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Les alcools safranés de l’histoire d’Anthony: de bons ingrédients pour des produits simples et de qualité!

Parfois s’intéresser aux bières et aux spiritueux nous mène à la découverte d’une nouvelle plante et sa culture. C’est ainsi, qu’au travers d’un gin et d’une bière blanche, j’ai découvert le safran, et plus particulièrement celui d’Anthony Minet et Pauline Ernoux qui croît depuis plus de 10 ans sur un terrain familial à Thorembais-Saint-Trond. Anthony nous explique son histoire, celle d’un produit familial de qualité, né de l’envie de tester et d’innover.

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En effet, l’idée de cultiver du safran s’est insinuée dans l’esprit d’Anthony avant même la fin de son bachelier en techniques et gestion agricoles à Ciney. « Lors de ma dernière année d’étude, nous avions l’opportunité de donner des idées pour les visites d’exploitations organisées et j’ai souhaité rencontrer un safranier à Virton. J’avais découvert cette culture via le petit écran et cela m’avait rendu perplexe. Ma famille est issue du milieu agricole et y travaille toujours mais, nous avons peu de terrains propres. La culture de safran ne nécessite pas beaucoup de surface, cela collait donc bien à mes possibilités. Après cet échange, en juin 2011, nous avons décidé de tenter la chose et planté nos 500 premiers bulbes de manière autodidacte sur un terrain de 30 m² à l’arrière de la maison de mes parents. Après une première année de récolte avec 2 grammes au compteur, nous avons à nouveau planté 1.000 bulbes sur une surface identique. La troisième année, ce sont 4.000 bulbes qui ont grossi les rangs. La culture a ainsi pris sa vitesse de croisière ».

Pour un safran de bonne qualité, on récolte la floraison de la journée.
Pour un safran de bonne qualité, on récolte la floraison de la journée. - Sébastien Van Laeken

Une culture inversée

Les bulbes de safran sont placés en terre, à 15 cm de profondeur, vers le mois de juin/juillet. « Au début, nous réalisions l’opération manuellement mais il fallait mettre du cœur à l’ouvrage car, passés les 10 premiers centimètres, les choses se compliquent ».

La plante reste cachée tout l’été et c’est seulement vers fin septembre/début octobre qu’on voit apparaître les premières feuilles et fleurs. Le safran est donc une fleur d’automne et du froid. « On a même remarqué que s’il faisait au-dessus de 15ºC, le safran ne poussait pas. La plante n’est pas sensible au gel. Pour sa croissance, l’idéal est d’avoir des nuits froides et des journées ensoleillées ».

La floraison s’étend jusqu’à la mi-novembre. « Il faut un bulbe de 9 cm de circonférence pour espérer avoir 0 à 2 fleurs par an. Pour un safran de bonne qualité, on récolte la floraison de la journée. La cueillette a donc lieu tous les jours. La première année, tout était nouveau, nous étions seulement les troisièmes safraniers en Belgique et on expérimentait. On recensait les fleurs qui sortaient chaque jour ».

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Pierre Julien

En fonction de la météo de l’année, les fleurs mauves bleutées de safran sont plus ou moins proches du sol. « On cueille l’entièreté de la fleur, à la main. Un bon cueilleur est capable d’en prélever 1.000 à l’heure. Ensuite on émonde, c’est-à-dire qu’on sépare le pistil de la plante. Il s’agit d’une manipulation minutieuse qui contribue à la bonne qualité du safran. Un émondeur aguerri fait 400 fleurs à l’heure ».

Après sa floraison, la plante passe l’hiver sous sa forme végétative. « Elle forme un tapis d’herbe qui fane vers le mois de juin et laisse le sol nu. Le bulbe rentre en dormance et on ne voit à nouveau pointer des feuilles ou fleurs qu’au mois de septembre suivant ».

Les bulbes peuvent rester 3 à 5 ans en terre. Ils se multiplient et forment des bulbilles qui se développent à leur tour. « Après quelques années de productions, les bulbes sont déplantés et démariés, c’est-à-dire que les nouveaux bulbes sont séparés du bulbe mère. Après quelques jours de repos et séchage, ils sont replacés en terre. En 12 ans, nous sommes ainsi passés de 5.500 bulbes mis en terre à entre 150 et 200.000 bulbes ».

La qualité en point d’honneur

Il faut entre 150 et 200 pistils pour faire 1g de safran sec. « Chez nous, la qualité est plutôt haute, des analyses par spectrométrie évaluant l’arôme, la couleur et la saveur ont mis en évidence qu’il s’agissait de safran de catégorie 1, le safran des rois. On est donc autour de 150 pistils pour 1g. La qualité est vraiment un point sur lequel on est intransigeant. On ne supporterait pas de fournir quelque chose de médiocre à nos clients. Elle dépend de paramètres fixes en lien avec notre terroir : la terre, la température, l’exposition, la pluviométrie, mais aussi de l’origine des bulbes – leur sélection a été faite dans ce sens –, et de la manière d’émonder précise, en ne privilégiant que la partie nécessaire. On est là pour faire de la qualité, pas du poids ».

En bonne année, la production de safran de L’histoire d’Anthony tourne désormais autour de maximun 200g mais en année humide comme 2021, les producteurs ne pouvaient compter que sur 1/20 de cette production soit 10g.
En bonne année, la production de safran de L’histoire d’Anthony tourne désormais autour de maximun 200g mais en année humide comme 2021, les producteurs ne pouvaient compter que sur 1/20 de cette production soit 10g. - Fédéric Laurent

Les pistils émondés et séchés sont conservés durant une trentaine de jours à l’abri de la lumière et de l’humidité. Ils peuvent ensuite être vendus. « Le prix du safran belge varie entre 30 et 40 euros le gramme. Chez nous, ce prix n’a pas changé en 10 ans, nous le proposons à 30 euros/g HTVA aux restaurateurs. Nous le vendons également aux particuliers en pot d’un quart de gramme via les épiceries fines et quelques magasins locaux ».

Le safran de l’Histoire d’Anthony est apprécié des restaurateurs : « Certains d’entre eux, dont notamment Martin Volkaerts de l’Amandier à Rixensart (Top chef), nous sont fidèles depuis le début. Néanmoins, il ne faut pas beaucoup de safran pour cuisiner (voir encadré). Pour écouler la production, on devrait compter sur un nombre trop important de restaurateurs. De plus, en grandes surfaces, nous sommes fortement concurrencés par le safran moins cher provenant de l’étranger. Enfin, aujourd’hui, il y a aussi du safran belge de qualité moindre sur le marché qui ne nous fait pas toujours une bonne presse. Pour toutes ces raisons, il nous était nécessaire d’envisager d’autres produits à base de safran. Ceux-ci nous servent également de produits d’appel », explique Anthony.

La première année de production le couple a proposé des confitures safranées : « Elles ont eu pas mal de succès mais cela demande beaucoup de temps de préparation car elles sont 100 % artisanales et à base de fruits du jardin ». Quelques collaborations ponctuelles pour faire du chocolat safrané ou encore du fromage au safran ont également vu le jour : « Cela plaisait et c’était très enrichissant. Ça nous a permis d’élaborer des recettes précises pour fabriquer ce genre de produits. Elles pourront être utiles si une collaboration à plus long terme se présentait à nous ». Néanmoins, entre-temps, ce sont deux alcools safranés qui sont venus élargir la gamme : la bière 4 Pistils et l’Or Gin.

Une bière pour les 20 ans du baccalauréat de Ciney

La 4 Pistils est née du hasard d’une collaboration dans le cadre des 20 ans du baccalauréat à Ciney : « Pour l’occasion, l’idée était de réaliser un repas à base de produits élaborés par des anciens. Nous pensions déjà à faire une bière safranée – cela existe déjà en Alsace- mais l’événement a été un accélérateur. Le directeur du bac nous a mis en contact avec les administrateurs de la coopérative de la Brasserie de la Lesse. Nous apportions la matière et eux leur savoir-faire. Ensemble, nous avons pu déterminer comment et à quelle dose il était judicieux d’ajouter le safran à la bière. Nous avons choisi comme base une bière blanche pour les épices qu’elle contient déjà. Un premier essai est né de ce travail commun et a été dégusté lors de l’événement. Ensuite nous avons affiné et amélioré notre recette et sorti la 4 Pistils, une bière blanche légèrement safranée, titrant à 5,5º, issue d’une fermentation haute. »

La «4 Pistils» est brassée à la Brasserie de la Lesse (ancienne Rochefortoise) qui se situe à Eprave (Rochefort) où Pauline et Anthony sont coopérateurs.
La «4 Pistils» est brassée à la Brasserie de la Lesse (ancienne Rochefortoise) qui se situe à Eprave (Rochefort) où Pauline et Anthony sont coopérateurs. - Fédéric Laurent

La 4 Pistils a plus de caractère qu’une blanche classique, elle est rafraîchissante et très digeste : « Nous en produisons quelques centaines de casiers par an, vendus en épiceries fines et moyennes et grandes surfaces de la région par l’intermédiaire d’un « grossiste » qui dispache des produits locaux dans les supermarchés ».

Pour Anthony, ce dernier point n’est pas négligeable : « Ce genre de distributeur fait le travail qu’on n’a pas le temps de faire. En effet, l’Histoire d’Anthony est un projet complémentaire. On le fait par plaisir et on travaille à temps plein à l’extérieur. Cela signifie que nous ne disposons pas toujours du temps nécessaire pour promouvoir comme il se doit nos produits. Le travail de création est fait et il n’y a plus qu’à vendre le produit mais, ce n’est pas si simple que ça. C’est un job quotidien, il faut être présent sur les réseaux, démarcher de nouveaux clients, arriver à toucher les grandes surfaces. Il faut se battre constamment pour ne pas être oublié et imposer son produit. À un moment, j’ai envisagé d’engager un responsable commercial pour cela – c’est d’ailleurs toujours le cas, à bon entendeur- mais j’ai eu peu de retours. De plus, il faut reconnaître que les magasins locaux sont désormais moins nombreux qu’on au moment du Covid car les grandes surfaces exploitent aussi le créneau et que ce type d’infrastructures exige pas mal de frais dont on n’a pas toujours conscience. C’est dommage, car ce genre de projet aidait pas mal les agriculteurs et producteurs de produits locaux ».

« La simplicité n’est pas toujours facile à réaliser »

Un gin pur et nature

Cela n’a pas découragé nos safraniers puisque fin 2020, ils remettent le couvert et proposent un gin.

« Comme pour la bière, l’idée nous trottait déjà dans la tête depuis un moment. Entre la création de l’étiquette, le développement de la bouteille, la formulation de la recette… l’élaboration d’un nouveau produit à toujours un certain coût. Le projet fonctionnant de manière tout à fait indépendante, nous avons donc attendu d’être prêts pour créer notre gin. Nous nous sommes rendus au salon Horecatel juste avant le confinement. L’idée n’était pas d’investir de l’argent dans du matériel pour lequel nous n’avions quand même pas la place et pas le savoir-faire. Nous avons donc sélectionné quelques producteurs d’alcools dont le travail nous avait touchés. Mais, l’arrivée du Covid a un peu bouleversé nos plans et nous avons dû laisser cela quelques mois en pause afin de pouvoir gérer la crise dans nos boulots respectifs ».

L’Or Gin élaboré sur une base simple, laisse subtilement apparaître une note de safran à fin de bouche.
L’Or Gin élaboré sur une base simple, laisse subtilement apparaître une note de safran à fin de bouche. - D. Jaunard

C’est alors qu’un des distillateurs sélectionnés reprend contact avec eux. « La distillerie Rubbens, située à Wichelen nous a recontactés. De base, l’entreprise est spécialisée dans les alcools agricoles, ça nous parlait donc assez. Nous avons réfléchi ensemble à la meilleure manière de produire un gin safrané. La réflexion était la même que pour la bière, on souhaitait partir de bons ingrédients pour créer quelque chose de simple et de qualité, qui ne soit pas trop sophistiqué. On voulait un gin pur et nature qui goûte le safran ». L’Or Gin contient ainsi cinq ingrédients : de l’eau, de l’alcool, du genévrier, de la coriandre et du safran. Le safran y est présent comme exhausteur de goût : « Ce n’est pas quelque chose qu’on doit sentir de suite. On dit « safrané » et pas « au safran ». Il ne faut pas s’attendre à avoir le safran en pleine bouche, le goût vient en arrière et s’harmonise avec les autres ingrédients et le tonic associé au gin. On conseille d’ailleurs de choisir un tonic nature ou elderflower. »

L’Or Gin est sorti fin 2020. « On était encore dans les périodes de confinement Covid et je n’ai jamais vendu autant de gin qu’à ce moment-là ». Trois mois après sa sortie, l’alcool a obtenu une médaille d’argent lors d’un concours à Lyon. « Pour nous, il s’agissait d’une belle reconnaissance pour le travail fourni et cela nous confortait dans sa valeur car, évidemment, nous l’apprécions, mais nous n’avons pas forcément le même palais que tous. Nous avons également obtenu une médaille d’argent pour la 4 Pistils et le gin en 2022, ainsi qu’une médaille d’or pour le Safran. Enfin dernièrement, notre gin a été sacré meilleur alcool du concours avec le grand or à Francfort ».

L’histoire d’Anthony est aussi celle de Pauline, sa femme, et de leur petit garçon.
L’histoire d’Anthony est aussi celle de Pauline, sa femme, et de leur petit garçon.

D’autres produits en cours d’élaboration ?

Et quand on leur demande si d’autres produits à base de safran verront le jour prochainement : « Quand on a commencé à produire du safran, on savait à peine de quoi il s’agissait. On le faisait pour l’expérience pas forcément pour en vivre. C’est toujours le cas. Ça reste une activité complémentaire et on fait attention qu’elle n’empiète pas sur nos boulots principaux. Le projet se suffit à lui-même mais surtout aussi parce que nous avons la chance de pouvoir compter sur la famille et les amis et nous restons prudents. Nous voulons garder cet équilibre qui nous permet aussi de garder notre ligne de conduite qui est de produire un aliment de qualité comme c’est souvent le cas en agriculture. Nous avons toujours travaillé sur des projets « plaisirs » qui nous faisaient du bien et on veut aussi garder ce cap. On aimerait vraiment pouvoir collaborer davantage avec des magasins à la ferme car il s’agit de producteurs issus du même secteur et qui comprennent notre manière de travailler. Bref, on souhaite simplement continuer à promouvoir nos produits et travailler avec des gens qui les valorisent correctement… Donc pourquoi pas ? ».

D. Jaunard

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