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Gepetto, cœur et pique

Qui ne connaît aujourd’hui ChatGPT, « Gepetto » pour les intimes ?

Temps de lecture : 4 min

Sur Internet, l’agent conversationnel utilise l’Intelligence Artificielle pour répondre à toutes vos questions. « Gepetto, pourquoi Hébreux et Arabes ne s’aiment-ils pas ». « Gepetto, raconte-moi ce qu’est la Politique Agricole Commune Européenne. ». « Gepetto, comment limiter le réchauffement climatique sans réduire la croissance économique ? ». On peut lui poser toutes sortes de « colles » ; il propose toujours une solution, ou simplement répond qu’il ne dispose pas de données suffisantes, si la question est trop précise, du style «  Gepetto, qui sera ministre régional de l’agriculture après les prochaines élections ? ». Le bougre a ses limites ! À force de réduire ses utilisateurs en pantins, il devient lui-même Pinocchio au long nez…

Qu’on le veuille ou non, l’Intelligence Artificielle s’empare insidieusement de nos vies depuis trente ans, par petites touches, sans se presser. Elle sait être enjôleuse et d’apparence inoffensive, comme Gepetto le gentil sculpteur sur bois. On la retrouve sous diverses formes dans les réseaux sociaux, le commerce en ligne, la myriade d’applications plus étonnantes les unes que les autres. L’IA est efficace, séductrice, manipulatrice, commerciale, mathématique, amorale, dépourvue de la moindre émotion. On l’a imposée brutalement pour les transactions bancaires et les formalités administratives. Tout résulte de sa conception, des gens qui se cachent derrière elle. Ce qu’elle restitue est issu de ce qu’on lui a donné à traiter ; sa réponse dépend de la tâche demandée, des termes du problème qu’on a lui soumis.

Par exemple, quand on lui pose une question polémique, du style «  Gepetto, doit-on interdire l’emploi du glyphosate ? », ChatGPT donnera une réponse positive, régurgitera calmement tout ce qu’il a collecté, pour vous confectionner une jolie petite marionnette qui exprimera, avant tout, ce que ressentent les internautes, ce que ceux-ci ont compris et retenu du débat public autour de ce sujet sensible. Notre rapport à la vérité est brouillé par Gepetto et ses amis, utilisés et déifiés par les journalistes et tous ceux qui sont censés nous instruire sur la marche du monde. En fait, nous sommes plongés dans l’ère de la « post-vérité », selon les philosophes.

L’un d’entre eux, le regretté Michel Serres, distinguait trois formes de vérités : les vérités de raison, rigoureuses et démontrables ; les vérités de fait, précisément établies et vérifiées ; et les post-vérités, modelées par les appels à l’émotion plutôt que par les faits objectifs. Mélanger ces trois vérités et créer un narratif agréable sont les grandes « qualités » de Gepetto, remarquablement efficace quand il s’agit de raconter une histoire que la plupart des gens veulent entendre. Cette méthode n’est pas neuve : déjà, voici cent ans, un jeune Allemand moustachu créa avec succès un parti spécialisé dans la manipulation des données et la canalisation des consciences… Comparaison n’est pas raison, fort heureusement ! Libre à nous d’utiliser avec discernement et prudence des joujous comme ChatGPT et d’autres applications foldingues.

Ainsi, un jeune agriculteur m’a montré sa montre connectée, autre bijou de l’Intelligence Artificielle. C’est assez drôle ! Par exemple, sa montre le renseigne sur la qualité des cycles de son sommeil (lent léger, profond, paradoxal) lors des nuits interrompues par des naissances à la ferme, ou après des journées harassantes et stressantes pendant des périodes de récolte, fenaison, moisson, arrachage des pommes de terre… Elle affiche les variations de son rythme cardiaque, les extrasystoles, mais également le nombre de pas parcourus (jusque 15.000 certains jours !). Elle le prévient s’il ne boit pas assez d’eau, s’il ne dort pas suffisamment. Elle sonne pour lui rappeler un rendez-vous, une vache à surveiller. Elle pourra même un jour lui servir de système de paiement !

On n’arrête plus le progrès ! Mais n’est-il pas là, le danger qui nous guette, cette prise de pouvoir irrésistible de l’Intelligence Artificielle sur nos vies, lesquelles se retrouvent enserrées dans les tentacules de ces multiples fonctionnalités qui se nourrissent d’elles-mêmes et s’auto-génèrent ? Imaginons la création d’une sorte de ChatGPT agricole. Ce serait fantastique, merveilleux… en théorie ! Il suffirait de demander : « Gepetto, quelle culture puis-je implanter sur ma parcelle numéro 8, en tenant compte de ses particularités, de son historique cultural, mais également de l’évolution probable des marchés mondiaux, des contraintes de la PAC et de l’actualité géo-politique ? ». Il répondrait instantanément, car ce genre de fonctionnalité calcule à la vitesse hallucinante de milliers de milliards d’opérations à la seconde. Serait-ce formidable, ou déraisonnable ? Il pourrait ensuite programmer des robots-tracteurs pour le travail de la terre, le semis, l’épandage des engrais et des produits phyto. N’importe quelle usine ou société pourrait cultiver la terre et produire des denrées agricoles.

Gepetto jouerait au paysan !!! Il ferait de nous ses automates ! Après avoir été les marionnettes des puissants durant des siècles, puis les joujous de la PAC et du commerce mondial, les punching-balls de l’opinion publique, les agriculteurs deviendraient les pantins du grand guignol informatique industriel, les Pinocchio sans nez du carnaval agricole capitaliste…

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