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Quel système anti-dérive choisir,

sans impacter la qualité du traitement ?

La dérive des produits phytopharmaceutiques est une problématique d’actualité. L’instauration de zones tampons à respecter et la possibilité d’assouplir certaines de ces mesures par l’adoption d’équipements ou de moyens particuliers suscitent beaucoup d’interrogations chez les utilisateurs. Ce dossier représente l’occasion de passer en revue les exigences en la matière, d’évoquer l’offre en équipements pour le matériel de pulvérisation employé en grandes cultures et de définir les critères à prendre en compte lors du choix de ceux-ci.

Temps de lecture : 12 min

Il est question de dérive lorsque le produit appliqué n’atteint pas sa cible et se dépose en un autre endroit que celui initialement visé. Pareil événement est bien entendu néfaste économiquement, mais pas uniquement. Il nuit à l’uniformité de l’application avec des surdosages et des sous-dosages à l’intérieur de la parcelle et, le cas échéant, peut occasionner son lot de tensions avec le voisinage, qu’il s’agisse des propriétaires des cultures adjacentes ou des riverains.

Quant à l’environnement, il peut aussi payer un lourd tribut aux conséquences des dérives de produits de pulvérisation. Les différents législateurs ont d’ailleurs pris cette problématique à bras-le-corps, en définissant et en imposant des mesures aux fins de protéger davantage le milieu naturel, et plus particulièrement le milieu aquatique. Ainsi, le 19 mars 2013 a été promulgué « l’Arrêté Royal pour parvenir à une utilisation des produits phytopharmaceutiques et adjuvants compatible avec le développement durable » dans lequel il est clairement fait mention de zones tampons visant à protéger le milieu aquatique et les ressources en eau. Le législateur wallon a également pris le dossier en mains et a, lui aussi, défini des zones tampons à respecter. Si les agriculteurs sont majoritairement conscients des enjeux de cette problématique et de leur responsabilité quant à la manière dont les travaux de pulvérisation doivent être effectués, il ne leur est pas toujours évident de s’y retrouver dans ces exigences fédérales et régionales, ni de définir le matériel le plus à même d’atteindre ces objectifs.

Le point sur les zones tampons

Il est important, dans un premier temps, de définir ce qu’est une zone tampon et, ensuite, de bien distinguer les prescriptions fédérales et wallonnes en la matière.

Une zone tampon est une bande de terrain d’une largeur déterminée qui ne fait pas l’objet de pulvérisations dans le but de protéger la qualité des eaux de surface et les organismes qui y vivent. Le terme « eau de surface » doit être compris au sens large puisqu’il concerne autant les cours d’eau, les étendues d’eau, les canaux, les fossés… La pollution de ces milieux peut se faire directement par des gouttelettes de produits phyto entraînées par le vent que par des particules de terre contaminées par des produits et entraînées par ruissellement.

La zone tampon telle que déterminée par le niveau fédéral est dite « spécifique ». Elle est directement définie dans l’acte d’agréation du produit phytopharmaceutique. Elle est fixée par le Comité d’Agréation, en charge d’autoriser l’usage du produit sur le territoire belge, qui procède préalablement à une analyse de risques multifactorielle. La largeur d’une zone tampon spécifique est donc propre à chaque produit, figure sur l’étiquette du pesticide utilisé et peut être consultée sur le site « www.phytoweb.be », au même titre que les autres informations pertinentes au sujet de celui-ci.

Comme abordé plus loin dans cet article, la largeur de la zone tampon spécifique, pour un produit donné, peut être réduite si l’utilisateur a recours à des équipements ou à des mesures (haie, écran…) reconnus officiellement comme efficaces pour réduire le phénomène de dérive.

Il est important de noter que, en toutes circonstances, il y a lieu de toujours respecter en bordure de parcelle une zone non traitée d’1 mètre de largeur pour toute pulvérisation dirigée verticalement vers le sol (3 mètres pour les autres types de pulvérisations).

La Région wallonne a, elle aussi, défini des zones tampons, communément appelées « zones tampons minimales ». Pour ce faire, il a été tenu compte de la zone naturelle à préserver et du type de pulvérisation (dirigée ou non vers le sol). Contrairement à la zone tampon spécifique, la zone tampon minimale est donc indépendante du produit utilisé et ne figure dès lors pas sur l’étiquette de ce dernier. Autre différence importante, la largeur de la zone tampon minimale est fixe et ne peut pas être modulée (quel que soit le matériel utilisé).

Les prescriptions relatives aux zones tampons minimales figurent dans « l’Arrêté du Gouvernement wallon du 11 juillet 2013 relatif à une application des pesticides compatible avec le développement durable ». À titre d’exemple, dans le cas d’une pulvérisation appliquée verticalement, la zone tampon minimale en bordure d’un cours d’eau, d’une mare ou d’un étang doit avoir une largeur de 6 mètres.

La difficulté pour l’utilisateur réside dans le fait qu’il doit à la fois respecter les exigences en matière de zone tampon spécifique et de zone tampon minimale. Autrement dit, il lui revient de respecter la norme la plus restrictive des deux, en toutes situations.

La dérive des produits phytopharmaceutiques

Des facteurs extérieurs, tels que la température, l’hygrométrie ou encore la vitesse du vent ont une influence considérable sur le risque de dérive. Ces paramètres ne sont évidemment pas maîtrisables par l’opérateur, qui doit donc s’adapter en optant pour l’instant le plus propice à une pulvérisation de qualité, souvent en début de matinée ou de soirée. Il a par contre le contrôle sur d’autres éléments permettant de limiter ce risque, et ayant directement trait au matériel qu’il utilise.

Il est ainsi primordial que le pulvérisateur soit en parfait état de fonctionnement. Pour ce faire, il y a lieu d’effectuer périodiquement les opérations de vérification et d’étalonnage édictées par le constructeur de la machine. Lors des travaux de pulvérisation, la hauteur de la rampe doit être en accord avec les recommandations du fournisseur des buses. Une rampe trop haute offre une prise au vent plus importante aux gouttelettes de liquide, tandis qu’une position trop basse de celle-ci engendre un mauvais recouvrement de la bouillie distribuée par deux buses voisines, et donc une irrégularité d’application. Une vitesse d’avancement trop élevée peut aussi favoriser la dérive : les gouttelettes sortant des buses sont laissées trop en arrière de la rampe, où elles sont soumises à des turbulences pouvant résulter en un mouvement ascendant se traduisant par des risques accrus de dérive et d’évaporation. Une vitesse inadaptée peut dans certaines circonstances affecter la stabilité de la rampe et donc la qualité du traitement.

Les principaux types de buses

La taille des gouttelettes est l’élément fondamental à prendre en compte lorsqu’il est question de risque de dérive. Les gouttelettes les plus fines, et donc les plus légères, sont les plus sensibles. Cette taille est conditionnée par deux éléments : la buse utilisée et la pression de travail de celle-ci.

La buse influence directement le diamètre des gouttes, en fonction de son type, de son calibre ou encore de l’angle de son jet. De façon générale, il faut retenir que la taille des gouttelettes est d’autant plus grande que le calibre de la buse est important et que l’angle du jet est réduit. Cet angle peut lui-même être modifié si la pression de travail est inadaptée.

Il est utile aussi de garder à l’esprit que la taille des gouttelettes n’est pas fixe : pour une buse donnée, elle évolue avec la pression. Plus cette dernière augmente, plus les gouttelettes sont fines. Par ailleurs, pour une pression déterminée, une buse ne produit pas des gouttes uniformes de même diamètre. Elle produit un spectre de gouttelettes de tailles plus ou moins différentes. C’est la raison pour laquelle les buses sont classées par catégories de tailles de gouttelettes formées.

En agriculture, les catégories les plus fréquentes sont « fines », « moyennes », « grosses » ou « très grosses ». Les buses limitant la dérive produisent des gouttelettes de plus grand diamètre que les buses conventionnelles.

Les principaux types de buses rencontrés sur le marché sont les suivants :

Buse à jet plat standard

Elle est, de loin, la plus utilisée. C’est une buse « passe-partout », convenant à la majorité des traitements. La projection à jet plat génère une couverture uniforme et performante de la culture, et donc un traitement de qualité, pour autant que le recouvrement des jets voisins soit respecté (distance entre buses et hauteur de rampe recommandées). Le spectre de gouttelettes formées est relativement large, avec des gouttes fines à moyennes.

Cette buse offre peu de protection vis-à-vis de la dérive, hormis certains modèles à gros calibre qui produisent des gouttes moyennes à grosses, voire très grosses.

Buse à jet plat à dérive limitée

Elle se caractérise aussi par un jet plat, avec une bonne qualité de recouvrement. Toutefois, elle renferme une pastille de calibrage permettant de créer dans la buse une chambre de détente au niveau de laquelle se produit une chute de pression. Ceci a pour effet de former des gouttelettes de diamètre supérieur, moins sujettes à la dérive. L’utilisation de telles buses peut réduire la dérive jusqu’à 50 %. Généralement, ces buses sont démontables, pour en faciliter le nettoyage.

Buse anti-dérive à aspiration d’air

Elle dispose d’un ou deux orifice(s) d’admission d’air. Cette aspiration d’air crée un effet Venturi dans la buse. Les gouttelettes de bouillie se chargent alors d’air, formant ainsi des entités de plus grand diamètre moins sensibles à la dérive. Ces grosses gouttes éclatent en plus fines gouttelettes au contact de leur cible, procurant un nombre d’impacts par cm² important au niveau de la culture. Il est néanmoins parfois souhaitable, pour certains produits, de pulvériser avec une pression de travail et un volume d’eau par hectare élevés pour obtenir une couverture acceptable.

La réduction de dérive peut atteindre un niveau compris entre 50 et 90 % avec ce type de buse.

Buse à miroir

La bouillie est projetée sur une paroi à la sortie de la buse, formant alors des gouttelettes plus grosses et peu sensibles à la dérive. Le recouvrement que procure ce type de buse est relativement moyen. Certains modèles sont pourvus d’un dispositif anti-dérive à aspiration d’air.

Buse à turbulence

Ayant pour objectif la création par turbulence de fines gouttelettes dotées d’un pouvoir pénétrant important, elle fournit un jet conique creux fortement exposé à la dérive. Cette sensibilité à la dérive est accentuée par le fait que ces buses sont souvent employées à pression élevée et avec une rampe haute. Certains modèles, munis d’une aspiration d’air, tempèrent quelque peu ce phénomène de dérive.

Buse fin de rampe

Pouvant être de l’un ou l’autre type évoqué ci-dessus, la buse fin de rampe se caractérise par un orifice de sortie doté d’une géométrie particulière engendrant un spectre décalé pour marquer distinctement la bordure du passage de la rampe du pulvérisateur.

Quelle buse choisir ?

Face à cette offre diversifiée et aux différentes contraintes rencontrées, quels critères faut-il prendre en compte pour choisir une buse ? L’objectif premier reste de réussir le traitement entrepris, tout en se conformant à la législation en vigueur. Il y a lieu d’opter pour le meilleur compromis entre le mode d’action du produit, le moment et les conditions de pulvérisation, et la limitation de la dérive.

Le mode d’action du produit peut être un facteur limitant pour l’emploi d’une buse anti-dérive. En effet, dans le cas d’un produit agissant par contact, il est nécessaire d’obtenir une couverture la plus complète possible de la cible, et donc d’impacter au maximum la surface de celle-ci. Ceci ne peut se faire qu’en travaillant avec de fines gouttelettes, par définition sensibles à la dérive. A contrario, dans le cas d’un produit agissant par voie racinaire ou systémique, il est possible de travailler avec de plus grosses gouttelettes car le résultat est beaucoup moins dépendant du nombre d’impacts par cm².

Dans le premier cas, comme indiqué plus haut, l’utilisation d’une buse anti-dérive pourrait ne pas être satisfaisante pour répondre aux impératifs d’un tel traitement ; il faudrait alors satisfaire aux exigences de zone tampon minimale et de zone tampon spécifique sans pouvoir restreindre cette dernière. Dans le second cas, il sera possible de réduire la largeur de la zone tampon spécifique en optant pour une buse anti-dérive officiellement reconnue. La liste de ces dernières est fixée par un comité technique et est consultable sur le site internet « www.phytoweb.be ». En Belgique, trois niveaux de réduction de la largeur de la zone tampon spécifique sont définis en fonction du matériel utilisé et/ou des mesures mises en place pour limiter la dérive : 50, 75 ou 90 %. Le pourcentage de réduction associé est repris dans la liste susmentionnée pour chaque matériel ou mesure officiellement reconnu(e). Notons qu’il est possible de combiner plusieurs moyens de réduction de la dérive.

Quand la buse est choisie, il est nécessaire de l’entretenir et la vérifier régulièrement. La buse est un organe essentiel sur un pulvérisateur mais est pourtant souvent négligée. Son nettoyage doit être fait au moyen d’un objet doux (éviter les pointes métalliques…), tel qu’une brosse, pour ne pas endommager son orifice de sortie. Ce dernier subit aussi l’usure régulière des produits phyto et ne dispose donc pas d’une durée de vie illimitée, raison pour laquelle il est conseillé de comparer périodiquement le débit des buses à celui d’une buse neuve identique. Dès que la différence atteint 10 %, il est communément admis que la buse est trop usée.

L’assistance d’air, la solution ?

Plusieurs constructeurs proposent l’assistance d’air sur leurs pulvérisateurs. Une ou deux turbine(s) propulse(nt) de l’air dans un manchon couvrant toute la longueur de la rampe et en sortant à haute vitesse par des orifices situés au-dessus des buses. Ce dispositif crée un écran d’air protégeant les gouttelettes de bouillie contre la dérive. Certains équipements permettent l’orientation du flux d’air et des buses afin de compenser les effets du vent de façon optimale.

L’assistance d’air sur un pulvérisateur permet de réduire la largeur de la zone tampon spécifique de 75 %, voire 90 % lorsqu’elle est combinée à des buses à limitation de dérive officiellement reconnues.

La réduction de la dérive n’est pas le seul atout de l’assistance d’air : elle permet aussi de s’affranchir partiellement des conditions météorologiques. Dès lors, il devient possible de pulvériser sur des fenêtres de travail plus larges. Le rideau d’air évite les turbulences liées à la vitesse au niveau des jets, ce qui autorise des vitesses de travail plus élevées. Enfin, l’air pulsé, en plus de conduire directement les gouttelettes jusqu’à leur cible, met la végétation en mouvement, offrant ainsi une plus grande couverture. De ce fait, il est possible de réduire significativement les doses de certains produits phytosanitaires et/ou le volume d’eau par hectare, tout en maintenant l’efficacité du traitement.

Ces points positifs, se traduisant par des économies et une augmentation de productivité, peuvent dans certains cas compenser de façon non négligeable le surcoût de l’équipement lors de l’achat et participer ainsi favorablement à l’amortissement de l’appareil.

N.H.

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