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La SCAR fête ses 125 ans : «Nous préférons être le roi d’un petit royaume plutôt que le valet d’un empire»

Du ciel lourd de chevaux noirs dont le galop annonçait l’averse qui gifle le pavé, se découpe du rouge profond à l’ocre ancré à la nationale 3. Celui du bâtiment de la Scar (Sociétés Coopératives Agricoles Réunies) dont l’histoire épouse celle du plateau de Herve depuis 125 ans. À l’occasion de cet anniversaire, son directeur, Éric Walin, nous a narré les rumeurs d’antan, livré quelques fragments de doutes, ouvert des fenêtres d’avenir.

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Avec son acronyme et son logo vert reconnaissables entre tous, la Scar est une société incontournable du paysage agricole wallon.

Une lente professionnalisation de la coopérative

Comme toute belle histoire, la sienne a commencé petitement. La Scar était à l’origine un groupement d’achats de matières premières organisé par les éleveurs réunis au sein de la société coopérative « Meunerie Agricole du Pays de Herve » pour nourrir leurs cheptels.

Gérée stratégiquement et opérationnellement par des agriculteurs, avec un personnel d’ouvriers et d’employés lui-même issu du monde agricole, la coopérative grandit lentement mais sûrement en engageant, à la fin de la seconde guerre mondiale, des permanents, signant ainsi la professionnalisation du métier « puisque d’aliments simples nous sommes passés à des aliments composés » déroule Éric Walin.

Évolution de la Pac et de l’agriculture

Mais c’est entre 1966 et 1968 que la coopérative prend un nouvel essor avec la construction de l’usine sur l’actuel site hervien.

On commence alors à parler de science, de nutrition, d’association de matières premières pour différentes spéculations. Le déploiement de la coopérative se poursuit avec des investissements dans de nouveaux silos, la modernisation de l’usine de fabrication et la construction des bureaux actuels. C’est aussi le passage du sac au vrac en 1972.

Eric Walin (à gauche) et de nombreuses  personnalités poilitiques, dont  le ministre Willy Borsus, ont inauguré les nouveaux bâtiments de la coopérative.
Eric Walin (à gauche) et de nombreuses personnalités poilitiques, dont le ministre Willy Borsus, ont inauguré les nouveaux bâtiments de la coopérative. - SCAR.

Vingt ans plus tard, la coopérative construit un nouveau hall de stockage sur le port d’Argenteau, lance un nouveau département graineterie et jardinerie, pour n’évoquer que quelques faits saillants dans sa longue et riche histoire.

« Je suis arrivé en 1992, quand de nombreux employés (chauffeurs, préparateurs de commandes…) possédaient encore une ferme, ce qui a quasiment disparu aujourd’hui » se remémore M. Walin précisant que « l’évolution de la Pac, avec, notamment, la suppression des quotas en 1984, a modifié en profondeur notre agriculture ».

Scar, grand acteur wallon, Lilliputien européen

Si la coopérative indépendante wallonne fabrique et distribue aujourd’hui environ 80.000 tonnes d’aliments composés par an, elle reste un petit acteur au niveau belge et un Lilliputien au niveau européen. Il faut en effet savoir que le plus gros fabricant belge produit entre 1,2 et 1,3 million de tonnes sur les quelque 7 millions de tonnes que produit notre pays.

Quant au plus gros fabricant européen, le groupe ForFarmers, il pèse carrément 10 millions de tonnes par an.

« Quand j’ai commencé, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas étaient les fers de lance en matière d’aliments composés pour les animaux de ferme. Actuellement et depuis dix ans, c’est de très loin l’Espagne, avec son élevage intensif et une production de masse à visées exportatrices » développe le patron de la Scar. En 2021, la production industrielle espagnole d’aliments composés pour animaux d’élevage s’élevait d’ailleurs à 25.675.00 tonnes nous apprend la confédération espagnole des fabricants d’aliments composés pour animaux (Cesfac) dans ses données statistiques.

« Nous sommes au service des agriculteurs wallons qui pratiquent une agriculture liée au sol, familiale et indépendante. Produire des aliments standardisés pour les grandes productions de commodité ne répondrait en rien à leur demande » développe M. Walin, ajoutant que « nous devons cultiver et encore développer davantage notre philosophie qui consiste à être en phase avec notre agriculture, qui n’est pas celle des porcs que l’on élève dans des buildings en Chine, ni celle des étangs de lisier aux États-Unis ou encore, plus proche de nous, de la Flandre ».

La richesse de la valeur ajoutée

La Scar s’est d’ailleurs inscrite depuis 30 ans dans le développement de filières à valeur ajoutée en s’appuyant sur des arguments autant techniques que philosophiques. « Ce que l’animal mange va conditionner la qualité de ce qu’il va produire » illustre ainsi le patron de l’institution hervienne.

C’est pour cette raison que la Scar a participé à la réflexion qui a conduit à la création de plusieurs coopératives telles que Coprobel, Marguerite Happy Cow, Coq des Prés, En direct de mon élevage (qui a des exigences très spécifiques en termes d’alimentation), Limousin bio Ardenne ou encore PQA dont M. Walin est lui-même administrateur depuis 30 ans.

L’ouverture des portes au grand public fait partie de la philosophie de la coopérative depuis plusieurs décennies.
L’ouverture des portes au grand public fait partie de la philosophie de la coopérative depuis plusieurs décennies. - SCAR.

Si elle ne produit « que » 80.000 tonnes d’aliments pour animaux, la Scar les destine à toutes les filières possibles : volailles, porcs, bovins viandeux et laitiers, lapins, que ce soit en conventionnel ou en bio, autre voie de diversification à valeur ajoutée.

La coopérative hervienne s’est muée en leader belge en aliments bio, d’ailleurs « tout éleveur qui fait du bio va penser à la Scar » synthétise Éric Walin.

Une alimentation à la carte

On peut dire que la Scar travaille, en, quelques sortes, à façon. « Nous avons environ 400 formules à la carte en fonction des besoins des éleveurs, selon les analyses de leur fourrage, de leur cheptel, de leur exploitation » précise Eric Walin.

Dans le cadre du déploiement de son département « graineterie », la Scar a par ailleurs développé voici 30 ans la marque « Aliments Vital » à destination des magasins spécialisés en Wallonie, mais aussi en France, en Allemagne et au Luxembourg.

« Aliments Vital » se cache aussi derrière la marque propre de la célèbre enseigne « Tom & Co ».

Conditionnés en sacs jaunes, ces aliments composés visent une clientèle de particuliers soucieux de produire eux-mêmes leurs œufs, viandes de volailles ou de lapin.

Un rapprochement avec le consommateur

Pour Éric Walin, « il faut justement être en phase avec le citoyen qui tend à s’intéresser à ce qui se passe dans les fermes, à prendre en compte les contraintes, difficultés et réalités du monde agricole tandis que l’agriculteur commence à comprendre qu’il doit communiquer avec le consommateur final ».

« Ce que l’animal mange va conditionner  la qualité de ce qu’il va produire »,  résume le directeur de la Scar, Eric Walin.
« Ce que l’animal mange va conditionner la qualité de ce qu’il va produire », résume le directeur de la Scar, Eric Walin.

Il faut dire que ces deux mondes ont été par trop souvent opposés, renvoyés dos à dos par le chaos de l’actualité. On se souvient des crises successives qui ont secoué la décennie 90’, celle de la « mafia hormonale » avec l’assassinat du vétérinaire Karel Van Noppen en 1995, celle de la vache folle en 1996, suivie de celle de la dioxine en 1999.

La crise du lait de 2009 a sûrement été l’élément déclencheur d’un rapprochement entre deux pans de la société qui s’ignoraient ou à tout le moins évitaient de se côtoyer.

La grève du lait, son spectaculaire épandage dans les champs de Ciney et de Hombourg (province de Liège) et le désespoir des agriculteurs ont marqué le début d’un dialogue ainsi que la fin des apriorismes entre le secteur agricole et les consommateurs.

La Scar participe activement à ce retissage du lien entre les deux mondes en ouvrant régulièrement ses portes au grand public et à des associations de consommateurs et ce, depuis 30 ans.

Sacrée « Lascar »

Pour son 125ème anniversaire, la Scar s’est tournée vers la Ferme de l’Arbre, à Lantin, qui a développé la Brasserie coopérative liégeoise, une microbrasserie bio, locale et participative, laquelle produit la « Badjawe », une bière artisanale non filtrée bien connue en terre liégeoise.

Le résultat sera « Lascar », une bière élaborée à base de céréales en provenance de la coopérative bio « Histoire d’un grain » basée à Soumagne.

« Nous sommes en cohérence avec notre philosophie jusque dans nos festivités » sourit Éric Walin.

Les célébrations du 125ème anniversaire de la coopérative, du 13 au 15 octobre derniers, ont justement été l’occasion d’inaugurer deux nouveaux bâtiments, dont l’un dédié à la partie « hobby » (30 % du chiffre d’affaires), un doublement des quais de chargement, portant leur nombre à six, un nouveau hall qui augmente la capacité de stockage des sacs de 40 % (820 palettes) et 1.000 m² d’aire de mobilité supplémentaire pour les camions.

Autre nouveauté, le dédoublement et le rhabillage des bureaux à front de nationale.

L’agriculture en proie aux turbulences

Les stratégies quasi visionnaires initiées par la coopérative en termes de bio, de diversifications qui l’ont tirée vers le haut et de valeur ajoutée ont fait de la Scar « le roi d’un petit royaume » qui a offert « une autre histoire tout en renforçant l’esprit coopératif ».

À l’heure actuelle, le secteur tout entier traverse toutefois une période de turbulence en raison de l’inflation liée au conflit russo-ukrainien mais aussi de la situation de la Flandre et surtout des Pays-Bas, mis en demeure de réduire le cheptel national de moitié dans le cadre du plan azote de leur gouvernement.

Un anniversaire qui vaut bien une bière élaborée avec des céréales du terroir !
Un anniversaire qui vaut bien une bière élaborée avec des céréales du terroir ! - SCAR

Pénalisé notamment par l’inflation galopante depuis un an sur les produits alimentaires, le bio a vu quant à lui son insolente croissance s’interrompre.

Outre-Quiévrain par exemple, les déconversions se sont accélérées l’année dernière. Environ 1.500 agriculteurs, soit 2,5 % du bataillon de fermiers bio, sont sortis du label.

Éric Walin ne s’inquiète pour autant pas outre mesure pour la Wallonie et gage que la tendance va repartir dans le bon sens pour cette filière « qui a connu une croissance anormalement belle et traverse une conjoncture défavorable passagère ».

Reste que « l’augmentation des prix de l’énergie pénalise fortement la Scar, comme la récente indexation des salaires de l’ordre de 11 % » souffle M. Walin en se félicitant toutefois de la capacité de résilience de la coopérative qui a su « placer ses œufs dans plusieurs paniers, avec ses différentes filières à valeurs ajoutées ».

De quoi franger l’horizon de lumière et se laisser pousser par le vent. Dans le dos bien sûr.

Marie-France Vienne

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