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La Meunerie et les Moulins du Val-Dieu: où le grain se transforme, sous le regard passionné des hommes

Deux moulins, l’un dédié aux aliments pour animaux, l’autre aux farines panifiables… Mais aussi deux histoires, à la fois similaires et différentes… À leur tête, Christian Hick, Philippe Van Laethem, Benoît Tyberghein et Benoit Brouwers. Ces quatre passionnés ont choisi d’assurer l’avenir de ces outils qui, malgré une histoire séculaire, allient modernité et technologie afin de répondre aux attentes bien actuelles de leurs clients.

Temps de lecture : 10 min

Si l’on en croit la légende, les pays de Herve et d’Aubel étaient recouverts, au Moyen-Âge, d’une épaisse forêt abritant sorcières et autres créatures maléfiques… Celle-ci portait le sombre nom de « Forêt de la vallée du Diable ». Pour mettre un terme à cette réputation, les autorités ecclésiastiques décident d’y construire une abbaye cistercienne. Le Diable cède ainsi sa place… et la « Forêt de la vallée de Dieu » voit le jour. Aujourd’hui encore, on retient le nom de « Val-Dieu », lieu-dit de la commune d’Aubel.

Si la version historique est nettement plus terre à terre, il n’en demeure pas moins que des moines cisterciens s’installent à Val-Dieu en 1216 et y vivent en autarcie. Un premier moulin est construit sur le site. Il permet à la communauté de moudre le grain cultivé par les moines et de produire la farine destinée à la fabrication de leur pain.

Les années passent et le moulin est agrandi et reconstruit plusieurs fois, au fur et à mesure que se développe l’abbaye. À la fin du 18ème  siècle, la Révolution française et ses multiples conséquences viennent toutefois chambouler l’histoire… Le moulin est alors cédé à un propriétaire privé.

Après avoir été plusieurs fois revendu, il arrive finalement dans les mains de la famille Hick, installée à Val-Dieu depuis 1919.

Une meunerie qui a su évoluer

« Jusqu’à la seconde guerre mondiale, les moulins produisaient à la fois des aliments pour animaux et des farines panifiables. Ils se sont ensuite modernisés, au gré de l’apparition de nouvelles machines, tandis que les législations ont évolué. Chaque moulin a finalement fait le choix de l’une ou l’autre spéculation », rappelle Philippe Van Laethem qui, avec Christian Hick et Benoît Tyberghein, compose le trio à la tête de « La Meunerie du Moulin du Val-Dieu », qui s’est spécialisée dans la production d’aliments pour animaux dès le début des années 50.

À cette époque, l’ensemble des activités était mené au sein du moulin historique, encore équipé de meules en pierre. En 1972, le site s’est modernisé et la meunerie s’est délocalisée dans les bâtiments jouxtant le vieux moulin, bien que celui-ci ait fonctionné jusqu’en 1985, en nettoyant et en concassant encore des céréales.

« Au fil des ans, la modernisation s’est poursuivie : nouveaux concasseurs et silos, ajout de presses à granulés, informatisation et automatisation de l’installation… En parallèle, le nom historique « Val-Dieu » a été remis au goût du jour à la place de la dénomination « Moulin Hick » utilisée au cours du temps par les meuniers. D’une part afin de replacer le site dans son contexte historique ; d’autre part car il s’avérait être plus porteur à l’échelle régionale. »

Installée au cœur de la réserve naturelle, dans les bâtiments jouxtant le moulin historique, la Meunerie du Moulin du Val-Dieu produit  de nombreuses formulations (concassés, farines, granulés, all mash…) mais réalise aussi des formules à façon, à la demande des éleveurs.
Installée au cœur de la réserve naturelle, dans les bâtiments jouxtant le moulin historique, la Meunerie du Moulin du Val-Dieu produit de nombreuses formulations (concassés, farines, granulés, all mash…) mais réalise aussi des formules à façon, à la demande des éleveurs.

Aujourd’hui, l’ensemble des installations du site sont parfaitement à jour, des silos à la ligne de production, en passant par le système informatique. Le dernier investissement en date a été réalisé pas plus tard qu’en 2022. Une ligne d’ensachage 100 % automatisée a pris place au sein des bâtiments. « Notre objectif est de rester petit et moderne, afin de produire sur place l’ensemble de notre gamme d’aliments pour animaux, tout en restant souple dans nos fabrications et développements. »

Quant au vieux moulin, il accueille depuis 1993 un restaurant proposant essentiellement des produits du terroir. Celui-ci prend, dans certaines parties, un aspect muséal. Les hôtes ont ainsi la possibilité de découvrir les meules d’antan mais aussi divers objets conservés au fil du temps et témoins de l’évolution du site (outils, publicités…).

Sa roue à auges a, elle, été entièrement restaurée. Si elle n’entraîne plus les meules, elle est toujours fonctionnelle. En outre, l’eau assurant son alimentation est en partie canalisée et conduite vers une turbine hydroélectrique assurant la production d’une fraction de l’électricité nécessaire au fonctionnement des installations.

Principalement pour les bovins et les filières de qualité différenciée

La gamme d’aliments commercialisée par La Meunerie du Moulin du Val-Dieu est très large. Elle vise à répondre au mieux aux besoins des animaux, que ce soit des bovins, des porcins, des ovins, des caprins, des équidés, des lapins ou encore des volailles. Comme le moulin et l’élevage, qui s’est fortement spécialisé, elle a évolué au cours du temps.

Philippe Van Laethem se souvient qu’à son arrivée dans la société, en 1988, les aliments pour porcs représentaient 50 % de la production, le solde étant dédiés aux bovins, principalement laitiers. « L’industrialisation de l’élevage porcin ne correspondait pas à la vision de la société qui s’est donc progressivement écartée de ce circuit. Désormais, ces aliments ne sont plus proposés qu’aux élevages de petite taille », détaille-t-il. A contrario, les aliments destinés aux filières de qualité différenciée n’ont cessé de gagner en importance.

Bovins, volailles, ovins, caprins, porcins... La Meunerie du Moulin du Val-Dieu  produit des aliments pour toutes les espèces élevées en Wallonie.
Bovins, volailles, ovins, caprins, porcins... La Meunerie du Moulin du Val-Dieu produit des aliments pour toutes les espèces élevées en Wallonie. - J.V.

Aujourd’hui, 40 % des aliments vendus sont voués aux bovins (80 % pour le cheptel laitier, 20 % pour les troupeaux viandeux). Les 60 % restants se répartissent de la manière suivante : 80 % pour les filières de qualités différenciées (poules pondeuses, poulets de chair, dindes, canards gras…) et 20 % pour les autres animaux (chevaux, moutons…). De nombreuses formulations (concassés, farines, granulés, all mash…) figurent au catalogue, mais des formules à façon sont fréquemment produites à la demande des éleveurs.

« Nos techniciens-nutritionnistes vont de ferme en ferme et réalisent les analyses nécessaires, à la demande des éleveurs bovins par exemple. Nous écoutons leurs objectifs et éventuels problèmes et tenons compte des besoins du cheptel (engraissement, production laitière ou encore démarrage des veaux) ainsi que des fourrages disponibles sur place. Sur cette base, nous produisons l’aliment qui correspond le mieux à l’exploitation », détaille Philippe Van Laethem.

« Travailler à façon ne signifie pas que nous ne sommes pas concurrentiels, bien au contraire… », poursuit-il. « Notre petite structure nous offre cette souplesse. Les agriculteurs disposent des aliments qui correspondent à leur élevage et en sont très satisfaits. C’est ce qui fait notre force ! »

La production d’aliments pour animaux s’élève actuellement à 30.000 t par an. Un tonnage qui a augmenté ces vingt dernières années mais qui devrait désormais se stabiliser. D’une part, l’équipe en place n’en a pas la volonté d’entrer dans la course à la croissance, d’autre part le site est classé et ne peut donc accueillir davantage d’installations.

En direct auprès des agriculteurs

Les matières premières utilisées pour la production des aliments sont au maximum originaires de Belgique. Aussi, 80 % du froment livré à la meunerie proviennent du pays (le solde est d’origine française ou allemande). L’orge, l’épeautre et l’avoine sont exclusivement belges. Le maïs provient, quant à lui, majoritairement de France, tandis que la luzerne et le colza arrivent d’Allemagne ou de France également. Les matières premières non belges conservent donc un ancrage régional.

Les ingrédients tels que le soja, les graines de lin ou les graines de tournesol affichent une origine plus lointaine en raison d’une trop faible production nationale.

La commercialisation se fait en direct vers les agriculteurs, en vrac ou en sacs. Un réseau d’une trentaine de revendeurs assure également la vente aux particuliers partout en Wallonie.

« Il s’agit de produits étiquetés « La meunerie du Moulin du Val-Dieu » mais aussi de formules à façon, élaborées à la demande des revendeurs et commercialisées sous leur nom. Ici aussi, comme pour les aliments livrés aux agriculteurs, notre atout est de nous adapter à la demande tout en assurant une qualité constate tout au long de l’année. »

Un service d’accompagnement technique est également assuré. Les questions des particuliers sont ainsi transmises à la Meunerie qui se charge d’y répondre. Reste au vendeur à transmettre la réponse ainsi obtenue à son client.

De l’aliment… à l’élevage de qualité différenciée

L’attrait marqué par les propriétaires pour la qualité différenciée s’est traduit bien au-delà de la production d’aliments. Ceux-ci ont, en effet, créé une filière de diversification pour le moins originale pour une meunerie : l’élevage de poulets de chair, de qualité différenciée bien sûr. « La société « Les élevages du Moulin du Val-Dieu » a vu le jour en 2001, en partenariat avec Upignac et Ardenne Volaille, à la suite d’une demande de Colruyt qui cherchait à proposer une nouveauté à ses clients », éclaire Philippe Van Laethem.

À l’heure actuelle, une trentaine d’agriculteurs fait partie de la filière. Ils élèvent des poulets de chair à croissance intermédiaire selon un cahier des charges très précis, reprenant plusieurs points tels que l’alimentation (aliments « made in Val-Dieu »), le bien-être animal, l’abattage…

Arrivés à maturité, les poulets sont abattus à Bertrix, au sein des installations d’Ardenne Volaille. L’entreprise assure ensuite la découpe et la distribution des produits (poulets entiers, filets, cuisses…) vers Colruyt, qui en a l’exclusivité.

Une filière similaire dédiée au canard gras a également été mise sur pied par les partenaires. Divers produits sont commercialisés, dont certains principalement durant les fêtes de fin d’année.

Les farines panifiables, une nouvelle aventure !

La diversification ne s’arrête toutefois pas là ! Durant l’été 2020, Christian Hick, Philippe Van Laethem et Benoît Tyberghein ont ajouté une corde à leur arc. Accompagnés de Benoit Brouwers, ils ont repris le Moulin Meyers situés à quelques encablures de Val-Dieu, à Hombourg (Plombières), alors en difficulté. La structure, dédiée à la production de farines panifiables, poursuit son activité sous le nom « Les Moulins du Val-Dieu ». « Moulins au pluriel, en référence aux douze moulins installés en série et transformant les matières premières fournies par nos producteurs en farine », insiste Benoit Brouwers, qui s’occupe de la gestion journalière de l’infrastructure.

Pour s’approvisionner, le site ne travaille qu’avec des agriculteurs régionaux, actifs en Wallonie ou en Allemagne ; Aix-la-Chapelle ne se trouvant qu’à moins de 15 km. « Nous collaborons avec des cultivateurs pratiquant l’agriculture raisonnée ou l’agriculture régénérative. Ils nous approvisionnent en froment, épeautre, seigle… », détaille-t-il.

Les Moulins du Val-Dieu produisent actuellement 7.000 à 8.000t de farine par an, avec l’objectif d’atteindre 10.000t par an.
Les Moulins du Val-Dieu produisent actuellement 7.000 à 8.000t de farine par an, avec l’objectif d’atteindre 10.000t par an.

Une attention particulière est donnée aux variétés céréalières cultivées, pour la simple et bonne raison que leurs propriétés influencent la qualité des farines produites. « Chaque année, nous testons de nouvelles variétés sur quelques hectares et analysons leurs caractéristiques. Après validation, elles sont cultivées à grande échelle par nos partenaires agriculteurs et intègrent notre circuit de production. C’est une fierté pour eux qui peuvent ensuite retrouver le fruit de leur travail chez leur boulanger. »

D’autres ingrédients que l’on retrouve dans les farines boulangères produites par Les Moulins du Val-Dieu trouvent leur origine hors du pays. « Certaines matières premières sont difficilement trouvables en Belgique. Et lorsque l’on met la main dessus, faut-il encore qu’elles répondent à nos standards de qualité ! », justifie M. Brouwers. La philosophie est donc la même, tant du côté des Moulins que de la Meunerie.

Concurrentiel, mais à taille humaine

Les Moulins du Val-Dieu produisent actuellement 7.000 à 8.000 t de farine par an, avec l’objectif d’atteindre 10.000 t par an. « Notre but est d’être suffisamment grand pour rester concurrentiel sur le marché, mais aussi de conserver notre dimension humaine. C’est cela qui nous permet d’être en contact direct et étroit avec nos partenaires, qu’ils soient fournisseurs ou clients. »

Les douze moulins ne transforment en farine que des grains issus de l’agriculture raisonnée.
Les douze moulins ne transforment en farine que des grains issus de l’agriculture raisonnée.

Au rang des clients justement, figurent tant des boulangers professionnels et des artisans que des particuliers, tous intéressés par la large gamme de produits commercialisée. « La clientèle du Moulin Meyers nous a suivis mais nous avons également étoffé notre portefeuille, notamment grâce à nos réseaux respectifs. » La vente aux particuliers est, quant à elle, amenée à se développer davantage, par le biais des points de vente avec lesquels les quatre associés collaborent. Cela se fera au gré des opportunités et des possibilités rencontrées, en tenant compte des attentes du moulin, du magasin et des consommateurs.

Et Benoit Brouwers de se montrer optimiste quant à l’activité de meunier : « Reprendre une structure telle que celle-là était un véritable défi… Mais le métier est passionnant, notamment dans les rapports que nous entretenons avec les agriculteurs, d’un côté, et les boulangers et artisans, de l’autre ».

Assurer la pérennité des installations

La reprise de cette activité a poussé les entrepreneurs à réfléchir à leur futur. « Notre objectif, pour les deux sites, consiste à trouver de jeunes passionnés qui souhaiteraient, un jour, nous succéder. L’activité ne doit pas disparaître, ni à Val-Dieu, ni à Hombourg », assure Philippe Van Laethem.

Et cela semble être en bonne voie : « Il y a des jeunes passionnés par la meunerie, tant sur le marché du travail que dans la société. Lorsqu’ils se manifesteront, nous prendrons le temps de les former correctement pour ensuite nous retirer progressivement. ». Mais les associés seront toujours disponibles pour prodiguer leurs conseils, car une activité telle que celle-là ne s’oublie pas du jour au lendemain.

Jérémy Vandegoor

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