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Calomniés par bilans interposés

J’ai lu avec beaucoup d’intérêts l’article sur la part des sols dans le bilan des émissions des gaz à effet de serre agricole, pages 36, 37 et 38 du Sillon Belge de ce 4 janvier. Première remarque, pourquoi se focaliser sur les 44 % de la superficie wallonne utilisée en agriculture ? Pourquoi ne pas la comparer avec les 56 % restant qui sont, de loin, les plus industrialisés, artificialisés et problématiques ? Pourquoi ne publie-t-on que des bilans négatifs et partiels ? Ici c’est le sol qui émet des gaz à effet de serre (GES). Ensuite, on fustigera le méthane des vaches, puis ce sera les machines, le nitrate, le bien-être animal, la prétendue toxicité de nos productions ou que sais-je encore.

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Ces capitalisations de fragments d’évaluations se révèlent odieux mensonges quand ils sont réintroduits dans un bilan global et objectif. Pourquoi ce cumul de médisances et calomnies ? Il a un effet dévastateur sur le moral de la profession. On culpabilise l’agriculture alors que, parallèlement, l’industrie, d’une même voix se dédouane de toutes responsabilités. Vous voulez des exemples ? À l’avenir, les avions pourront voler à bilan carbone neutre, simplement en incluant 10 % de carburants « verts » à leur kérosène. Ce carburant « vert » sera extrait de déchets recyclés. Il coûtera trois fois plus cher que le kérosène issu du pétrole. Cependant ces avions brûleront encore 90 % de carburant fossile. Et quid des émissions engendrées par la construction de ces avions, des pistes de décollage, ainsi que de toutes les infrastructures et services qui gravitent autour de cette industrie, en ce y compris la distillation de ce super-kérosène soi-disant verdisseur. Où est le bilan carbone neutre réel dans tout cela ?

Pour les stades de foot climatisés du Qatar c’est pareil, bilan CO2 neutre ! On plante des arbres, ceux-ci sont censés récupérer le carbone émis et la messe est dite. Oui mais où plante-t-on ces arbres ? Dans le désert ? Le seul endroit où ils seraient utiles, ce serait en Amazonie, là où on les a brûlés. Oui mais le carbone qu’ils absorberaient serait-il comptabilisé pour neutraliser les émissions de ces stades climatisés ? Ne devrait-il pas plutôt compenser ce qui fut brûlé ? En tous cas une chose est sûre, si le CO2 continue d’augmenter, on accusera encore l’agriculture, cette sale pollueuse, empoisonneuse, responsable de tous les maux.

Trop individualistes, les paysans sont incapables de se défendre d’une seule voix. Pourtant ils disposent d’atouts que tous jalousent. Ils sont même souvent la solution. Ils offrent énormément de réponses vertueuses aux problèmes engendrés par notre monde industrialisé. Ils disposent d’une expérience séculaire dans le domaine de la gestion de leur environnement.

Ce qui me navre dans l’article susmentionné, ce sont surtout les conclusions : pour l’auteur, il faudrait diminuer sensiblement la charge de bétail, faucher tardivement et accroître, entre autres, la superficie des forêts en Wallonie. Une constante en agriculture, c’est le nombre d’intellectuels qui viennent nous expliquer, voire nous imposer ce qu’ils seraient probablement incapables de faire eux-mêmes, et ce sur base de certaines études, ici de l’Agence wallonne de l’air et du climat (Awac).

Dans nos régions si la forêt peut stocker jusque 143 t de CO2 par hectare, la prairie permanente peut en contenir 58 % de plus, soit 243 t. Quand ces niveaux sont atteints, on parle de stocks et non de puits de carbone. Boiser ou labourer des pâtures ne peut qu’émettre du CO2. C’est pareil pour la forêt amazonienne qui n’est pas un poumon vert, mais bien un stock de carbone à bilan neutre, un équilibre qui produit et absorbe ses gaz à effet de serre. Elle libère énormément de CO2 quand on la brûle. Elle n’absorbe réellement du CO2 que là où elle a été déboisée et ce, via ce que l’on y replante.

Les analyses de sol en Wallonie, nous donnent jusqu’à 14 % d’humus dans les 20 premiers centimètres d’une prairie permanente, mais certaines n’atteignent que 7 %. Cela ne veut pas dire qu’elles soient capables d’en absorber plus. Par contre, ou je rejoins Monsieur Walot, c’est qu’en culture, on est à 2 % d’humus, et parfois moins, dans le sol. Là nous avons un réel potentiel de captage de CO2. Par contre en prairie permanente, il est difficile de recharger un sol saturé au niveau carbone.

Dans cette étude, on oublie la flore microbienne des sols. Elle représente, d’après Lydia et Claude Bourguignon, 80 % du poids du vivant sur terre. Cette flore microbienne participe à la gestion de l’équilibre des sols et de l’atmosphère. Exemple : certaines bactéries liées aux légumineuses fixent l’azote de l’air dans le sol, tandis que d’autres bactéries, dites dénitrifiantes, l’y renvoient. Pour moi, faucher tardivement serait une fausse bonne idée. La végétation d’une prairie permanente en friche absorbe du CO2 pendant sa croissance et rejette, au cours de la morte-saison, ce qu’elle a absorbé. C’est un bilan neutre, un équilibre.

Limiter la charge de bétail à l’hectare est inutile, la réglementation CE s’en est déjà chargée avec les normes nitrates. C’est également contre-productif au niveau captage du CO2 car pendant sa croissance, l’herbe capte ce CO2 qu’elle transforme, par photosynthèse, en protéine. La vache broute l’herbe au fur et à mesure des repousses, qui à chaque nouvelle croissance absorbent un quota supplémentaire de CO2. Ce que l’herbe mature ne fait plus. La vache transforme ces protéines végétales issues de ce CO2, pour notre plus grand bonheur, en protéines animales (lait et viande) et elle rejette, via ses excrétas, du carbone qui ira rendre au sol celui que l’herbe a capté pour croître.

Ceci est un cycle vertueux avec ses émissions et restitutions. Il est géré par le paysan, cet expert et champion environnemental qui peut tout faire si on ne vient pas tout chambouler dans sa gestion.

Lu vî Gustave

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