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Mycoplasma bovis: biosécurité et prévention sont primordiales

Dans le cadre d’un webinaire sur la lutte contre l’antibiorésistance organisé par l’Amcra, le Centre de connaissance concernant l’utilisation et les résistances des antibiotiques chez les animaux, le Dr vétérinaire Linde Gille (ULiège) s’est intéressée à l’impact de Mycoplsma bovis en ferme et aux différents moyens de prévention.

Temps de lecture : 10 min

Mycoplasma bovis est une bactérie est très particulière tant elle est l’une des cellules vivantes les plus petites dans le monde et qui n’a en outre aucune paroi cellulaire. C’est pourtant cette dernière qui en général visée par l’action des antibiotiques. le pathogène y a donc une résistance naturelle contre certains d’entre eux.

Des facteurs de virulence

Par ailleurs, les facteurs de virulence sont nombreux. Ils rendent la bactérie d’autant plus difficile à lutter contre.

La docteure vétérinaire cite notamment les VSP, des antigènes protéiques de surface variable. « Généralement un veau produira des anticorps entre 7 et 14 jours pour lutter contre une protéine de surface. Toutefois, dans le cas du mycoplasme, au moment où les anticorps entreront en action, la surface variable de l’antigène aura déjà changé et donc rendu l’action de l’anticorps inefficace. Cela rend donc l’immunité du veau toujours tardive et les maladies peuvent mettre du temps à être soignées. »

En outre, Mycoplasma bovis peut créer un biofilm et s’y cacher. Il y est protégé contre la désinfection, la sécheresse, dans l’environnement, mais aussi dans le corps, contre les antibiotiques, anticorps et autres cellules immunitaires. Cela signifie qu’un foyer de Mycoplasma bovis installé dans la mamelle d’un animal peut rester dans son biofilm et attendre le bon moment pour en sortir et commencer à se multiplier et causer des dégâts à nouveau.

«  Last but not least , si ce n’était pas encore assez, le pathogène a aussi un effet d’immunomodulation, ce qui lui permet d’augmenter ou de diminuer activement la réaction des cellules immunitaires. Si l’antigène vient donc diminuer l’action desdites cellules, entraînant de ce fait une baisse de l’immunité du veau, tout en laissant de la place pour faire davantage de dégâts et se multiplier mais également laisser la place à d’autres virus (respiratoires, par exemple) pour entrer dans le corps de l’animal et s’y attaquer. Raison pour laquelle le pathogène est souvent accompagné d’autres germes.

Une problématique bien belge

Pour la vétérinaire, la problématique n’est pas très récente. Des rapports datant des années 80 faisaient déjà état de la présence de la bactérie chez nous. Toutefois, la problématique s’est élargie avec le temps. En 2009, 1,5 % des fermes laitières (culture lait de tank) étaient positives. En 2011, 11 % des jeunes qui arrivaient dans les centres de veaux de boucherie avaient des anticorps, ce qui équivalait a 10 % des fermes où l’on y retrouvait des anticorps. En 2016, un winterscreening a établi que 36,7 % des bovins étaient positifs. Durant cette même année, 23,6 % des troupeaux wallons étaient positifs. En Flandre, 32 % des troupeaux laitiers (tests sur lait de tank) avaient des signes de dudit pathogène, (soit la cellule, soit des anticorps).

En 2021, des changements sont survenus dans le kit achat. Les chiffres ont donc évolué. Quelque 14 % des bovins vendus chez nous étaient séropositifs. Et sur les quelque 900 fermes, seules 1/3 d’entre elles ont vendu plus de 10 bovins tous séronégatifs.

Des symptômes variés

Chez les vaches adultes, les symptômes les plus courants sont : mammites, pneumonie, arthrite. Ce ne sont pas seulement des grosses mammites cliniques, elles peuvent être subcliniques ou des vaches à cellules porteuses de Mycoplasma bovis

Chez les veaux, en général, les symptômes les plus fréquents sont : otites, pneumonies, et arthrites. La vétérinaire note aussi d’autres pathologies comme des infections oculaires, des méningites et des clapiers…

« Certains animaux sont asymptomatiques. Ils sont pourtant porteurs du pathogène, notamment dans les amygdales, le vagin… »

La pneumonie, cause de mortalité nº1

Comme le montre la Fig.1, c’est à partir de 3 à 6 mois que le nombre de mortalités dues à la pneumonie flambe. Près de 60 % des décès dans cette catégorie d’âge ! De 3 mois jusqu’à presque deux ans, la pneumonie est la cause la plus probable de mortalité chez les bovins.

Et avoir des veaux qui toussent est bien plus impactant que ce que l’on peut croire. Car derrière la mortalité causée par la pneumonie se cachent les pertes de prise de poids. « Une pneumonie coûte 800g de perte de prise de poids/semaine/veau malade (dans les trois premiers mois de vie). Un veau qui tousse et qui tarde à être soigné coûte donc beaucoup à son éleveur. Si on attend avant de soigner un veau et qu’il met deux semaines à s’en remettre, le veau aura perdu plus d’1,5kg de prise de poids. Il n’aura pas grandi, il aura même rétrogradé », affirme Linde Gille.

Aux Etats-Unis, des chercheurs ont calculé que la perte de valeur de la carcasse et la prise de poids réduite avoisinaient les 32 millions de dollars par an. « Ces chiffres datent de 1999. Si on les indexe, ils doivent avoir probablement doublé », estime l’oratrice.

« Au total, aux États-Unis, avec les frais de traitement, avec les animaux perdus… ils estiment être à 1 milliard de dollars de perte dû à la BRD, la maladie respiratoire bovine. L’Europe a fait ses calculs 10 ans plus tard. La perte due à la BRD avoisine les 576 millions d’euros par an. De cette somme millions, de ¼ à 1/3 de ces pertes sont exclusivement dues à Mycoplasma bovis. »

Le coût des pneumonies

À l’échelle de la ferme, une pneumonie endémique (due à M. bovis – et qu’on aura chaque année) coûte près de 31,2 €/génisse présente/an. Quand on a une éruption épidémique saisonnière (par ex. un brsv), cela coûte un peu moins cher (27 euros par génisse présente/an) car ce n’est qu’une vague passagère…

En outre ce type de maladie a des répercussions sur toute la vie de l’animal. Si l’on s’intéresse à l’âge au premier vêlage, une primipare qui aura été touchée par une vague de pneumonie avant ses 4 mois et demi vêlera un mois plus tard.

Par ailleurs, l’âge effectif de production laitière sera réduit. Elle sera donc réformée plus rapidement.

Côté viandeux, elle s’intéresse à la diminution du rendement net, soit ce que gagne l’éleveur sur chaque veau qu’il a élevé. À chaque fois que l’animal reçoit un traitement antibiotique, le rendement diminue, pas seulement à cause du prix du traitement mais aussi à cause de la perte de prise de poids.

En outre, à partir de trois traitements antibiotiques contre une forme chronique, il y a toujours une perte. « Garder un veau malade chronique coûte d’autant plus cher qu’il infecte tous les autres… »

Une thérapie frustrante

« M. Bovis est un gros problème niveau pneumonie car la thérapie est fortement frustrante. Sa résistance naturelle aux antibiotiques, tels que tous les beta-lactamines, une large classe d’antibiotiques qui comprennent les dérivés de la pénicilline, l’amoxicillline, les céphalosporines… Les sulfamidés n’agissent pas non plus car agissent sur une protéine que le pathogène ne produit pas. Par ailleurs il existe des résistances acquises rapportées partout en Europe. En Belgique, une étude a porté sur 141 souches parmi lesquelles la résistance est acquise pour les macrolides, une résistance limitée pour enrofloxacine. Heureusement il existe encore quelques matières actives pour lesquelles il n’y a pas ou peu de résistance. Elle cite l’oxytétracyline, la doxyciline, le florfénicol et la tiamuline.

En outre, les facteurs de virulence (comme le biofilm, la création d’abcès pour s’y abriter) font qu’un traitement tardif n’a que peu d’impact contre le pathogène.

« Derrière les solutions sont peu nombreuses. Si on a une mammite, une arthrite ou une pneumonie chronique (avec abcès) dont la cause est M. bovis, le seul conseil : la réforme. »

« Quand la thérapie est frustrante, il n’y a pas d’autre choix que de se focaliser sur la prévention pour avoir moins de dégâts, moins de frais et avoir un meilleur bien-être sur la ferme. »

La prévention comme premier moyen de lutte

Deux types de préventions existent : d’introduction et de circulation, si malheureusement le pathogène est déjà sur la ferme.

En termes de prévention d’introduction, il existe 4 piliers :

– les animaux porteurs. Leur achat est le risque d’introduction du germe nº1 dans la ferme. En Belgique, 40 % des bovins nés entre 2005 et 2009, soit presque 2 million d’animaux) ont changé au moins une fois de troupeau. On a donc en Belgique une structure qui favorise le déplacement de bovins qui est aussi un risque de déplacement du pathogène ;

– le lait est aussi connu pour son grand risque de transmission. « Heureusement que le lait n’est pas transporté d’une ferme à l’autre. » Notons que le colostrum peut être aussi porteur du germe. Une étude menée en 2020 dans 17 fermes a montré que 1,9 % des échantillons de colostrum était positif à M. bovis. 13 exploitations où le pathogène circulait ont vu leurs échantillons de colostrum complètement négatifs. Dans les exploitations positives, la prévalence dans le colostrum allait de 3 à 30 %, ce qui signifie que si on achète du colostrum dans une autre ferme sans en connaître le statut M. Bovis, le risque n’est pas nul. « Toutefois, le risque d’importer le germe par le colostrum dans sa ferme n’est pas si important. »

« L’achat de colostrum congelé n’est pas LA solution puisque la congélation ne tue pas le pathogène. Pour s’en débarrasser on peut pasteuriser le colostrum durant 30 à 60 min à 60ºC sans en éliminer les anticorps. »

– les vecteurs passifs, soit tout ce qui peut être vecteur du germe sans que celui-ci ne soit actif. « Ce sont par exemple les bottes. Le pathogène sait très bien survivre dans l’environnement. Le germe peut vivre 230 jours dans les matières fécales, 8 mois dans le sable, jusqu’à deux semaines dans l’eau. D’où l’importance de la biosécurité pour lutter contre. »

– l’insémination artificielle. La transmission par IA est rare mais possible. Elle cite l’exemple de la Nouvelle-Zélande où le germe a été introduit dans les exploitations en 2015 à cause de l’insémination. En Belgique, une étude s’est intéressée à la semence des reproducteurs des différents centres d’insémination. Ledit pathogène n’y a jamais été trouvé. » Une autre étude a montré que la présence d’un taureau reproducteur en ferme multipliait par 4,7 le risque de circulation du germe dans la ferme.

La prévention de circulation peut être mise en place si le germe est déjà sur la ferme afin d’éviter que l’ensemble des animaux ne tombent malades ou aient des anticorps.

Ce type de prévention est soit directe ou indirecte.

Le contact direct est le facteur d’introduction nº 1 du germe au niveau de la ferme, que ce soit d’un veau à l’autre, d’une mère à son veau ou d’un porteur qui infecte tout le monde.

Le contact semi-direct se fait par l’intermédiaire d’un distributeur automatique de lait, de seaux communs, de la machine à traire…

Le contact indirect est à prendre en compte. Mme Gille pense entre autres au lait écarté qui va être mélangé et distribué à tous les veaux. « On augmente très fort le risque d’infection d’animaux en donnant du lait écarté qu’avec le lait d’une vache ou un lactoremplaceur. » Le colostrum est moins risqué d’autant que la relation est de 1-1, soit un colostrum pour un veau. Le risque n’est donc que pour un veau et pas pour un lot. En outre, s’il vient de la même exploitation, il amène une immunité ciblée pour la ferme.

L’air n’a pas été défini comme point de transmission indirecte mais une charge de bétail importante dans un bâtiment et une mauvaise ventilation peuvent concourir à la transmission de pathogène d’un lot à l’autre simplement par une toux. Grâce à son biofilm, M. bovis peut ainsi survivre dans l’environnement et infecter d’autres animaux.

Pour éviter l’infection à M. bovis par contact direct de veau à veau, mieux vaut placer  les jeunes individus en niches individuelles avec seaux individuels durant 4 à 6 semaines,  le temps que chaque animal puisse faire son immunité.
Pour éviter l’infection à M. bovis par contact direct de veau à veau, mieux vaut placer les jeunes individus en niches individuelles avec seaux individuels durant 4 à 6 semaines, le temps que chaque animal puisse faire son immunité. - ULiège

Que faire dans un troupeau séropositif ?

Pour Linde Gille, il faut coûte que coûte éviter la transmission de la maladie d’un animal à l’autre.

Au niveau des animaux adultes, il est nécessaire de respecter son protocole de traite, écarter les animaux suspects, réformer les animaux malades chroniquement, tout comme ceux qui ont des mammites cliniques, qui sont hautes en cellules et qui souffrent d’arthrites.

Au niveau des veaux, si possible les mettre en cages individuelles, avec des seaux individuels, pour 4 à six semaines. « On évite ainsi toute infection au moment où l’immunité des veaux est faible. L’utilisation de lactoremplaceurs ou de lait pasteurisé est à privilégier par rapport à un lait écarté ou à un lait de tank.

« Comme pour toutes les maladies, la diminution de la densité d’animaux diminue de facto les problèmes. Il ne faut donc pas hésiter à isoler ou réformer les malades chroniques. »

P-Y L.

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