
La Toile Internet est une Caverne d’Ali Baba, un véritable souk où on trouve tout et n’importe quoi. Mes grands fils et ma fille, imprégnés jusqu’aux os d’un ADN paysan, sont friands de vidéos consacrées à la permaculture, l’agro-écologie, l’agroforesterie. Ils m’envoient quasi chaque jour des liens informatiques sur ces thèmes : la vie du sol et les vers de terre, le rôle des sols dans la captation du carbone, la désertification en Afrique, le « jardin du paresseux », et forcément ces « Save Our Soils » qui les inquiètent pour l’avenir de leurs enfants. Pas facile pour eux de faire le tri dans les informations, de séparer le bon grain de l’ivraie, les vérités des « fake news »… Alors, ils me demandent mon avis, ou partagent des trouvailles qu’ils trouvent géniales.
Pour répondre à leurs questions, et aux miennes surtout, je lis avec attention ma nouvelle bible, le livre de Jean-Marie Parmentier : « Et si on pensait Épiculture… ». C’est drôle et jubilatoire, et se déguste au petit-déjeuner, à l’apéro de midi et jusqu’au souper. À consommer sans modération ! De toute évidence, nos sols sont loin d’être fichus, selon cet ingénieur agronome qui sait de quoi il parle. Ils sont d’une complexité inouïe ! Dans ma jeunesse, au cours des années 1970, l’enseignement et la vulgarisation agricoles donnaient l’impression qu’un sol n’est qu’une couche plutôt inerte, un substrat physico-chimique comparable à une ouate plus ou moins imprégnée d’eau que l’on peut tordre et manipuler, arroser de n’importe quoi pour que les plantes poussent. Depuis lors, -tu m’étonnes ! –, les scientifiques se sont rendus compte de leur extraordinaire diversité, de leur richesse biologique et surtout de leur interaction avec ce qui se passe à l’air libre. JMP explique tout cela fort simplement et nourrit agréablement notre « grenier de l’esprit ». Miam miam, je me goinfre !
Avec la glèbe de nos parcelles, nous autres paysans entretenons des relations quasi charnelles, instinctives, empiriques -voire « ataviques » se moqueront d’aucuns !-. Les sols nous racontent leurs bonheurs et leurs difficultés, et font tout un cinéma aux yeux de ceux qui savent les observer. Leur couleur brune nous réjouit, signe de fertilité ; les traînées jaunâtres nous alertent, nous disent que notre labour est trop profond, que la terre violentée perd sa lymphe et son sang ; les nuages de poussières très fines qui s’envolent sous le vent, nous parlent de sécheresse, de risque d’érosion en cas d’averse orageuse intense ; la fine vapeur de chaleur qui s’échappe de son flanc annonce une terre dite « amoureuse », prête à être ensemencée. Les plantes, compagnes inséparables de nos sols, pointent sur nous leur doigt accusateur quand elles affichent un aspect rabougri dans les zones compactées, quand leur couleur vert bleu ou la présence de rumex nous alertent d’un excès de lisier épandu. On ne peut se contenter de surfer sur le Net, de jouer à l’agriGeek, pour apprendre des choses sur nos sols et les aimer, les respecter ; il faut se connecter à ceux-ci !
Ceci dit, les SOS des articles et vidéos nous confirment à quel point nos sols sont fragilisés par les activités humaines. Chaque année, des millions d’hectares de surfaces agricoles sont sacrifiés à l’urbanisation, au développement économique, industriel, commercial, aux infrastructures de transport. De plus, les changements climatiques impactent gravement certaines zones : sécheresses, inondations, salinisation due à la montée des mers. C’est inimaginable et désastreux ! Nous assistons impuissants à un véritable jeu de massacre ! Plus encore, au niveau de nos exploitations, la marchandisation des terres agricoles et le surenchérissement démentiel de nos prairies et nos champs vivent un emballement démentiel, lequel constitue pour nous le pire des dangers.
Ici, on peut réellement lancer un SOS, -Save Our Soils –, à la face du monde et de nos responsables politiques wallons. La valeur marchande de nos terres est complètement déconnectée de leur valeur d’usage. Vingt, trente, cinquante mille euros/hectare ! Une courbe exponentielle, suicidaire pour la pérennisation de nos fermes ! Ces valeurs en accélération constante entraînent des misères au sein des familles, des disputes entre fermiers, et surtout attisent la convoitise des spéculateurs, qui rôdent comme des loups et perpètrent des carnages dans nos rangs. Le démon du capitalisme règne en maître sur notre planète et se nourrit des déséquilibres qu’il provoque, des crises, des guerres, des famines et des malheurs des petites gens. Et là, oui, un SOS devrait s’écrire partout en grand pour sauver nos sols agricoles et tous ceux qu’ils nourrissent !
