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Exportation de l’expertise fromagère wallonne : voyage à travers la filière laitière malgache

Cet été, le Pôle Fromager de l’Ecole d’agronomie et des sciences de Ciney (Epasc), pôle de formation à la transformation laitière artisanale faisant partie de Diversiferm, s’est rendu à Antsirabe, troisième plus grande ville de Madagascar, à la demande de l’entreprise laitière malgache Socolait. Si les techniques de transformation laitière restent sensiblement similaires à celles pratiquées en Wallonie, l’amont de la filière fait face à des réalités aux antipodes des nôtres.

Temps de lecture : 7 min

L’île de Madagascar, rattachée au continent africain, est la quatrième plus grande île au monde. Sa valeur IDH de 0,528 en 2019 (Indicateur de Développement Humain sur base de la longévité, la santé, le niveau de revenu et le niveau d’instruction) place le pays au 164ème rang parmi 189 pays.

La ville d’Antsirabe, lieu d’implantation de l’usine Socolait et chef-lieu de la région de Vakinankaratra, se situe à quelques 170 km de la capitale… une distance que le technicien fromager de l’EPASC a mis pas moins de 6 heures à parcourir par la route ! Cette région, grande comme la moitié de la Belgique, est située en plein centre du pays et au cœur de son bassin agricole, au sein de la zone montagneuse des « Hautes-Terres du Centre ». Avec ses 1.500 à 1.800 m d’altitude, son sol volcanique riche, ses températures plus fraîches et sa pluviométrie favorable (climat tropical d’altitude), c’est l’une des régions les plus productives de l’île.

Ces conditions pédoclimatiques, combinées à sa proximité avec la capitale, en font tout naturellement une zone de l’île fortement agricole et agro-industrielle. A contrario de la Wallonie où seule encore 2 % de la population active (en 2020) l’est dans le domaine agricole, les petites fermes familiales diversifiées sont la norme dans la région, avec 75 % de la population qui en exploite. La production majoritaire est la production rizicole.

Des exploitations agricoles familiales

La production agricole malgache et de la région d’Antsirabe s’appuie sur une agriculture familiale de très petite taille. Dans le Vakinankaratra, la surface cultivée moyenne des exploitations agricoles est d’1 ha. Quant aux exploitations laitières, leur production laitière moyenne commercialisée est de 1.100 l/an. En lien avec ce niveau de production, le nombre moyen de vache laitière par exploitation, est de 1,5 vache.

La production laitière est assurée par un cheptel bovin métissé, composé de vaches de races « améliorées » comme la Rana (race issue du croisement successif du zébu local avec la race Pie Rouge Norvégienne (PRN) ou la race Normande), ainsi que d’animaux de races exotiques laitières plus ou moins pures (PRN, Holstein, Normande), selon le niveau de croisement avec le zébu malgache. Bien que variable, la productivité de la vache laitière malgache est de l’ordre de 2.000 à 2.500 l/an. Le troupeau est généralement conduit en stabulation entravée.

Une production laitière centrée sur la région des Hautes-Terres

Tirée par la demande d’une population citadine à la recherche de diversification alimentaire, la production laitière à Madagascar se développe, avec une production multipliée par trois en 15 ans ! Cette production est concentrée à 80 % dans la région des Hautes-Terres du Centre, au sein d’une zone nommée « triangle laitier », répartie sur 6 régions dont essentiellement celle de Vakinankaratra.

La consommation de produits laitiers est une habitude aujourd’hui répandue à Madagascar. Parmi ceux-ci, ce sont les yaourts dits « maison » qui sont les plus populaires, une gamme de yaourts valorisant pour partie le lactosérum (ou petit-lait).

Les consommateurs privilégient cette gamme de yaourts en raison de son plus faible prix, tout en semblant satisfaits de la qualité. Une gamme de yaourts dits « industriels », tels que nous les connaissons sous nos latitudes, est également produite sur l’île.

En 2018, la production laitière du « triangle laitier » était de 100 millions de litres, dont 45 millions de litres pour la région de Vakinankaratra. À titre de comparaison, sur une superficie équivalente, la Belgique produirait environ 20 fois plus de lait.

La moitié de ces 100 millions de litres approvisionne directement la capitale et ses industries, alors qu’environ 10 % est transformé par l’industrie laitière de la région.

L’industrie laitière malgache compte aussi sur les importations de poudre de lait, entre autres européenne, de l’ordre de 5.000 tonnes, soit l’équivalent de quelques 40 millions de litres de lait.

Une collecte du lait… à vélo !

Question « chemin » du lait depuis la ferme vers l’aval, au vu de la production laitière moyenne d’une exploitation agricole, la « micro-livraison » est la règle ! 65 % du lait collecté l’est via un système complexe de sous-collecteurs et collecteurs.

Le pré-collecteur, ou « trayeurs-cycliste », se rend à vélo, avec son bidon (20 à 50l), sa pinte et son carnet afin de collecter le lait dans les petites exploitations, le plus souvent à atteindre via du hors-piste.

Ces pré-collecteurs ont plusieurs débouchés (particuliers, fromageries artisanales ou collecteurs intermédiaires).

Le « trayeur- cycliste » , pré-collecteur, un maillon essentiel  de la collecte de lait malgache.
Le « trayeur- cycliste » , pré-collecteur, un maillon essentiel de la collecte de lait malgache. - Epasc

En cas de collecteur intermédiaire, le lait y est centralisé, pour une première fois réfrigéré, et ensuite livré à l’industrie via le collecteur. L’usine paie alors le collecteur, et ensuite chaque maillon paye le suivant.

Question contrôle de la qualité du lait, seul un pré-contrôle est effectué en ferme par le pré-collecteur, à l’aide d’un lactodensimètre, permettant d’évaluer la teneur en matières grasses et de dépister le mouillage, et d’un test « à l’alcool », pour contrôler la fraîcheur du lait cru. Une batterie de tests est ensuite effectuée au niveau du collecteur (matières grasses, protéines, fraîcheur du lait, absence de bicarbonate, absence de mouillage).

En marge de ce système de pré-collecteur, quelques transporteurs, ou « grands collecteurs », alimentent également le marché.

Socolait, une entreprise laitière malgache pionnière

Socolait, entreprise visée par la mission du Pôle Fromager de l’Epasc, s’appuie, quant à elle, sur un réseau de 150 pré-collecteurs qui acheminent le lait auprès de 8 collecteurs, ces derniers disposant d’une capacité totale de stockage de 19.000 l. Socolait collecte ainsi, dans un rayon d’environ 60 km, de l’ordre de 6.000.000 l de lait par an auprès de 3.000 exploitations agricoles.

La boîte de lait concentré sucré de 390 g est devenue une « unité de  mesure » locale : le kapok.
La boîte de lait concentré sucré de 390 g est devenue une « unité de mesure » locale : le kapok. - Epasc

Socolait, ou Société Commerciale Laitière, est l’un des fleurons industriels de Madagascar. Construite en 1975 par Nestlé (aujourd’hui propriété du groupe Basan), elle a approvisionné, dès ses débuts, la population en lait concentré sucré et en farine infantile.

Socolait transforme aujourd’hui quotidiennement quelques 20.000 l de lait en yaourts (« maison » et « industriels »), beurre, fromage à pâte pressée de type gouda, fromages à pâte molle de type camembert. S’ajoute à cela la production de lait concentré sucré.

Ses deux produits phares sont les gammes yaourts et lait concentré sucré. Pour l’anecdote, dans la région, la boîte de lait concentré sucré de 390 g est devenue… une unité de mesure dans les épiceries et marchés locaux, le « kapok » !

Socolait emploie 384 collaborateurs au sein de son usine et commercialise sa production auprès de 4300 points de vente, répartis sur les grandes villes du pays.

À titre de comparaison, la fromagerie wallonne Herve Société, avec une capacité de transformation sensiblement similaire (16 millions de litres), emploie une cinquantaine de collaborateurs.

En parallèle de son rôle premier de transformation, Socolait fournit également un appui technique à son réseau, aussi bien au niveau des pré-collecteurs et collecteurs, pour gagner en qualité du lait, qu’auprès de ses exploitants agricoles. Socolait dispose d’ailleurs, en son site, de sa propre ferme expérimentale au sein de laquelle des essais sont menés, entre autres en termes d’alimentation animale.

Cette ferme expérimentale s’étendant sur 1 hectare (0,5 ha de pâturage Brachiaria et 0,5 ha de cultures vivrières : ray-grass / avoine, betteraves sucrières, stylosanthes, mucuna) et compte 3 vaches laitières (1 « métisse » Holstein, 1 Montbéliarde et 1 Normande). La société possède également un département de recherche et développement, employant une dizaine de personnes.

De la mission d’expertise à l’échange

Un département de recherche et développement… mais pas d’expert fromager en capacité d’identifier les points d’améliorations et d’optimisation des procédés, ainsi que les possibilités d’élargissement de la gamme fromagère. C’est dans le cadre de ces objectifs, et sous la condition de se cantonner au matériel déjà présent sur site, qu’un des techniciens du Pôle Fromager de l’Epasc, Laurent Demeffe, s’est rendu sur place pour partager ses compétences et son expertise, à la demande de Socolait.

Force a été de constater que l’usine est équipée de manière semi-industrielle : l’équipement n’atteint pas celui des industriels européens mais l’infrastructure est cependant plus grande que celle présente chez tous les producteurs artisanaux wallons : cuves de 400 et 3000 l, pasteurisateurs, lignes à yaourts permettant de transformer 1t/h…

Parmi les apports de la mission pour Socolait : essais de cheddar et de ricotta en laboratoire, essais de fromage frais sur la ligne de production, proposition d’une nouvelle recette de pâte molle « moderne », modifications diverses des procédés de fabrication pour plusieurs fromages (changement de ferments, amélioration des textures…), modification du temps de barattage du beurre afin d’améliorer le rendement, etc. L’équipe R&D continue à explorer les pistes.

L’équipe du Pôle fromager de l’Epasc.
L’équipe du Pôle fromager de l’Epasc. - G.N. Photographie

Mais l’Epasc en est aussi enrichie d’enseignements et d’expériences, autant professionnels qu’humains. Pourquoi ne pas imaginer, par exemple, l’intégration de certaines pratiques malgaches dans les procédés de la transformation laitière wallonne… comme celui du yaourt « maison » ? Les échanges respectifs se poursuivent à distance, depuis la Belgique…

Laurent Demeffe et Christel Daniaux (Epasc)

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