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La Cour juge que la différence de traitement entre les preneurs de bail oral et écrit est discriminatoire

La Cour constitutionnelle s’est positionnée cette semaine sur l’absence de mesures transitoires pour les baux écrits en cours depuis au moins 36 ans à la date du 1er janvier 2020. Elle juge que l’application immédiate des nouvelles règles wallonnes sur la durée du bail à ferme aux baux à ferme écrits en cours est inconstitutionnelle.

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Par le décret du 2 mai 2019 « modifiant diverses législations en matière de bail à ferme », le législateur wallon a modifié les règles sur la durée du bail à ferme. Auparavant, le nombre de prolongations du bail à ferme n’était pas limité. Désormais, en Région wallonne, la durée de principe du bail à ferme est limitée à 36 ans (maximum trois prolongations successives de 9 ans). Le législateur wallon a prévu une mesure transitoire pour les baux oraux en cours, mais pas pour les baux écrits en cours. Les nouvelles règles, qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 2020, s’appliquent donc immédiatement à ces baux écrits.

Le congé diffère s’il s’agit d’un bail écrit ou oral

Deux juges de paix sont saisis de litiges concernant des baux à ferme écrits en cours depuis plus de 36 ans à la date du 1er janvier 2020 et auxquels le bailleur a mis fin sur la base des nouvelles règles. Les juges de paix interrogent la Cour sur la constitutionnalité de la différence de traitement qui existe entre les preneurs de baux à ferme en cours depuis au moins 36 ans à la date du 1er janvier 2020, selon que le bail est écrit ou oral. Dans le cas d’un bail écrit, le congé peut être notifié à partir du 1er janvier 2020, tandis qu’un bail oral court encore 18 ans, de sorte que la fin du bail ne peut être notifiée au preneur avant le 31 décembre 2037.

Inconstitutionnel du fait de l’absence de régime transitoire

Dans son arrêt du 2 mars, la Cour conclut que l’application immédiate des nouvelles règles wallonnes sur la durée du bail à ferme aux baux à ferme écrits en cours est inconstitutionnelle.

En effet, elle juge que lorsqu’il instaure un nouveau régime légal, le législateur doit examiner au cas par cas si des mesures transitoires sont nécessaires, compte tenu de l’impact des nouvelles règles et des attentes légitimes des justiciables concernés. Par ailleurs, lorsque le législateur prévoit des mesures transitoires pour certains justiciables et non pour d’autres dans une situation comparable, la différence de traitement doit être raisonnablement justifiée.

En matière de bail à ferme, la Cour constate que la limitation de la durée de principe du bail à ferme à 36 ans vise à donner aux propriétaires de terres louées et à leurs familles la perspective qu’ils pourront disposer librement de leurs terres à l’issue de cette période maximale. Dans son arrêt la Cour accepte que la volonté de prendre davantage en compte l’évolution de l’agriculture et l’intérêt des propriétaires à retrouver la libre disposition de leur terre sont des nouveaux objectifs de la législation sur le bail à ferme applicable en Région wallonne. Le législateur a également voulu favoriser la conclusion de baux à ferme écrits.

La Cour relève qu’il ressort des travaux préparatoires que le législateur wallon était conscient de la nécessité d’adopter des mesures transitoires pour les baux en cours mais qu’il ne l’a fait que pour les baux oraux en cours. Le législateur n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles aucune mesure transitoire ne devait être prévue pour les baux écrits en cours.

La Cour conclut que la différence de traitement n’est pas raisonnablement justifiée. Elle précise toutefois que cette inconstitutionnalité ne découle pas des dispositions en cause, mais de l’absence d’un régime transitoire pour les baux à ferme écrits en cours. Ceci porterait une atteinte disproportionnée aux attentes légitimes des preneurs de baux écrits en cours depuis au moins 36 ans au 1er janvier 2020, pour lesquels la limitation de la durée de principe du bail à ferme à 36 ans est une règle nouvelle qui modifie substantiellement l’équilibre initial du contrat.

Régime transitoire à prévoir pour la fin de l’année

La Cour enjoint au législateur wallon de prévoir un tel régime transitoire pour le 31 décembre 2023 au plus tard. C’est pourquoi, sur proposition du Ministre de l’Agriculture Willy Borsus, le Gouvernement de Wallonie mettra en place un tel régime d’ici le 31 décembre 2023.

Le Ministre sera attentif à procéder aux concertations nécessaires et adéquates.

En attendant…

La Cour prévoit elle-même un régime transitoire en attendant que le décret soit adapté. En effet, dans l’intervalle, il convient d’appliquer aux baux écrits en cours la mesure transitoire qui est prévue pour les baux oraux en cours. Cette mesure prévoit qu’un bail oral court encore 18 ans, de sorte que la fin du bail ne peut être notifiée au preneur avant le 31 décembre 2037.

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