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Transmettre son activité: anticiper, analyser et communiquer!

Transmettre une ferme et/ou des activités de diversification et d’accueil touristique ne s’improvise pas. Une réflexion encadrée par des personnes spécialisées permet de réussir au mieux ce challenge impliquant de nombreux facteurs humains éminemment émotionnels. Les témoignages présentés lors du Colloque d’Accueil Champêtre en Wallonie l’ont bien démontré : chaque histoire est différente mais les éléments de réflexion restent sensiblement les mêmes : le type de structure, sa valorisation, le choc des générations, la prise en compte de la fratrie, les outils mis à disposition, la communication…

Temps de lecture : 8 min

Lors du Colloque d’Accueil Champêtre en Wallonie, trois intervenants ont livré leur histoire de transmission aux participants, espérant ainsi leur donner quelques clés pour la réalisation de leur propre transmission.

À Mortoux, d’un restaurant à un gîte

Anne Loly est propriétaire et gérante du gîte le Terminus à Mortroux. En 2005, ses parents ont fait le choix de diversifier leurs activités par l’achat d’un bâtiment proche de la ferme et ont transformé celui-ci en restaurant. « L’objectif était d’y valoriser les produits de la ferme. Ma maman, l’une de mes sœurs et moi-même, nous nous y sommes fortement investies. J’étais professeur tout en travaillant à la gestion du restaurant. Pendant près de 15 ans, le restaurant a été une belle réussite et une équipe assez conséquente y travaillait », explique Anne. Néanmoins, quand l’âge de la pension s’est profilé pour les parents, le frère d’Anne les a sollicités afin qu’ils pensent à la transmission et l’organisation de leurs activités. « Il redoutait ce moment et souhaitait que ça se passe au mieux entre les 4 enfants. Il a gardé l’exploitation agricole et j’ai marqué mon intérêt pour le restaurant mais avec une condition : le transformer en gîte de grande capacité pour m’affranchir entre autres et en partie de la gestion de personnel. Ce changement d’affectation n’a pas été simple à faire accepter car le restaurant fonctionnait bien. Ça a eu l’effet d’une bombe. Mais avec le temps, quand mon projet s’est concrétisé, ça a fait son chemin et, avec le recul, je pense que tout le monde est fier et ça a permis de conserver le bâtiment dans la famille. Pour la transmission, afin que mes sœurs ne soient pas lésées, des ajustements ont notamment été réalisés au moyen du foncier ».

Lors de son témoignage, Anne relève deux paramètres importants dans son expérience : « Comme déjà précisé, le changement d’activité a été douloureux pour mes parents. Un autre point délicat a été la valorisation du travail effectué auparavant dans le restaurant. On n’a pas forcément tous la même vision des choses à ce sujet et il est parfois difficile de répercuter le travail non rémunéré réalisé au préalable lors de la transmission. Il est important d’y penser ».

À Bierwart, une petite révolution

Guillaume Flamand est l’un des gérants de la Ferme du Vieux Tilleul à Bierwart. Celle-ci est spécialisée dans la production et vente d’escargots ainsi que de légumes. « La ferme a été fondée par ma maman. Ensuite, mon papa, militaire retraité, a rapidement travaillé à ses côtés et s’est mis à la culture de légumes. Après mes études, je les ai rejoints sur la ferme pour finir par reprendre les cultures en 2016. Cette partie a été plus simple car il s’agissait surtout de payer la valeur de la reprise des terres. Deux ans plus tard, mon frère brillant ingénieur, m’a rejoint et ensemble nous avons repris la société de transformation des produits de la ferme. Nos deux sœurs n’étaient pas intéressées par l’outil, il a donc fallu organiser cette transmission au mieux ».

L’un des points particuliers de la transmission de la famille Flamand a sans aucun doute été le retour du frère de Guillaume dans la société : « Mon frère a ramené des compétences qui me faisaient défaut de part sa formation et ses expériences extérieures, tant au niveau administratif que dans la gestion du personnel. Ça a donné un souffle nouveau à la société et ça été naturel de poursuivre dans ce sens-là. Aujourd’hui par rapport à hier, on est constamment en développement et en recherche de nouveaux projets grâce aussi à cette meilleure gestion du personnel. La main-d’œuvre est selon moi l’outil le plus précieux dans une exploitation, car quand ça fonctionne bien, on peut alors se dégager du temps pour développer de nouvelles idées. Quoi qu’il en soit, cette révolution de notre manière de travailler n’a pas toujours été facile à accepter par nos parents qui n’ont plus été impliqués dans certaines choses du jour au lendemain. Avec le recul, je me dis qu’on aurait pu procéder plus calmement, en laissant à mon frère une période de transition et à mes parents le temps de voir arriver les changements ».

Se tourner vers l’extérieur pour la reprise de son activité

Yves De Tender est quant à lui l’un des fondateurs de la Framboiserie de Malmedy. « Milieu des années 90, nous nous sommes installés dans la maison familiale de mon épouse. J’étais alors professeur dans des matières agricoles et j’avais pris conscience qu’il existait deux types d’enseignants : ceux qui répétaient sans cesse la même chose et ceux qui expérimentaient avant d’instruire. J’ai choisi la seconde option et décidé de faire un peu de cultures pour contribuer à cela. Sauf, que le jouet a fini par grandir et j’ai dû faire un choix. Nous nous sommes alors développés dans la production de petits fruits et ensuite principalement de produits transformés, confitures et sirops, à base de ceux-ci. L’entreprise a grandi tranquillement ».

À l’approche de la soixantaine, Yves et sa femme pensent à la suite de leur entreprise : « On était arrivé à un stade où la croissance de l’entreprise était difficile à gérer, non pas par manque de clients mais du fait de la difficulté administrative. Notre famille n’étant pas intéressée par une reprise, soit on choisissait de laisser notre activité diminuer doucement ou alors on cherchait des jeunes personnes séduites par l’aventure et qui acceptaient qu’on en fasse encore partie quelque temps. On s’est donc mis en quête de la perle rare ». Une expérience qui leur a démontré que le bon repreneur, celui qui a les qualités requises pour pérenniser l’outil et ses valeurs, n’est pas nécessairement celui avec lequel on s’entendra le mieux ou l’ami de toujours. « J’ai appris à mes dépens que croire en cela peut faire perdre beaucoup de temps. Mais, nous avons finalement rencontré Marine et Christophe avec qui nous avons créé une coopérative sociale. Nous avons tous les quatre le même nombre de parts et notre capital est également ouvert à l’extérieur via des parts B. La coopérative est une belle manière d’assembler les gens et de sortir de l’isolement grâce à une série de compétences apportées par les coopérateurs. Le but n’étant pas uniquement de faire de l’argent, autant avoir un statut qui va dans ce sens, d’où la finalité sociale aussi. Il y a quand même pas mal de gens en détresse donc si on peut contribuer à ce que ça se passe mieux, ce n’est pas inutile ».

Yves revient sur d’autres avantages mais aussi quelques adaptations de cette nouvelle collaboration : « Au début, il faut apprendre à se faire confiance. Mais, lorsqu’on a dû ensemble analyser des petits et grands problèmes, on a vu qu’on réagissait dans le même sens. Il y a également eu un énorme apport de compétences qui m’ont déchargé des métiers administratifs que je ne faisais pas ou mal. Même si parfois, il y a aussi la surprise de voir le pouvoir et le savoir disparaître vers d’autres personnes et qu’un temps d’acceptation a été nécessaire, travailler ensemble est réellement mieux ».

« Le processus de transmission requiert de la flexibilité et de l’adaptation de la part de toutes les parties ».

Divers paramètres et structures

En moyenne, il aura fallu deux années à chacun des intervenants pour réaliser l’ensemble des étapes constituantes de la transmission.

Les témoignages montrent que la composition de la famille, des partenaires, les envies, les besoins et les compétences de chacun… influencent clairement la manière dont l’activité est transmise. Elle pourra se faire au sein ou non de la famille, en personne physique, en société ou via la création d’une coopérative. Chaque structure ayant ses avantages et ses inconvénients, il faudra donc la choisir de manière réfléchie.

À des moments clés

Chaque projet de transmission a été entamé lors de moments clés liés à une étape de la vie. Cela peut être pour un ou plusieurs enfants qui souhaitent reprendre la ferme ou développer un revenu au sein de celle-ci, ou encore lorsque l’on sent que pour rester rentable, l’activité va devoir évoluer et que les initiateurs du projet ne souhaitent plus pour raison d’âge ou autre, investir en temps et/ou en argent par eux-mêmes.

Encadrés par des spécialistes

Les témoins ont également souligné l’importance de se faire guider par des spécialistes juridiques, fiscaux, comptables… tout en notant qu’un critère essentiel de la réussite de cette transmission sera une communication franche et ouverte avec tous les partis impliqués, sans attendre d’être dépassé par la situation ou les difficultés rencontrées. L’objectif d’arriver à des valorisations équilibrées n’est pas simple à atteindre mais au final il est important que chacun se sente confortable avec les décisions prises.

Le processus de transmission demande du courage et une bonne dose d’adaptation.

Pour conclure, Maître Erneux, notaire à Erpent, présent lors du colloque (voir page 8) résumera avec justesse le processus de transmission en 3 mots : l’anticipation, l’analyse de la situation et la communication.

Propos recueillis par D. Jaunard

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