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Le tournesol peut-il être cultivé chez nous?

Vous l’aurez probablement remarqué, depuis quelques années les paysages wallons se diversifient et se colorent, avec l’introduction de nouvelles cultures et notamment du tournesol, qui remonte progressivement depuis le sud de la France jusqu’à nos régions.

Temps de lecture : 9 min

C’est un fait, les changements climatiques observés ces dernières années imposent la diversification des systèmes agricoles et permettent d’y voir s’intégrer de nouvelles cultures. C’est le cas du tournesol, une plante qui, pour atteindre sa maturité et ainsi être récoltée, nécessite d’accumuler un certain nombre de degrés-jours.

Les variétés précoces, actuellement cultivées dans nos régions, nécessitent 1.500 degrés jours en base 6ºC pour atteindre leur maturité. Alors qu’au début des années 2000, cette exigence n’était qu’exceptionnellement atteinte, ces dernières années, la fréquence d’apparition de ces conditions favorables semble s’accroître. En parallèle, la sélection variétale évolue également, proposant des variétés de plus en plus précoces, qui nécessitent d’accumuler toujours moins de degrés jours pour atteindre leur maturité, ce qui permet d’élargir progressivement la zone de culture du tournesol.

De multiples atouts

La culture du tournesol possède de nombreux atouts, notamment liés à sa rusticité. Le tournesol a en effet un faible besoin en intrants et une bonne tolérance aux stress hydriques, aussi liée à sa morphologie et à son système racinaire. Celui-ci contribue également à la bonne structure du sol. Ses qualités lui permettent une implantation dans des conditions diverses ainsi qu’en agriculture biologique. Le tournesol présente aussi des intérêts écologiques dont peuvent notamment profiter les apiculteurs. Enfin, il contribue incontestablement à la beauté de nos paysages et participe à la valorisation du métier d’agriculteur auprès du grand public, un atout indéniable de nos jours.

Le tournesol contribue incontestablement à la beauté de nos paysages.
Le tournesol contribue incontestablement à la beauté de nos paysages. - CRA-W

Le projet SunWall

Depuis maintenant 3 ans, des essais en culture de tournesol sont mis en place par le Centre wallon de recherches agronomiques (Cra-w). Le projet « SunWall » financé dans le cadre de l’appel « Soutenir la relocalisation de l’alimentation en Wallonie » par le gouvernement wallon, a débuté en 2021 pour une durée de 3 ans. Il a pour but de développer une filière complète de production d’huile de tournesol en Wallonie depuis l’implantation de la culture. Il s’agit d’un partenariat entre le Cra-w, la Scam et Alvenat. Cette dernière est une PME de la région de Ciney, spécialisée dans la production d’huile de colza et souhaitant se diversifier dans la production d’huile de tournesol.

Chaque partenaire a son rôle à jouer dans la filière. Au niveau du Cra-w, des essais variétaux et phytotechniques sont implantés afin d’identifier les variétés les plus adaptées à nos conditions pédoclimatiques, et de définir l’itinéraire phytotechnique le plus propice à cette culture chez nous. La Scam organise la réception du tournesol et son traitement (séchage et triage) tandis que Alvenat s’occupe de la production de l’huile et de la valorisation de son coproduit, le tourteau, à destination du marché local.

Dans le cadre du projet, un réseau d’agriculteurs implantant du tournesol a également été constitué et est encadré par le Cra-w.

Le tournesol présente aussi des intérêts écologiques dont peuvent notamment profiter les apiculteurs.
Le tournesol présente aussi des intérêts écologiques dont peuvent notamment profiter les apiculteurs. - CRA_W

Ce que l’on sait déjà…

Ces deux premières saisons d’essai nous ont permis de tirer des enseignements sur la conduite de la culture en Wallonie. La culture du tournesol est une culture de printemps qui se cultive en tête de rotation. Elle doit être implantée le plus tôt possible au mois d’avril, dans un sol suffisamment réchauffé, afin de permettre sa récolte avant les conditions automnales du mois d’octobre.

En 2021, 4 dates de semis, échelonnées de 10 en 10 jours (du 9 avril au 11 mai) ont été évaluées. Ce sont les dates de semis les plus précoces qui ont permis d’atteindre la maturité le plus rapidement, les dates de semis les plus tardives n’ont jamais rattrapé les premières. En 2022, les essais ont tous été implantés entre le 10 et le 20 avril, ce qui a permis une récolte dans de bonnes conditions entre le 1er et le 13 septembre.

Un semis profond pour limiter les attaques d’oiseaux

En outre, c’est au moment du semis que la culture est la plus sujette aux dégâts de ravageurs, principalement des oiseaux, très friands de la semence et du tournesol au stade cotylédonaire. Un semis profond, à environ 5 cm de profondeur, afin de limiter les attaques des oiseaux au semis est donc préférable. Le tournesol est généralement semé à 45cm d’écartement bien qu’il puisse varier (45 à 75cm) en fonction du matériel disponible sur la ferme.

La densité de semis pratiquée en Belgique tourne autour de 8 à 10 plantes/m2, c’est plus dense qu’en France (5 à 7 plantes/m2) mais cela peut s’expliquer par la qualité de nos sols qui permettent de supporter un peuplement plus important. Des semis à des densités supérieures à 10 plantes/m2 ont montré une sensibilité accrue aux maladies, notamment au sclérotinia (Sclerotinia sclerotiorum), maladie la plus fréquente en tournesol, et une sensibilité à la verse plus élevée en raison de l’accroissement de la hauteur du tournesol que ces densités élevées génèrent. L’impact de la densité sur le rendement n’a pas pu être évalué en 2021 en raison des conditions humides de récolte qui n’ont permis qu’une récolte partielle des essais. Cet effet s’est avéré non significatif en 2022.

La densité de semis pratiquée en Belgique tourne autour de 8 à 10 plantes/m 2 , c’est plus dense qu’ en France  (5 à 7 plantes/m 2 ) . (photo du 8 juin 2022)
La densité de semis pratiquée en Belgique tourne autour de 8 à 10 plantes/m 2 , c’est plus dense qu’ en France (5 à 7 plantes/m 2 ) . (photo du 8 juin 2022) - CRA-W

Des variétés adaptées à nos conditions

Dans le cadre du projet, une quinzaine de variétés oléiques et linoléiques présélectionnées parmi les variétés les plus précoces commercialisées dans les pays voisins sont évaluées dans des conditions pédoclimatiques variées. Il s’agit essentiellement de variétés oléiques, variétés dont l’huile présente une aptitude à la cuisson et qui sont donc plus recherchées par les industriels. En 2021, ces essais ont été implantés à Gembloux, Hannut et Libramont. En 2022, d’autres conditions ont été explorées en plus des essais installés à Gembloux, des essais ont été implantés dans les sols asséchants et caillouteux de la Famenne et de la Gaume.

Ces variétés sont évaluées sur différents critères d’intérêt pour l’avenir de la culture en Wallonie ; la rapidité à la levée est évaluée afin de limiter la période de sensibilité du tournesol aux dégâts de ravageurs. Nous avons également pu comparer la tolérance des variétés aux dégâts de pucerons, présents en nombre cette année. De fait, la salive du puceron injectée lors de sa piqûre génère une crispation du feuillage, réduisant ainsi les possibilités de photosynthèse du tournesol et impactant alors son rendement. D’importantes différences variétales ont pu être relevées, certaines variétés ne montrant que très peu de symptômes, d’autres étant complètement crispées.

Les variétés sont également évaluées sur leur tolérance à la verse et aux maladies, ainsi que sur leur précocité à la floraison, et indirectement à la maturité. Les résultats chiffrés sont présentés dans le Tableau 1.

En outre, les essais variétaux ont reçu un traitement insecticide, à titre expérimental, au vu de l’impressionnante attaque de pucerons observée en 2022. Cependant, aucun traitement insecticide n’est actuellement agréé pour la culture.

Récolte et rendements

La récolte du tournesol est réalisée avec une moissonneuse-batteuse classique, dont la barre de coupe à céréales est équipée d’adaptateurs.

Les deux premières années de projet ont été très contrastées, avec un été 2021 extrêmement humide, à l’opposé de l’été 2022 qui fut historiquement sec.

En 2021, le grain récolté était sale et humide au vu de la pluviosité intense connue durant la période de récolte du tournesol, celle-ci n’ayant généralement pu débuter qu’au mois d’octobre. Ces conditions ont impacté la qualité de l’huile. En 2022, tous les essais ont été récoltés entre le 1er et le 13 septembre. Le grain était sec et les rendements moyens très bons, la moyenne de tous les essais était de 3,6 t/ha. Le rendement moyen était de 4,6 t/ha sur le site de Gembloux, 3,2 t/ha en Famenne et 3 t/ha en Gaume, régions où le tournesol a pu souffrir de la sécheresse.

Qu’en est-il des débouchés ?

En 2021, dans le cadre du projet, ce sont près de 16 t de grains, avec une teneur moyenne de 50 % de matière grasse, qui ont été pressés par Alvenat pour une production finale de 4.190 l d’huile et 11 t de tourteaux. Malheureusement, la mauvaise qualité du grain, notamment liée à son humidité à la récolte, a induit la production d’une huile instable à la conservation et a généré des pertes. En 2022, ce sont 180 tonnes de grains qui ont été réceptionnés par la Scam, ces grains sont en cours de pressage. La production attendue est d’environ 35.000 l d’huile et 100 t de tourteaux.

En outre, le tourteau a une composition semblable à un tourteau de colza fermier. Il contient 20 % de matière grasse et 24 % de protéines en moyenne. Cette année, la qualité de l’huile et du tourteau semble bien au rendez-vous selon le triturateur partenaire du projet.

Les freins au développement de la culture

En 2022, nous avons observé d’impressionnantes attaques de pucerons sur le tournesol, contre lesquels nous sommes sans armes à ce jour. D’importantes pertes de rendements ont été enregistrées sur les variétés les plus sensibles aux dégâts de pucerons. Ceci met en évidence l’un des freins majeurs au développement du tournesol, qui est la quasi-absence de produits phytosanitaires agréés en Wallonie.

Un seul produit de protection des plantes est agréé actuellement ; le Brixton (180 g/l cléthodime), qui permet de lutter contre les graminées annuelles. Les possibilités de lutte chimique contre les adventices sont donc quasiment nulles et la période d’intervention par binage limitée au vu de la taille qu’atteint rapidement le tournesol.

En outre, un essai mis en place en 2022 avait l’objectif d’évaluer la sélectivité de quelques herbicides de pré-émergence à l’égard de la culture de tournesol. Plusieurs produits déjà agréés en Belgique dans d’autres cultures ont été testés et ont montré une bonne sélectivité sur la culture du tournesol. L’efficacité a par contre été altérée par le manque d’humidité de la saison. Malheureusement, aucun de ces produits n’est actuellement agréé pour la culture de tournesol.

Un avenir chez nous ?

À l’heure où l’on prône la diversification des rotations et cultures, l’absence de produits de protection des plantes agréés pour cette culture génère une certaine réticence chez les agriculteurs face à l’intégration du tournesol dans leur rotation. Des demandes d’extensions d’homologation ont été introduites et il faut espérer qu’elles aboutiront.

La volatilité des prix et l’instabilité due au contexte géopolitique actuel compliquent la situation et rajoutent une grande incertitude quant au prix de vente du grain de tournesol et donc à la rentabilité de cette culture et de la filière.

Toutefois, les conditions climatiques semblent de plus en plus propices au développement de la culture chez nous. Les progrès de la sélection variétale évoluent dans ce sens également.

Il s’agit d’une culture aux multiples atouts puisqu’elle contribue à la diversification des rotations agricoles, ainsi qu’au développement des circuits courts et des filières locales. De plus, le coproduit de l’huile produite, le tourteau, peut également répondre au besoin d’autonomie des élevages.

Coline Crevits, Jessica Denayer

CRA-W

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