Accueil Archive

Machiavélique

Temps de lecture : 4 min

« Cecilia, you’re breaking my heart, you’re shaking my confidence daily. Oh Cecilia, i’m down on my knee ! ». Cette ballade entraînante de Simon & Carfunkel raconte les affres d’un jeune gars prisonnier des charmes ravageurs d’une jeune femme plutôt volage. Notre Cécilia à nous est Commissaire Européenne au Commerce bientôt en partance, et porte le doux patronyme de Malmström. Comme dans la chanson, elle nous brise le cœur, secoue notre confiance et nous met sur les genoux ! Cette grande coquine, technocrate ultra-libérale de haut vol, n’a pas hésité à virer notre agriculture hors du lit européen, pour accueillir à bras ouverts le Mercosur sous ses draps. Elle nous a bien b(…) dans les grandes largeurs, et s’est ménagé une sortie de scène éblouissante au terme de son mandat européen de cinq ans, avec félicitations du jury. Elle a épaté le monde de la finance, pourtant dur à la détente ! Un seul terme me vient à l’esprit à son sujet : elle est MACHIAVÉLIQUE !

Inutile de retourner le couteau dans la plaie, et de vous raconter par le menu le dernier exploit de notre très chère Commissaire au Commerce. Suite à cet accord UE-Mercosur, l’arrivée de milliers de tonnes de viande, de sucre et d’éthanol en provenance de l’Amérique du Sud va déséquilibrer les marchés et nous écrabouiller comme une fourmi sous un de ses talons aiguilles. En fait, quand je qualifie Cécilia Malmström de « machiavélique », je pèse mes mots et souligne sa politique, digne du diplomate et philosophe Machiavel. On parle de celui-ci en exagérant son côté sombre : en fait, il n’était pas foncièrement mauvais, mais simplement cynique et réaliste. Un vrai technocrate ! Né en 1469 à Florence dans la cité-état des Médicis, il a posé les premiers jalons du libéralisme, avec d’autres penseurs comme les Anglais Thomas Hobbes et John Locke, en affirmant et démontrant quant à lui que morale et politique ne font pas bon ménage. Un prince, un gouvernement, un chef d’entreprise, un PDG d’un consortium international, doivent respecter une éthique de responsabilité, plutôt qu’une éthique morale. « La fin justifie les moyens ». La « Raison d’État » doit primer sur toute autre considération. Il ne faut pas hésiter un seul instant à sacrifier un individu ou un groupe, pour le bien de sa nation ou de son entreprise. Dans le cas de Cécilia, il s’agissait de sacrifier son agriculture pour le bien de l’Union Européenne. Être bon, généreux, clément, sincère, serait bien agréable pour un décideur politique, mais cela conduirait son pays à la ruine. L’homme est un loup pour l’homme : il faut être insensible, impitoyable envers ceux qui entravent la bonne marche de la cité, car selon le penseur florentin de la Renaissance, la nature humaine est aléatoire et défectueuse, on ne peut lui faire confiance.

C’est ce que prétendait Machiavel, et sa logique hélas ne manque pas de justesse, même si elle scandalise les hypocrites. Le libéralisme s’est largement inspiré de ses théories. La morale, dans son principe, est désintéressée : aucune politique ne l’est. Compter sur la compassion et la gratitude des eurocrates pour protéger ceux qui nourrissent leur population, c’est se raconter des carabistouilles. Compter sur la compétence et sur une réelle bonne volonté de nos dirigeants agricoles envers nous, c’est faire preuve d’angélisme et de naïveté. Dans les cénacles du pouvoir, le respect des agriculteurs et de leurs familles ne peut tenir lieu de politique agricole, pas plus que l’humanitaire ne peut tenir lieu de politique étrangère, ni l’antiracisme de politique de l’immigration. Ainsi réfléchissent les dirigeants européens, essentiellement guidés par la pensée libérale. La politique n’est pas morale, elle est machiavélique : ce ne sont pas les plus vertueux qui gouvernent, mais les plus forts et les plus nombreux.

Soyez-en convaincus, des gens comme Cécilia Malmström ou Phil Hogan (Commissaire à l’Agriculture) sont tout à fait persuadés d’être justes et bons, de travailler pour le bien commun, comme Machiavel en son temps. À leurs yeux, que vaut le sort d’une poignée de paysans européens, face aux intérêts d’une industrie et d’un commerce qui portent la croissance économique de l’Union ? De toute façon, pas de souci, si les prix agricoles européens s’effondrent, il suffira tout simplement d’octroyer quelques primes, de « jeter quelques cacahuètes à tous ces singes hurleurs » (sic) qui s’empresseront de s’en saisir et de se taire en les mangeant. Un milliard d’euros est déjà prévu à cet effet ! Les doléances et gesticulations de nos syndicats ne changeront en rien la marche en avant des disciples de Machiavel. Ce scénario, ces ukases à répétition, se répètent depuis l’avènement de la PAC en 1962. Pourquoi changeraient-ils une politique qui porte ses fruits économiques depuis bientôt soixante ans ? La fin du monde paysan ne constitue sans doute à leurs yeux qu’un « détail de l’histoire », pour employer une expression chère à l’extrême-droite.

Chère Cécilia, toi et tes semblables nous brisent le cœur, trahissent notre confiance et nous mettent à genoux. Machiavel en rit encore, quelque part dans sa tombe du côté de Florence, à gorge déployée…

La Une

L’agrivoltaïsme: un sujet de lutte paysanne

Voix de la terre Le 17 avril 1996, au Brésil, 19 membres du mouvement des paysans sans terre furent massacrés par des tueurs à la solde de grands producteurs terriers. Depuis lors, Via Campesina a décrété que le 17 avril serait la journée internationale des luttes paysannes. En cette période de révolte agricole, le Réseau de Soutien à l’Agriculture Paysanne (RESAP) et la Fugea signalent une nouvelle menace pour les terres agricoles et pour l’accès à la terre : l’agrivoltaïsme.
Voir plus d'articles
Le choix des lecteurs