
Les chercheurs et spécialistes de tous bords sont très forts pour dessiner des graphiques, afin d’expliquer qui fait quoi dans un système ou une filière. Naguère, le cheminement des aliments était tracé d’une manière linéaire assez sommaire. On parlait de « chaîne » alimentaire, dont notre bonne vieille Afsca nationale assure la surveillance. Y étaient alignés simplement : les fournisseurs d’intrants, les agriculteurs, les marchands et les transporteurs, les transformateurs (laiteries, abattoirs, minoteries, boulangeries, boucheries, etc), les commerçants (hypermarchés, épiceries, magasins, etc), puis en toute fin de ligne les consommateurs. Dans ce schéma, les relations internes glissaient en flux tendu le long de la ligne, flagelle tortillante et torturée, peu représentative de la complexité systémique du secteur alimentaire.
Aujourd’hui, dans les publications des plateformes dédiées à l’écologie et aux défis climatique, les systèmes alimentaires sont représentés d’une manière plus dynamique, en trois dimensions. Les intervenants, repris au complet, gravitent et interagissent comme dans la vraie vie, ce qui complique quelque peu leur compréhension pour mon cerveau lent, baladé aux quatre vents. Le noyau central reprend la bonne vieille chaîne alimentaire enroulée sur elle-même, à laquelle s’est ajouté le secteur des déchets générés par ce cercle refermé. Autour de ce noyau gravitent des forces élargies qui lui dictent le tempo et colorent sa nature en cercles magiques – ou maléfiques ?-. Ce sont les besoins sociaux et culturels spécifiques à chaque groupe humain, ainsi que les grands équilibres politiques mondiaux ; ce sont les politiques agricoles et foncières de chaque pays, les accords commerciaux internationaux, les spéculations et la haute finance ; ce sont également, -last but not least, comme dirait l’autre –, les thèmes environnementaux : écologie, biodiversité, défis climatiques.
Une chatte pas très futée n’y retrouverait pas ses jeunes ! Cette notion de « système alimentaire » a le grand mérite d’ôter une partie du fardeau qui pèse sur l’agriculture, de désigner d’autres « coupables » que les pauvres baudets paysans. Ceci dit, le schéma proposé ressemble à une bouche grande ouverte, aux canines politiques et financières acérées : la gueule avide de notre société capitaliste ! Celle-ci doit composer maintenant avec l’essoufflement marqué de notre Terre, et ses coups de fièvre intempestifs. Il faut arrêter de chercher des « coupables », comme au temps de l’Inquisition. Le GIEC semble l’avoir compris, puisqu’il propose maintenant cette approche holistique, et s’intéresse au problème dans sa globalité. Le travail d’analyse et d’interprétation des interactions n’a rien de bien compliqué, quand on est aidé par des ordinateurs surpuissants ; encore faut-il les utiliser avec subtilité, en toute impartialité, sans subir la pression implacable des lobbies des grands trusts internationaux…
Exemple emblématique, un vent de raison soufflerait-il sur le GIEC & Cie, en ce qui concerne le rôle donné au méthane d’origine agricole, considéré comme majeur dans le panel des gaz à effet de serre ? Le CH4, molécule très simple présente sur Terre depuis ses origines, est un redoutable GES… à court terme, car sa durée de vie n’excède pas 12 ans dans l’atmosphère. Il tourne en cycle annuel dans les élevages. Les prairies et les cultures fixent du CO2 dans les herbes et les fourrages destinés au bétail. Celui-ci restitue ce CO2 par la respiration, et du méthane par la digestion. Ce dernier s’oxyde en eau et CO2 au bout d’un lustre, et chaque année, la photosynthèse refixe ce CO2 dans les aliments, qui seront digérés et les GES à nouveau expulsés. Ce cycle tourne depuis la nuit des temps, et la contribution nette des ruminants d’élevage n’est en rien coupable d’augmenter la teneur en GES de l’atmosphère, même si le nombre total d’animaux détenus augmente, puisque le cycle fonctionne à amplitude variable. Le GIEC l’a enfin admis ! La pièce a mis beaucoup trop de temps à tomber, et refaire une virginité aux élevages de ruminants est devenu mission impossible. Une solution pourrait nous mettre définitivement dans le camp des « bons » : la biométhanisation des fumiers et des déchets végétaux ! Le méthane est ici récupéré comme vecteur d’énergie verte et le cycle du carbone agricole est d’autant raccourci et davantage vertueux.
Serons-nous jamais blanchis et acquittés des lourdes charges climatiques qui pèsent sur nous ? Dans son dernier rapport, le GIEC admet que « L’agriculture et le système alimentaire sont des éléments clés des réponses aux changements climatiques mondiaux. La combinaison d’actions au niveau de l’offre, telles que la production, le transport et la transformation efficaces, et d’interventions au niveau de la demande, telles que la modification des choix alimentaires et la réduction des pertes et gaspillages de nourriture, permet de réduire les émissions de GES et de renforcer la résilience du système alimentaire ».
Vous avez bien lu : le GIEC parle de « réponses » et non de « causes ». Alors, ça gaze !
