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Des températures « record »

et des rendements

de haute tenue

La saison céréalière 2019 restera dans les esprits pour son excellente récolte effectuée sous des températures inédites dans notre pays. Le seuil de 40ºC à l’ombre n’a pas été le seul record

à tomber. Dans de nombreuses régions, des records

de rendement ont été atteints, voire dépassés.

Temps de lecture : 9 min

Les parcelles de froment à plus de 120 q/ha ne furent pas rares et la quantité de paille est souvent exceptionnelle. Ces bons résultats ne sauraient toutefois cacher quelques mauvaises surprises ponctuelles, mais aussi l’inquiétude liée à l’augmentation des risques engendrés par l’évolution de notre climat, avertit d’emblée, Guillaume Jacquemin, du centre wallon de recherches agronomiques, en introduction à la soirée de présentation des résultats et recommandations du Livre blanc, le 12 septembre à Gembloux.

« Après cette troisième saison caractérisée par des sécheresses passagères et des périodes de canicule, rares sont celles et ceux qui persistent à douter du dérèglement climatique qui s’opère sous nos yeux et affecte notre agriculture. »

Des levées 2018 souvent homogènes, malgré un déficit hydrique grandissant

La campagne de semis de l’automne dernier a débuté sous les meilleurs auspices avec l’implantation des escourgeons. Les sols avaient bénéficié de quelques pluies aux alentours du 20 septembre et les premiers semis ont été réalisés idéalement. Semaine après semaine, la sécheresse qui sévit depuis la fin 2016 s’est renforcée et le défi majeur est devenu celui d’identifier la technique de préparation du sol et de semis permettant de conserver le maximum du peu d’eau que les sols contenaient encore. Pour certains précédents comme les pommes de terre, cela n’a pas été possible et dans ces situations, les levées ont pu être irrégulières. Pour la majorité des céréales cependant, les températures favorables et les pluies des derniers jours d’octobre ont permis une levée homogène.

Automne chaud… insectes du sud

Les vols des pucerons ont été bien maîtrisés malgré l’interdiction des néonicotinoïdes, poursuit l’orateur. Les avertissements ont été suivis par la profession et dans la majorité des cas, un traitement insecticide à base de pyréthrinoïde a suffi pour réduire la menace de la jaunisse nanisante sur les orges.

Une première chez nous : le pied chétif du froment

Parmi les particularités de cette dernière saison culturale, on notera que pour la première fois des plantes de variétés tolérantes à ladite JNO ont présenté des symptômes de viroses. Il s’agissait en réalité du virus du pied chétif du froment (Wheat Dwarf Virus). « L’identification de ce virus transmis par une espèce de cicadelle (Psammotettix alienus) plus habituée aux automnes du Centre et Sud de la France qu’à ceux de notre pays est une première en Belgique et constitue un exemple supplémentaire des conséquences du dérèglement climatique », poursuit Guillaume Jacquemin.

Pour les froments, la mouche des semis s’avère être le problème majeur de ces automnes chauds. Des cas de mortalité de jeunes plantes ont à nouveau été rapportés en novembre et décembre.

En sortie d’hiver 2018-2019, un tallage optimal

Les levées rapides et le temps clément qui a persisté tout l’hiver dernier ont permis aux plantes de taller de façon optimale. Si aucun dégât de gel n’a été observé, les températures moyennes n’ont pas été trop élevées et le développement des céréales à la sortie de l’hiver, bien que précoce, n’était pas excessif. « Le nombre de talles est le principal facteur responsable des très bons rendements en paille de cette année et il a également joué un rôle déterminant pour le rendement en grain au travers du nombre d’épis. »

L’hiver fut également favorable au développement de certaines maladies. En février, la pression d’helminthosporiose en orge et la présence de rouille brune en froment témoignaient de la douceur de l’hiver. Les faibles températures observées à la mi-avril et surtout durant l’ensemble du mois de mai, ont toutefois freiné le développement de ces deux maladies qui n’ont finalement que peu affecté les céréales.

Premier coup de chaud dès février

Le mois chaud et sec de février a permis un retour rapide sur les terres et la réalisation des désherbages et des semis des céréales de printemps. Des premières applications d’azote ont également été appliquées. À nouveau, certains précédents n’avaient pas valorisé l’azote apporté la saison précédente et des analyses de reliquats ont permis d’éviter des surdosages. Par exemple, deux essais en froment et triticale semés après pomme de terre se sont contentés de 50 unités apportées sur la saison pour produire des rendements approchant les 12 t/ha.

Du côté des virus, la mosaïque de l’orge de type 2 poursuit sa progression dans le Condroz, mais les conditions clémentes du mois de février ont permis aux variétés sensibles de ne pas être trop pénalisées par cette maladie qui freine le développement des racines.

Rouille jaune : la surprise du début mai

L’évolution de la rouille jaune en froment, épeautre et triticale reflète également le « printemps inversé » qu’ont été les mois de février à mai. Classiquement, la rouille jaune se développe par temps couvert sous des températures fraîches. Ces conditions sont généralement rencontrées en mars et avril.

En 2019, c’est un temps chaud, ensoleillé et sec qui a prévalu durant la première partie du printemps. Ce n’est qu’au début mai, période à laquelle la rouille jaune classiquement s’éteint, qu’elle s’est répandue affectant les variétés sensibles non protégées. « Le spectre de cette race de rouille jaune diffère de celui des années précédentes. Sans être aussi virulente que les races des saisons 2012, 2014 et 2016, la race 2019 s’est révélée capable de contourner les résistances de variétés de froment telles que KWS Smart, Amboise ou celles de l’épeautre Zollernspelz », précise encore l’orateur.

La septoriose a profité des précipitations du mois de mai pour progresser vers les étages foliaires supérieurs. Les répartitions des pluies ayant été localement très variables, la pression de cette maladie l’a été également et dans de nombreuses régions plus sèches, elle n’a pas posé de problème.

Le climat change, l’helminthosporiose affecte aussi le froment

Des nécroses foliaires losangiques ont pourtant été régulièrement observées, mais il s’agissait bien souvent d’une maladie encore peu connue dans nos régions : l’helminthosporiose du froment appelée aussi DTR ou HTR. Celle-ci se développe plus favorablement sous des climats de type continentaux, ce qui commence à être notre cas avec le déplacement de l’anticyclone des Açores.

La réduction du travail du sol avec le non-enfouissement des pailles est un autre élément favorisant le développement de cette maladie. Les automnes secs ne requérant plus de labour de façon aussi fréquente, la maladie trouve là des situations favorables à son développement.

Contrairement aux dernières années, la fusariose des feuilles n’a été que rarement observée.

La fraîcheur de mai a « calmé le jeu »

La fraîcheur du mois de mai a eu des conséquences diverses sur le développement des orges et des froments. Pour les orges, l’épiaison s’est prolongée sur plus de 3 semaines et dans certaines situations, la fertilité des épis a été affectée. Ce fut particulièrement le cas pour les variétés précoces telles que LG Zebra ou LG Zappa. Les 3 jours de gel subis à la mi-avril ont également pu avoir un impact sur le développement des épis d’escourgeon. En froment, cette fraîcheur du mois de mai a réduit l’avance prise par les plantes depuis la sortie de l’hiver, ce qui fut plutôt bénéfique pour la culture.

La cécidomyie orange du blé ne s’est manifestée que de manière sporadique. La sécheresse des mois de juin et juillet 2018 avait bien eu un effet létal sur les populations de larves. Bien que les vols aient eu lieu durant la période sensible de l’épiaison, peu de traitements insecticides ont été nécessaires car les populations présentes ne dépassaient que rarement 5 à 10 insectes par m². Les rendements n’ont pas été affectés par ce ravageur qui, de son côté, a mis à profit cette saison pour reconstruire ses populations.

La verse a affecté les escourgeons, mais pas les froments, épeautres, triticales ou avoines, sauf dans des cas très localisés de vents violents. Les différentes conditions météos subies durant la montaison : pour les orges, en mars (humide et nuageux), pour les autres céréales, en avril (sec et ensoleillé), sont responsables de ces différences de comportement.

Fusariose des épis : plus de peur que de mal !

Pour les fusarioses des épis, « le temps orageux du début juin a fait craindre le pire mais les faibles quantités d’eau tombées ainsi que la chaleur qui séchait systématiquement les épis en quelques minutes n’ont pas permis le développement du champignon dans les épis, excepté très localement dans les régions où les précipitations ont été plus abondantes ».

Le mois de juin a été une succession de coups de chaleur. Le 2, le 25 et le 29, les valeurs maximales de températures à Gembloux atteignaient les 30 ºC. Cependant, dans la plupart des situations, le seuil des 32ºC n’a pas été dépassé. L’échaudage tant redouté n’a dès lors concerné que quelques cas de variétés tardives et les cultures situées dans des zones plus exposées (sols à faible capacité de réserve en eau…).

La moisson des escourgeons a débuté en juillet et non en juin comme nous commençons à en avoir l’habitude. Ce compromis résulte des températures contrastées en mai et juin. Seuls, quelques problèmes de fertilité d’épis ont empêché les rendements d’atteindre des sommets.

En froment, les moissons ont débuté vers le 24 juillet sous la canicule. Durant 3 jours et souvent 3 nuits, les moissonneuses ont avalé les ha, récoltant un grain de qualité avec des rendements records. « Seul bémol : les teneurs en humidités étaient si faibles (parfois sous les 10 %) que l’eau évaporée avait le prix du grain… »

Le 27 juillet, une forte pluie a imposé un temps d’arrêt dans les campagnes. Les travaux ont repris d’abord pour les épeautres, puis pour les froments, la première semaine d’août.

Les rendements en épeautre sont bons, mais certains sites semblent avoir été davantage affectés par la chaleur que les froments. Ce n’est pas une surprise car les épeautres sont cultivés sur des sols plus drainants et donc plus sensibles au réchauffement.

Les triticales ont connu comme les froments une excellente saison et les rendements ont été très élevés. Pour cette culture, les tolérances variétales aux maladies ont déterminé les classements et c’est la rhynchosporiose qui semble avoir eu le plus d’impact sur les rendements.

Et Guillaume Jacquemin de conclure sur le fait que les sols poursuivent leur assèchement progressif entamé en 2017, « même si pour les céréales, les pluies faibles en quantité mais finalement assez bien réparties sur la saison ont permis aux variétés d’exprimer leur plein potentiel de rendement. »

Propos recueillis par M. de N., d’après Le Livre Blanc, septembre 2019

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