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Le soja, une première

chez Jean Marlier à Nalinnes

Sous l’expertise de plusieurs partenaires, la filière Coq des Prés

de Forfarmers et la société coopérative Scar étudient la possibilité de cultiver et valoriser du soja « wallon » dans l’élevage de poulets de chair bio. Un fameux défi qui mérite quelques explications.

Temps de lecture : 7 min

Cultiver du soja en Wallonie, qui plus est en agriculture biologique ! Rêve ou réalité ? « Face aux insuffisances et surcoûts chroniques des sources de protéines de qualité pour les aliments des éleveurs biologiques, face aux exigences de « régionalité » et de circuits courts du bio, la filière Coq des Prés de Forfarmers et la société coopérative Scar ont décidé de tester et de développer la culture et la valorisation du soja en Wallonie à travers une expérimentation de terrain », explique Jean-François Noël, conseiller poulet de chair Forfarmers.

L’objectif de cet essai de « Filière Soja Bio Wallon ». est également de pouvoir proposer une nouvelle source potentielle de différenciation à valeur ajoutée intéressante dans les rotations culturales des agriculteurs bio.

Vingt ha en Wallonie et au Grand-Duché

Concrètement, en mai dernier, deux agriculteurs wallons et un agriculteur du Grand-Duché de Luxembourg, encadrés et suivis par les services techniques de BioWallonnie, du Cpl Végémar, du Centre wallon de recherches agronomique et de l’Institut luxembourgeois d’agriculture biologique (Ilba), semaient au total une trentaine d’ha de soja dans le cadre de cette expérimentation en agriculture biologique. Concrètement : 15 ha à Nalinnes, 5 ha à Couthuin et 5 ha au Grand-Duché de Luxembourg.

L’Ilba apporte sa solide expérience sur le plan génétique et variétal, tandis que les partenaires scientifiques de l’encadrement wallon partagent leur expertise en culture du haricot, qui se rapproche de celle du soja, notamment sur le plan du désherbage.

Quatre mois plus tard, très exactement le 20 septembre dernier, Jean Marlier à Nalinnes récoltait ses 15 ha dédiés à l’expérimentation. L’occasion, avec les différents partenaires engagés dans l’aventure, de faire le point sur cette première année de culture.

Choix variétal : l’indispensable précocité !

L’Institut technique de référence Terres Inovia renseigne qu’en France, au nord de la Loire, les rendements obtenus sur des parcelles en sol profond non irriguées (sous réserve d’une pluviométrie estivale suffisante) peuvent être tout à fait satisfaisants. En conditions de sols moins profonds, des écarts de rendements jusqu’à 20 q/ha par rapport à une situation irriguée sont à craindre, avec des écarts extrémisés lors des années sèches sur la période juin à octobre. Le semis dans des sols superficiels est déconseillé, de même que les parcelles à fort risque de salissement. Il convient aussi de privilégier les sols qui se réchauffent rapidement.

Conseiller technique chez Biowallonie, Patrick Silvestre, qui a accompagné de près l’expérimentation menée cette année en Wallonie, ajoute que les terres à cailloux sont également à proscrire car au moment de la récolte, elles obligent à relever la table de coupe d’où le risque de perdre facilement un étage de gousses. Les terres doivent en outre être bien nivelées, à nouveau pour faciliter la récolte de l’ensemble des gousses, même les plus basses sur les tiges. La batteuse doit idéalement pouvoir raser la terre.

Sur le plan variétal, 6 critères sont à prendre en compte, à commencer par la précocité à maturité. Une précocité bien adaptée permettra une plus grande souplesse de date de semis, donc d’adaptation au climat printanier (notamment pour les réalisations des opérations de faux semis et binage). Les variétés sont classées par groupe de précocité : 0, 00, 000, et même 0000 pour les plus précoces.

Les deux variétés « précoces » retenues cette année chez Jean Marlier à Nalinnes appartiennent au groupe 000. Il s’agit de Abelina et Merlin, semées dans deux parcelles distinctes.

Les autres critères à prendre en compte sont la productivité, la tenue à la verse (récolte facilitée), la hauteur d’insertion de la 1ère gousse (influence les pertes à la récolte), la teneur en protéines, la sensibilité au sclérotinia.

Une saison sans gros souci…

À Nalinnes, la parcelle dédiée à la culture de la variété Abelina est en 2e année de reconversion bio. Le précédent en 2017 était une avoine de printemps en association avec un trèfle blanc (semé à la volée lors d’un désherbage mécanique). Cette variété est inscrite en Autriche (2014). Elle est de grande taille, sensible à la verse et caractérisée par une bonne hauteur des premières gousses sur la tige : 13 cm à Nalinnes, ce qui est de nature à faciliter la récolte avec la moissonneuse.

Il faut semer dès le moment où le sol est suffisamment réchauffé, en veillant toutefois à attendre que la température atteigne au moins 10ºC la nuit.

« Le soja a été implanté le 18 mai après un labour de printemps, trois faux semis et une préparation du lit de germination. Le semoir est un Monosem pneumatique 12 rangs équipé de disques spécifiquement adaptés pour le soja. L’interligne est de 45 cm et la profondeur de 3-4 cm, ce qui permet de faire rapidement avant la levée un premier passage à l’aveugle en plein avec une herse étrille », poursuit Patrick Silvestre. La densité de semis conseillée en bio s’élève à 700.000 grains/ha, avec une distance de 3,2 cm entre les graines dans la ligne. Cette densité élevée, surtout dans la ligne, permet aux plantes de « filer » un peu pour favoriser aussi une hauteur suffisante d’insertion de la première gousse par rapport au niveau du sol !

Le poids de 1.000 grains s’élevait à 176 g et les semences étaient préinoculées. Rappelons que le soja, comme toute légumineuse, a la capacité de s’associer à des bactéries, appelées rhizobium, ce qui lui donne la capacité d’utiliser l’azote de l’atmosphère. Comme les bactéries responsables de la formation des nodosités racinaires fixatrices d’azote sont naturellement absentes des sols européens, il est nécessaire de les apporter sous la forme d’inoculum. À noter que 70 à 80 % de l’azote utilisé par le soja sont fournis par lesdites nodosités.

« Sur le terrain, il n’a pas été possible de régler le semoir à plus de 635.000 graines/ha, soit concrètement 3,5 cm dans la ligne. Un léger passage à la herse étrille a été réalisé 3 jours après le semis. En postlevée, le 4 juin, passage à la herse étrille au stade cotylédon + 2 feuilles simples. Le 19 juin, un passage a encore été réalisé avec une bineuse Garford, et au final, la parcelle était bien nettoyée », explique Jean Marlier.

Les chénopodes, rumex, repousses de colza, senés et renouées persicaires formaient la flore adventice majoritairement présentes.

Quant aux ravageurs, la parcelle a heureusement échappé à la visite des lapins, corneilles, pigeons, qui s’ils sont présents peuvent faire échouer la culture. Les limaces grises par contre se sont manifestées au milieu de la culture, mais sans occasionner de dégâts, tandis que des grosses limaces brunes sont venues des bords boisés du champ ; comme celles-ci commençaient à pâturer, Jean Marlier a appliqué manuellement un appât granulé (Sluxx) sur les zones envahies. « Par la suite, la sécheresse persistante a réglé le problème, on n’a plus vu les limaces. »

Au 7 juin, des comptages ont mis en évidence une levée de 80 % et la culture a poursuivi sa croissance et son développement, sans interruption. Le soja n’a souffert de sécheresse que durant quelques jours de très forte chaleur, car la parcelle pouvait profiter d’une nappe phréatique assez haut perchée.

La variété Belina a été récoltée le 20 septembre et a procuré un rendement moyen de 2.700 kg/ha, entre 11 et 13 % d’humidité. Elle mesurait entre 1 et 1,2 m de haut. Sa sensibilité à la verse peut aussi s’expliquer par un plus grand nombre de gousses dans les étages supérieurs, par rapport aux étages inférieurs.

« Récolter aussi précocement et à un tel niveau de maturité, c’est exceptionnel. On signe à deux mains pour obtenir cela chaque année », observe Patrick Silvestre.

La deuxième variété, Merlin, inscrite en Autriche (2003), peu sensible à la verse, de taille moyenne, tout comme la hauteur des premières gousses, a procuré un rendement de 2.550 kg/ha, à 11-13 % d’humidité.

Une centaine d’ha en 2019

En attendant d’établir le bilan économique, Jean-François Noël estime tire déjà un premier bilan positif de l’expérimentation culturale menée cette année en vue de développer une filière du soja bio wallon. « Les terres sont restées bien propres. La densité de peuplement a été suffisante. Les plantes n’ont pas manifesté de symptômes de déficit hydrique malgré la sécheresse et les fortes chaleurs. Elles se sont montrées vigoureuses durant tout leur cycle. »

Le deuxième volet de l’essai est en cours avec le séchage des fèves, l’analyse de leurs teneurs en protéines et huile, la trituration ou le toastage en vue de leur valorisation.

« Si les voyants sont au vert, l’objectif sera de semer une centaine d’ha de soja l’an prochain, de manière à disposer de plus grandes quantités de graines permettant de constituer un lot homogène à valoriser pour l’élevage des poulets bio. »

M. de N.

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