude verte’ et ‘Mirabelle de Metz’, pour les noyers et pour les châtaigniers. C’est nettement moins le cas pour les fruits à pépins, à cause de la longue durée de juvénilité qui induit une entrée tardive en production et de leur caractère hybride qui donne rarement une descendance moins intéressante que les géniteurs.

Plusieurs plantes fruitières non rustiques peuvent être multipliées par semis puis cultivées en conteneurs. Elles passeront la belle saison en plein air, à bonne exposition, puis seront hivernées à l’abri du gel. C’est le cas des agrumes : différents Citrus, Fortunella ou Poncirus. Rappelons que ce dernier est parfaitement rustique sous notre climat et qu’il est utilisé comme porte-greffe nanifiant et résistant au froid pour les autres agrumes. Parmi les autres arbres exotiques à semer, citons le caroubier, le néflier du Japon, l’olivier, l’avocatier, le pistachier, le litchi, le grenadier, le manguier, le papayer, plusieurs palmiers (Phoenix canariensis, Phoenix dactylifera, Chamaedorea, Trachycarpus…), et… pourquoi pas un cocotier à partir d’une noix de coco ?

De manière générale, chez les espèces exotiques, la réussite du semis suppose l’emploi de graines fraîches récoltées récemment, une température supérieure à 25ºC, un substrat poreux, des « doigts verts » et… de la patience !

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