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Que dit la réglementation

et quelles sont les bonnes pratiques dans ce contexte ?

Un éclairage sur les zones karstiques et autres facteurs de vulnérabilité au lessivage, axé sur les produits phytos. Comment déterminer si une parcelle est à risque, en alliant une approche de terrain aux outils numériques disponibles gratuitement ?

Et pour les cultures légumières, quelles sont les précautions

particulières à prendre dans ces zones sensibles ?

Temps de lecture : 8 min

En Wallonie, 30 % du sous-sol sont constitués de roches calcaires, fortement ou modérément affectées par des phénomènes karstiques. La majorité de notre eau potable provient de ce type de sous-sol particulier. Les zones karstiques sont très favorables à l’infiltration des eaux pluviales. Les masses d’eau souterraine localisées en dessous sont donc extrêmement vulnérables aux contaminations par des polluants venant de la surface. Les sols très faiblement pourvus en matière organique, mal drainés ou sableux sont également à risque pour la qualité de l’eau.

Zones karstiques : de quoi parle-t-on ?

Le mot « karst » désigne une région calcaire ou crayeuse dont le sous-sol rocheux, tel une éponge, est caractérisé par de nombreuses cavités creusées par l’action de l’eau. En s’infiltrant dans le sous-sol depuis des milliers d’années, l’eau a dissous la roche calcaire, ce qui a agrandi les fissures présentes et créé des poches de vides en partie comblées par des matériaux fins. En cas de pluie, l’eau s’infiltre dans le sol puis s’écoule rapidement via ces fractures, entraînant avec elle d’autres molécules jusqu’à la nappe.

En général, plus les masses d’eau souterraine sont proches de la surface, plus elles sont sensibles à ces infiltrations. Cependant, dans un contexte karstique, la présence d’une faille peut rendre sensible une nappe phréatique même profonde.

De même, une parcelle ne se trouvant pas à l’aplomb d’une région karstique ou d’un phénomène karstique (dolines, chantoir, etc.) mais étant en pente vers ces zones peut aussi représenter un risque. Lorsque du ruissellement survient sur ces parcelles, les polluants transportés par l’eau sont alors susceptibles de contaminer la nappe.

Circulation de l’eau dans les zones karstiques

Lorsqu’il pleut, l’eau s’infiltre à travers la couche de sol, plus ou moins épaisse, pour atteindre ensuite les anfractuosités de la roche mère calcaire fissurée (voir la figure 1). Ces fissures constituent des voies préférentielles d’écoulement vers la nappe phréatique. Plus la couche de sol est mince et plus la roche est fracturée, plus la masse d’eau souterraine est vulnérable aux pollutions.

Trois paramètres rendent les terres vulnérables au lessivage

Le pourcentage de sable est un facteur déterminant ! Plus le pourcentage de sable dans le sol est important, plus la vitesse de transfert des produits phytopharmaceutiques peut être rapide. Il est donc important de prendre des précautions sur des sols sableux car ils sont tout aussi à risque en termes de lessivage que les sols carbonatés.

Le taux d’humus, et plus précisément la teneur en carbone organique des sols, constitue un autre critère de vulnérabilité. La matière organique a la capacité de « fixer » certaines substances actives. Les sols trop peu pourvus en matière organique ne sont donc pas toujours en mesure de retenir ces molécules, qui percolent alors rapidement vers la nappe en cas de pluie. La quantité de matière organique renseigne également sur le potentiel du sol à dégrader les substances actives.

Un taux d’humus élevé favorise la vie microbienne et donc une dégradation nettement plus rapide des substances actives.

Le régime de drainage naturel du sol est également un indicateur du risque pour la ressource en eau. Un sol naturellement mal drainé peut être le signe d’une nappe phréatique proche de la surface. Dans ce cas, la faible distance entre la surface et la nappe facilite les échanges entre ces deux compartiments environnementaux.

Que dit la réglementation ?

Certains produits phyto font l’objet d’interdiction d’usage sur les sols vulnérables au lessivage. Ces limitations sont indiquées dans la mention « SPe2 » reprise sur l’étiquette du produit, par exemple de la manière suivante :

– SPe2 : pour protéger les eaux souterraines, respecter une zone non traitée de 5 mètres par rapport aux points d’eau. Cette zone non traitée ne peut en aucun cas être réduite;

– SPe2 : pour protéger les eaux souterraines, ne pas appliquer ce produit sur sol vulnérable au lessivage de la bentazone. Sont considérés comme vulnérables : les sols dont la teneur en carbone organique de la couche arable est ≤ 1 % ; les sols présentant une nappe phréatique à une profondeur ≤1 mètre par rapport à la surface du sol ; les sols présentant de la roche karstique à une profondeur ≤ 1 mètre par rapport à la surface du sol.

Une seule de ces conditions suffit à classer le sol comme vulnérable.

D’autres produits phyto portent une mention relative à l’érosion, indiquée comme suit : « Pour protéger les eaux souterraines, le produit ne peut pas être utilisé sur les parcelles sensibles à l’érosion. Pour la Région wallonne, cela correspond aux parcelles identifiées avec le code R10-R15. Le produit peut néanmoins être utilisé sur ces parcelles à condition que des mesures de lutte contre l’érosion des sols telles que fixées dans les législations régionales soient mises en œuvre. »

Les mesures de lutte contre l’érosion sont, dans ce cas, principalement l’enherbement des bas de pentes sur 6 m dans le cas de cultures sarclées.

Molécules concernées par un risque de lessivage

Actuellement, seule la bentazone fait l’objet d’une interdiction d’utilisation sur les sols vulnérables au lessivage.

Il ne faut cependant pas perdre de vue que l’application de désherbants racinaires sur sols nus (S-métolachlore, terbuthylazine, chloridazon, metribuzine, etc.) présente le même type de risque pour la qualité de l’eau.

Sur un sol peu épais et/ou filtrant, les substances actives des produits herbicides sont susceptibles d’atteindre rapidement la nappe en cas de pluie, et cela sans dégradation en surface au préalable. Ces molécules, une fois dans l’eau souterraine, se décomposent beaucoup plus difficilement et peuvent devenir persistantes.

Par exemple, l’atrazine, pourtant interdite depuis 2004, et les molécules issues de sa dégradation (les métabolites), sont encore retrouvés de nos jours de manière quasi systématique dans les eaux souterraines wallonnes.

Rémanence et persistance des produits phyto

Un herbicide a une « rémanence d’action » lorsqu’il exerce encore son activité durant une certaine durée dans le temps.

La « persistance », quant à elle, est un terme écotoxicologique relatif à la durée de sa présence dans les compartiments « sol » ou « eau ». Toute substance active se dégrade au fil du temps et disparaîtra plus ou moins vite en fonction de sa persistance. Par exemple, la bentazone, herbicide de contact non rémanent, peut être persistante dans les nappes souterraines si elle les atteint.

Pour diagnostiquer une parcelle, allier terrain…

Les observations de terrain offrent les premiers indices pour savoir si votre parcelle est concernée. Si celle-ci est mal drainée, sableuse, caractérisée par une forte charge en cailloux (roches calcaires) ou que le soc de la charrue touche la roche lors des travaux agricoles, il s’agit très probablement d’une parcelle vulnérable au lessivage. La roche karstique ou la nappe phréatique sont certainement proches de la surface.

… et outils cartographiques

Plus de la moitié des communes wallonnes sont concernées par des phénomènes karstiques. L’atlas du Karst wallon est disponible sur le Géoportail de la Wallonie (https ://tinyurl.com/RuissellementKarst). La carte n’indique cependant pas à quelle profondeur la roche calcaire se situe.

La Carte Numérique des Sols de Wallonie (CNSW) permet d’avoir une information précise sur les zones à risque : présence de roches carbonatées à moins d’un mètre de profondeur, nappe à moins d’un mètre de profondeur ou texture du sol majoritairement sableuse. Sa version numérique peut être consultée sur le Géoportail : https ://tinyurl.com/CNSWlegende.

Après une recherche de votre parcelle, vous pourrez consulter les différents sols qui la composent et leurs caractéristiques dans la légende de la carte.

Le Géoportail wallon permet également d’afficher les teneurs en carbone organique des sols pour la période 2004-2014 (https ://tinyurl.com/Carbiosol). Les zones ciblées comme étant à risque, sur base de ce critère, sont essentiellement situées au nord de la province du Brabant wallon et à l’extrême ouest de la province du Hainaut.

Cet outil est disponible à titre indicatif, en raison des références temporelles sur lesquelles il se base et de l’échelle qui est utilisée (seuil minimum de 1,15 % de Corg dans Carbiosol au lieu de 1 % dans la phrase SPe2). Seule une analyse de sol permet d’obtenir une information fiable.

La manipulation de ces outils numériques ne s’avère pas toujours aisée. Les conseillers de Protect’eau sont en mesure de répondre aux questions concernant la situation de vos parcelles, de manière indépendante et confidentielle.

Prudence avec les cultures légumières !

Compte tenu des risques pour la qualité de l’eau, il convient de considérer la vulnérabilité de la parcelle au moment de composer le schéma de désherbage. Rendez-vous sur le Géoportail de Wallonie pour déterminer le risque, ou contactez votre conseiller Protect’eau pour évaluer la situation.

Attention ! En ce qui concerne la bentazone, la réglementation est claire : son usage est strictement interdit sur les « sols vulnérables », tels que définis dans cet article.

Il faut donc s’assurer que les légumes (pois, haricots, oignons) qui nécessitent souvent l’usage de cette molécule ne soient jamais traités sur les parcelles concernées. L’idéal est de gérer ses rotations de manière à ce que ces terres ne soient jamais emblavées en pois, haricots et oignons.

Pour les autres cultures sarclées, il est recommandé de limiter le recours aux herbicides, notamment racinaires, en privilégiant, par exemple, des méthodes de désherbage mécanique.

Plus d’informations : info@protecteau.be ; www.protecteau.be.

D’après Florent Hawotte et Bernard Weickmans, Cra-w; Patrick Engels, Spw; Xavier Legrain, ULg et Margaux Lognoul, Protect’eau

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