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À la découverte de deux fermes indiennes: «Sur 3 ha, 60 espèces travaillent ensemble et en harmonie»

Partout dans le monde, des agriculteurs innovent, mettent en place de nouveaux systèmes de production… et partagent leurs expériences. C’est le cas en Inde également, où nous avons rencontré Rajdeep, un fermier qui a récemment abandonné l’agriculture conventionnelle pour se tourner vers un « modèle à cinq couches » faisant cohabiter 60 cultures sur 3 ha. Un peu plus loin, Vanita Farm produit des orchidées pour l’ensemble du pays avec succès grâce à un secret « maison ». En voyage !

Temps de lecture : 6 min

Faisant l’objet d’un attrait touristique important, l’Inde est également une puissance agricole de premier plan. Blé, riz, maïs, coton, canne à sucre, oléagineux, légumineuses… et plantations de thé occupent une surface considérable à travers le pays. Sur le plan de l’élevage, l’Inde s’adjuge la place de premier producteur mondial de lait, malgré une productivité laitière faible. Une position qui s’explique facilement lorsque l’on sait que la population est majoritairement végétarienne et que les produits laitiers constituent, par conséquent, l’une des principales sources de protéines.

Mumbai, une ville cosmopolite où cohabitent Indiens et touristes.
Mumbai, une ville cosmopolite où cohabitent Indiens et touristes. - J.V.

Une vache en pleine mégapole

Lorsque l’on atterrit à Mumbai (Bombay), sur la côte ouest, le paysage ne laisse en rien présager que l’agriculture est un secteur si crucial pour l’économie indienne (lire encadré). Des buildings, aussi hauts que nombreux, se succèdent les uns aux autres, ponctuellement séparés par des habitations modestes, voire précaires… À toute heure du jour ou de la nuit, les moteurs vrombissent et les klaxons se font entendre. Les rues ne désemplissent pas, de même que les échoppes où se côtoient Indiens et touristes.

Sans conteste, le décor ne se prête pas à une activité agricole quelconque, bien que nous croisions une vache au détour d’un carrefour, à proximité d’un marchand de fruits et légumes. Un passant prend soin de l’animal et veille à le nourrir.

Au détour d’une rue, en plein Mumbai, un passant prend soin d’une vache  et veille à lui apporter la nourriture dont elle a besoin.
Au détour d’une rue, en plein Mumbai, un passant prend soin d’une vache et veille à lui apporter la nourriture dont elle a besoin. - J.V.

Pour rejoindre les campagnes, un train nous attend. Nous quittons Mumbay en direction du nord, dans l’état du Gujarat, d’où est originaire Gandhi. Arrivés 3 heures plus tard dans la ville de Surate, un bus nous attend et, enfin, nous entrons dans le vif du sujet…

Peu à peu, le décor change. La ville cède sa place à des villages épars tandis que les entreprises sont remplacées par des parcelles agricoles. Riz et blé alternent au rythme de notre avancée, témoignant de l’occupation des sols lors de notre visite, mi-février.

Des arbres, des légumes, des racines…

Nous arrivons finalement à la ferme Wa Wagdo, chez Rajdeep, un agriculteur qui a adopté voici 14 mois un nouveau mode de production appelé « modèle à cinq couches ». Ce modèle, popularisé par Subhash Palekar, un agronome indien s’intéressant à « l’agriculture naturelle », se rapproche du système dit des « cultures étagées ».

Sur 3 ha, Rajdeep cultive pas moins de 60 espèces, toutes disposées dans la parcelle selon un quadrillage savamment étudié, permettant de tirer profit des interactions positives qu’elles développent entre elles. On retrouve des cocotiers, des figuiers, des plants de tomate, des oignons, de l’ail, du curcuma, des agrumes, des bananiers, des choux divers et variés, de la canne à sucre, des piments, du gingembre…

Ces cultures se répartissent en diverses strates, du sous-sol pour les racines (curcuma et gingembre, par exemple) à la canopée pour les arbres fruitiers tels le bananier et le cocotier. De là est né le nom « modèle à cinq couches », témoignant que les cultures se répartissent sur cinq étages différents.

La première strate du « modèle  à cinq couches » se trouve sous terre :  on y retrouve notamment du gingembre.
La première strate du « modèle à cinq couches » se trouve sous terre : on y retrouve notamment du gingembre. - J.V.

« Ma parcelle se rapproche de ce que l’on peut retrouver dans une forêt ou une jungle. Les interactions positives que les plantes développement les unes vis-à-vis des autres me permettent de me passer de pesticides », témoigne Rajdeep. Et d’ajouter : « Sur 3 ha, les différentes espèces présentes travaillent ensemble et en harmonie. »

Si les arbres sont destinés à rester en place plusieurs années, les autres cultures, elles, sont remplacées une fois la récolte effectuée. Ainsi, les légumes sont replantés tous les trois mois, et quatre cycles se succèdent au cours de l’année.

Aucun travail du sol n’est mis en œuvre. Tout au plus, un paillage naturel est apporté afin de conserver l’humidité nécessaire à la croissance des plants et ce, malgré que la région soit relativement sèche (40 à 50 mm de pluie par an, de mi-juillet à mi-septembre). « Nous n’irriguons pas la parcelle en permanence mais veillons à faire l’apport en eau lorsque le besoin s’en fait sentir. Le paillage joue ensuite son rôle, de même que l’ombrage généré par les espèces les plus grandes. »

Dans une région sèche comme le Gujarat, le paillage est un allié essentiel  des agriculteurs en vue de conserver l’humidité du sol.
Dans une région sèche comme le Gujarat, le paillage est un allié essentiel des agriculteurs en vue de conserver l’humidité du sol. - J.V.

L’apport d’eau est d’autant plus parcimonieux que la ferme ne dispose que d’une réserve limitée, alimentée directement par un pipeline géré par l’état indien.

Quant à la fertilité du sol, elle est entretenue par l’apport d’engrais de ferme et de coproduits de canne à sucre. Des cultures fixatrices d’azote sont également implantées dans le quadrillage et contribuent à la nutrition azotée des différentes espèces en place.

« Aujourd’hui, je me sens heureux dans mon travail »

Atypique vu de Belgique, ce système cultural affiche, ici, un rendement financier annuel de 1,5 million de roupies (soit 17.500 € environ). Un chiffre qui évoluera, étant donné que Rajdeep fait ses premiers pas en la matière et que ses arbres sont amenés à croître et gagner en productivité. L’ensemble des produits est écoulé en vente directe.

L’exploitation est peu mécanisée. Seul un tracteur de 22 ch, d’une marque locale, est à disposition. Outre l’agriculteur, deux ouvriers travaillent à temps partiel sur place. Le reste du temps, ces derniers sont actifs dans d’autres fermes de la région. « Le système mis en place ne requiert que peu de main-d’œuvre. Les ouvriers ne sont donc présents que ponctuellement », détaille-t-il.

Cocotiers, bananiers, figuiers... La parcelle de Rajdeep s’apparente à une jungle peuplée de fruitiers sous lesquels poussent de nombreux légumes (choux, ail, piment...).
Cocotiers, bananiers, figuiers... La parcelle de Rajdeep s’apparente à une jungle peuplée de fruitiers sous lesquels poussent de nombreux légumes (choux, ail, piment...). - J.V.

Et lorsqu’au moment de le quitter, on lui demande pourquoi avoir opté pour un tel système, Rajdeep répond avec optimisme : « Je n’étais pas satisfait de ma production, je cherchais une autre méthode de travail… J’ai découvert Subhash Palekar via des vidéos publiées sur Youtube ainsi que lors d’une conférence qu’il a donnée dans la région et ai été convaincu par son approche. Aujourd’hui, je me sens heureux dans mon travail ».

Des orchidées aux couleurs changeantes

Notre périple nous amène ensuite quelques kilomètres plus loin, à la Vanita Farm. Cette exploitation horticole, spécialisée dans la production d’orchidées, affiche un chiffre d’affaires annuel de 10 millions de roupies (soit 115.000 € environ).

Violacées, ces orchidées arboreront une autre couleur d’ici 48h,  après apport d’un colorant « maison ».
Violacées, ces orchidées arboreront une autre couleur d’ici 48h, après apport d’un colorant « maison ». - J.V.

Sous 2 ha de serres poussent plusieurs dizaines de milliers de plants, aux couleurs diverses et variées. L’ensemble de la production se fait hors sol : chaque orchidée croît dans un quartier de noix de coco, un substrat qui permet de conserver l’humidité que captent les racines aériennes des plantes. L’apport d’eau se fait exclusivement par aspersion.

À Vanita Farm, les orchidées sont cultivées selon un système «hors sol»et prennent place sur un support de coco.
À Vanita Farm, les orchidées sont cultivées selon un système «hors sol»et prennent place sur un support de coco. - J.V.

Vanita Farm possède une particularité qui la distingue de ses concurrents : en ajoutant un colorant dans le sol, les orchidées changent de couleur endéans 48 h. Une innovation qui séduit une clientèle répartie à travers tout le pays.

Les serres s’étendent sur 2 ha et abritent plusieurs dizaines de milliers d’orchidées.
Les serres s’étendent sur 2 ha et abritent plusieurs dizaines de milliers d’orchidées. - J.V.

Innover, tester… avec succès !

Si ces deux fermes ne sont pas représentatives du système agricole indien, de par le système de culture adopté ou la spéculation choisie, elles témoignent néanmoins de la diversité qui règne sur place. Elles nous montrent également que si des systèmes nouveaux se développent et prennent de l’ampleur en Europe, comme l’agriculture régénérative ou de conservation des sols, le Vieux Continent n’a pas l’apanage de l’innovation. Dans un pays où l’agriculture est à la fois un pilier de l’économie et un moyen de subsistance pour plus de la moitié de la population, des agriculteurs innovent, testent et mettent à l’épreuve de nouvelles pratiques… avec succès !

J. Vandegoor

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