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John-Christian Kavakure, maître de l’orge des Brasseries de Flobecq : «Brasser le passé et fermenter l’avenir»

Quand John-Christian Kavakure parle, c’est tout à la fois le soleil et sa chaleur, mais aussi la fierté de l’Afrique dans le regard et dans le geste. Cet ingénieur-brasseur qui a posé ses valises en Belgique dans les années 90 préside avec bonheur aux destinées des Brasseries de Flobecq tout en faisant à nouveau rayonner le riche passé agricole de la région.

Temps de lecture : 7 min

C ommençons par nous arrêter sur le caractère original de son prénom. Ses parents l’ont voulu composé, comme un reflet de la diversité et de la richesse du continent africain. Si son père a opté pour l’anglais, sa mère souhaitait lui conférer une consonance française et… catholique. Ce sera donc John-Christian.

Pour certains, en Belgique, la bière est un peu une religion et à tout le moins une boisson qui réchauffe les cœurs et permet de situer notre pays sur la mappemonde. Mais si l’on en croit John-Christian, l’art de brasser la bière en Afrique « existe depuis la nuit des temps ».

Out of Africa

À Bujumbura, il se souvient de sa grand-mère qui faisait de la bière au sorgho, perpétuant un savoir-faire ancestral. Avec elle, non pas dans une poussette, mais « au dos », il allait aux champs et se reposer le long du fleuve Ntahangwa. Sous la chaleur, quand la maison était trop loin pour retourner y chercher de l’eau potable, il n’était pas rare qu’elle lui tende une petite cervoise fermentée.

La Yellow Flo a été lancée lors du départ du Tour de France en juillet 2019 à Bruxelles pour marquer le 50 ème  anniversaire de la première victoire d’Eddy Merckx dans  la grande boucle.
La Yellow Flo a été lancée lors du départ du Tour de France en juillet 2019 à Bruxelles pour marquer le 50 ème anniversaire de la première victoire d’Eddy Merckx dans la grande boucle. - M-F V.

Le goût ne le quittera plus et ce sont les Jésuites chez lesquels il effectue sa scolarité, qui lui conseillent de se lancer dans des études brassicoles. Il faut savoir qu’à l’époque, l’un des plus grands employeurs du pays n’est autre que le groupe Heineken.

Le Burundi qui a toujours connu une instabilité politique, marquée par des coups d’état, des massacres intercommunautaires, plonge dans une guerre civile à partir de 1993, année où John-Christian arrive en Belgique et s’inscrit à l’Institut Meurice à Bruxelles où il se spécialise en ingénierie brassicole. Son but sera de maîtriser cet univers à 360º.

« Je voulais connaître la physiologie de la levure, la technologie du brassage, les matières premières qui rentrent dans la bière, acquérir de l’expérience, faire de la recherche » rembobine John-Christian qui a voyagé dans le monde entier, des États-Unis à la Chine en passant par l’Inde, « mais aussi en Afrique, mon berceau ».

D’un pays des collines à un autre

La Belgique devient rapidement le terrain de jeu sur lequel il peut exercer ses talents. Comme à Silly, Écaussinnes ou Orval, pour ne citer que quelques points de chute.

« Un jour, on me téléphone pour me signaler qu’une brasserie flobecquoise était en difficulté, c’était à une époque durant laquelle je réalisais des recherches à partir de 28 souches de levure en vue de mettre au point une bière sans sucre à destination des diabétiques tout en poursuivant des travaux d’élaboration d’une bière à la banane, un projet sur lequel je travaillais depuis huit ans » se souvient-il.

«On ne peut pas faire de grandes bières si on ne pratique pas la recherche» stipule M. Kavakureavant d’évoquer, «la quête de l’excellence dans toutes les phases de la journée, depuis la conception de la bière jusqu’à se livraison ».
«On ne peut pas faire de grandes bières si on ne pratique pas la recherche» stipule M. Kavakureavant d’évoquer, «la quête de l’excellence dans toutes les phases de la journée, depuis la conception de la bière jusqu’à se livraison ». - M-F V.

L’aventure le tente. La petite ville de Flobecq n’est-elle pas située au sein de ce que l’on nomme « le pays des collines » ? Comme dans son Burundi natal, ce petit pays en forme de cœur dont le paysage est, lui aussi, marqué d’innombrables collines séparées par de petites vallées.

En grande partie grâce à lui, une nouvelle brasserie, qui s’appellera alors « Witches Brewery », est portée en grande pompe en 2016 sur les fonts baptismaux. L’événement est retransmis en direct à la RTBF devant un parterre de personnalités et de stars parmi lesquelles Jacky Ickx, Eddy Merckx ou encore la chanteuse Khadja Nin.

Remettre l’identité du terroir flobecquois à l’honneur

Mais un actionnaire indélicat met malheureusement à mal le projet pourtant promis à un bel avenir. Blessé, John-Christian ne jette pas pour autant l’éponge et repart à zéro.

Une démarche qu’il qualifie de « résurrection maltée » ou de « renaissance houblonnée ».

« J’ai décidé de renouer avec la ruralité, le passé riche et joyeux de Flobecq, perle du pays des collines, et sa tradition brassicole, celle qui est, entre autres, liée aux plantes médicinales. « C’est ce qui m’a poussé à prendre un nouvel élan pour mettre sur rail un projet tout neuf » s’enthousiasme-t-il avec nostalgie.

Ce sera, celle fois ci, un peu plus loin car « Flobecq est une petite zone rurale où il est compliqué de construire ».

Il souhaite remettre l’identité du terroir à l’honneur dans ce qu’il appellera « Les Brasseries de Flobecq », en référence aux trois brasseries historiques : Loix, Voisin et Jouret.

De la bière en lien avec le territoire agricole

« Dans cette Wallonie picarde qui parfois souffre et que nous aimons, il n’y a pas de frontière » développe-t-il avant de préciser qu’il a décidé d’implanter la nouvelle brasserie dans le zoning de Péruwelz, à 800 mètres de la frontière française, pour pouvoir bénéficier de l’intercommunication avec d’autres acteurs de la région et de la proximité d’un réseau routier.

Construire une brasserie, selon John-Christian, requiert plusieurs composantes : une mission, une vision, des valeurs, un leitmotiv.

« Ma philosophie brassicole a toujours été de brasser de la meilleure façon possible des bières à valeur ajoutée, qu’elles soient sans sucre, bio ou médicinales, avec des matières premières de qualité, fruit du travail d’agriculteurs qui travaillent avec passion de génération en génération » résume-t-il.

John-Christian n’est pas un solitaire. Il entretient en permanence des synergies avec d’autres brasseurs, des experts, des universités (Institut Meurice, KUL), il multiplie les expériences aux quatre coins de la planète, nous apprenant, ainsi, qu’il est a été le premier à avoir brassé de la bière à haute fermentation en Inde.

La perpétuelle quête de l’excellence

Ce spécialiste des bières trappistes est très sensible aux notions d’héritage et d’innovation, valeurs fondatrices des Brasseries de Flobecq.

« On ne peut pas faire de grandes bières si on ne pratique pas la recherche » stipule-t-il avant d’évoquer, en baissant la voix, « la quête de l’excellence dans toutes les phases de la journée, depuis la conception de la bière jusqu’à sa livraison », une notion qu’il a appris à mettre en œuvre dès son passage chez les Jésuites, puis dans les différentes abbayes où il a pu exercer ses talents.

John-Christian travaille main dans la main avec les agriculteurs qui lui fournissent la matière première. Lui-même s’inscrit en faveur du développement de la filière d’orge brassicole.

L’esprit de l’Expo 58 dans une seule bière

Les Brasseries de Flobecq occupent quatre employés et emploient de nombreux intérimaires. Elles proposent des bières liées à quelques grands événements qui ont marqué la Belgique et des personnalités qui s’y.

La Flo58, une bière 100% bio d’une belle couleur ambrée soutenue, créée en hommage à l’Exposition universelle de 1958 à Bruxelles est le fleuron des Brasseries.
La Flo58, une bière 100% bio d’une belle couleur ambrée soutenue, créée en hommage à l’Exposition universelle de 1958 à Bruxelles est le fleuron des Brasseries. - M-F V.

Son incontestable fleuron reste la Flo58, une bière 100 % bio d’une belle couleur ambrée soutenue, créée en hommage à l’Exposition universelle de 1958 à Bruxelles. « Elle rappelle les saveurs subtiles des trésors gustatifs inspirés des années 50 » résume, l’œil gourmand, le maître-brasseur.

La bière a remporté le « World Gold Award 2018 » dans la catégorie des bières spéciales par un jury composé de 70 experts internationaux à l’occasion de la 57ème édition du concours « World Selection 2018 of Beers, Waters and Soft Drinks ».

Eddy Merckx et Jacky Ickx en bouteille !

La Yellow Flo a, quant à elle, été lancée lors du départ du Tour de France en juillet 2019 à Bruxelles pour marquer le 50ème anniversaire de la première victoire d’Eddy Merckx dans la grande boucle. « Il s’agit d’une bière blonde aux petites touches d’agrumes, pleine de générosité et de belgitude à l’image du plus grand champion de tous les temps » s’illumine John-Christian.

La troisième bière phare des Brasseries s’habille de rouge. C’est la Red Flo qui fait rayonner sur son étiquette les couleurs du bolide de Jacky Ickx, vice-champion du monde de F1 voilà un peu plus d’un demi-siècle au volant de sa Ferrari 312B.

« C’est une bière triple, avec des notes maltées, qui rappelle l’Afrique en général, la chaleur d’un champ africain en particulier avec des ingrédients que je ne peux dévoiler sans trahir de secrets. Je peux juste vous dire que son bouquet final a été imaginé par des artisans et des agriculteurs locaux qui voulaient mettre à l’honneur cet immense champion ».

John-Christian travaille main dans la main avec les agriculteurs qui lui fournissent la matière première. Lui-même s’inscrit en faveur du développement de la filière d’orge brassicole.
John-Christian travaille main dans la main avec les agriculteurs qui lui fournissent la matière première. Lui-même s’inscrit en faveur du développement de la filière d’orge brassicole. - M-F V.

Les Brasseries de Flobecq peuvent ainsi compter sur l’aura de prestigieux parrains, ce qui aide John-Christian Kavakure à promouvoir son territoire de cœur, sa qualité de vie locale et son ouverture sur le monde.

En route vers un choix de bières sans alcool

John-Christian considère la bière comme son « premier réseau social ». Invité lors du dernier Festival de Cannes, il a ainsi fièrement porté les couleurs de Flobecq. Tout comme en Espagne où il faisait partie de la mission princière qui s’était rendue à Valence.

« Il faut être fier de son terroir » conclut le brasseur, le plus wallon des Africains qui vient, enfin, de se lancer dans une bière sans alcool à destination des pays musulmans.

Marie-France Vienne

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