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Quelles activités contribuent aux GES agricoles?

La question des émissions de gaz à effet de serre et du carbone est cruciale en agriculture. Il en découle d’ailleurs plusieurs idées. L’une d’elles concerne les prairies permanentes. S’il est vrai que le sol y constitue un réservoir de carbone considérable, il est faux de dire que ce sont globalement des puits de carbone dont le stock total augmente. L’enjeu majeur est bien de conserver ce stock, de même que celui des terres arables. Un second développement détaille la contribution de l’élevage bovin aux émissions de GES, tenant compte de la production fourragère, y compris les prairies permanentes.

Temps de lecture : 11 min

L e fait est que depuis plus de 40 ans, les scientifiques répètent que nous devons réduire nos émissions. Mais parce qu’on a attendu si longtemps pour commencer seulement à les écouter, nous devons désormais prendre des mesures plus radicales. Une véritable révolution est nécessaire dans nos manières de produire et consommer l’énergie, de nous déplacer, de produire des biens de consommation, de voyager, d’habiter et de manger. Tout cela doit être considérablement modifié, du moins si nous voulons respecter l’objectif de 1,5ºC. Et si nous ne le faisons pas, les conséquences seront dramatiques pour de nombreux êtres humains et bien des écosystèmes. »

Ces propos du climatologue et membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) Jean-Pascal Van Ypersele datent déjà d’il y a quatre ans. Au-delà de l’engagement politique de la Wallonie d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 80 à 95 % pour 2050, on a peine à entrevoir depuis la révolution évoquée. C’est particulièrement le cas en agriculture où la réduction des émissions est particulièrement à la traîne avec 19 % de moins en 30 ans contre 38 % en moyenne tous secteurs d’activité confondus.

Coup d’œil

dans le rétroviseur

Un premier article (Quelle est la part des sols dans le bilan des émissions des gaz à effet de serre agricoles ? – Le Sillon Belge du 05/01/2023) avait mis en évidence la place qu’occupent les prairies et les terres arables en Wallonie dans les émissions de GES de l’activité agricole.

Sur base des données des rapports climatiques de la Wallonie, disponibles auprès de l’Agence wallonne de l’air et du climat (Awac) concernant ici l’année 2021, on pouvait retenir plusieurs informations.

Premièrement, les stocks moyens de carbone sont nettement plus élevés en prairies permanentes (86 t/ha) que pour les terres arables (51 t/ha). Les prairies permanentes sont en moyenne des contributrices nettes aux émissions de GES contrairement à la situation jusqu’au début de ce siècle.

Pour l’année 2021 et à l’échelle de la Région, les terres arables et prairies permanentes ont émis dans l’atmosphère 451.000 t CO2éq sous forme de CO2. Cette quantité représente 9,2 % des émissions totales du secteur. Elle s’ajoute aux émissions des autres sources de l’activité agricole qui se font surtout sous forme de CH4 et de N2O (bétail, épandages d’engrais azotés, moteurs à combustion, résidus de cultures…) soit, au total 4.876.000 tCO2éq.

L’Awac prévoit de nouvelles campagnes de mesures pour confirmer ces tendances en Wallonie alors que les données publiées à l’échelle européenne ou encore en Flandre, en Allemagne ou en Suisse par exemple attestent déjà de la contribution globale aux émissions des sols des prairies permanentes.

Par ailleurs, les prairies permanentes qui le sont depuis le début du siècle ont émis 190.000 tCO2 en 2021 et les terres qui sont devenues des prairies permanentes sur cette période en ont fixé 84.000. Quant aux prairies permanentes labourées au cours de ce laps de temps, elles ont émis 260.000 t de CO2 et les parcelles sous cultures 18.000.

Troisièmement, les émissions des sols agricoles représentent 10 % de celles du secteur. On reviendra plus loin sur d’autres contributions majeures à considérer.

Ensuite, il est clairement illusoire d’espérer compenser au niveau des sols les émissions liées à l’élevage bovin. Les meilleures pratiques pour conserver et parfois améliorer les stocks du sol sont celles qui s’accompagnent d’un prélèvement moindre ou d’un retour au sol plus important de matières organiques carbonées (fauches plus limitées, durée de pâturage accrue, apports de fumiers pailleurs et compost, couverts hivernaux productifs enfouis essentiellement).

La conversion de terres en prairies permanentes est très efficace à long terme avec une fixation annuelle de carbone de 500 kg par an pendant dix ans puis décroissant pendant plusieurs dizaines d’années.

Enfin, la pire des pratiques consiste à labourer les prairies permanentes du fait de l’importance des effets qui se prolongent 40 années durant (1 t de C perdue chaque année pendant les 20 premières années qui suivent le labour). En 2021, 260.000 t de CO2 ont cette origine soit 5,9 % des émissions du secteur.

Par la suite, nous verrons plus en détail quelles sont les différentes contributions aux émissions de GES de l’activité agricole et quelles sont leurs parts respectives.

Ultérieurement, et sur ces bases, nous reviendrons sur quels sont les leviers principaux que devrait mettre en place une politique climatique en agriculture pour atteindre les objectifs climatiques de la Wallonie.

Réaliser l’inventaire des émissions

L’inventaire annuel régional des GES est réalisé en appliquant les méthodes définies par le Giec. Les postes pris en compte et méthodes de calcul sont identiques pour tous les signataires de la « Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques ». Ce même inventaire est aussi utilisé à l’échelle européenne dans le mécanisme pour la surveillance et la déclaration des émissions de GES.

Les postes considérés concernent le périmètre de la ferme, ce qui permet d’éviter tout risque de double comptage. La réduction d’utilisation d’engrais azoté de synthèse dans une ferme, par exemple, aura pour effet de réduire les émissions de N2O du fertilisant une fois au sol d’une part, et, d’autre part, celles plus limitée du CO2 liées au transport et à l’épandage par l’agriculteur (utilisation moindre de carburant).

Certaines émissions, et donc aussi les réductions d’émissions, liées, par exemple, à la réduction de production d’engrais azoté et à un moindre transport jusqu’au dépôt local sont donc attribuées aux acteurs concernés par ces étapes (producteurs d’engrais et secteur du transport), tandis que la réduction des émissions de N2O du sol qui reçoit l’engrais est attribuée au secteur agricole.

Pour ce qui concerne l’inventaire des émissions de GES de l’activité agricole, on prend en compte les postes suivants (voir tableau ) :

–  la fermentation entérique qui est à la source de l’émission de CH4 par les éructations des bovins consécutives à leur digestion ;

–  les sols et leur part dite « directe » qui correspond à l’émission de N2O après l’épandage des engrais azotés minéraux et organiques ainsi que des amendements organiques (fumiers, lisiers, composts et boues). Une part de l’azote des restitutions du bétail pâturant (bouses et pissats) est aussi perdue par cette voie. S’y ajoutent les pertes au départ des résidus de culture après récolte et celles provenant de la fraction azotée de la matière organique du sol qui est dégradée ;

–  les sols et leur part dite « indirecte » correspondant à une fraction de l’azote volatilisé sous forme d’ammoniac lors des épandages et qui retombe au sol pour être finalement perdu vers l’atmosphère sous forme de N2O. Les intrants azotés perdus par ruissellement et infiltration libèrent aussi une partie d’azote sous cette forme et qui est reprise ici ;

–  le stockage des fumiers et lisiers va de pair avec des émissions de CH4 et de N2O ;

–  le fonctionnement des moteurs des engins agricoles est principalement à la source de CO2  ;

–  l’utilisation d’urée et le chaulage s’accompagnent d’émissions de N2O et de CO2  ;

–  l’utilisation et le changement d’utilisation des sols agricoles : les terres arables et les prairies permanentes qui conservent leur utilisation année après année accumulent du carbone sous diverses formes organiques ou perdent du carbone sous forme de CO2 selon la manière dont elles sont exploitées (apport d’engrais, d’amendements, pâturage, fauche…), du climat, du type de sol et aussi du stock initial. Les terres qui changent d’utilisation commencent après cela à perdre ou accumuler du carbone durant plusieurs dizaines d’années pour retrouver un stock en équilibre entre les entrées et sorties du nouveau mode d’exploitation.

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Quels niveaux d’émissions pour les différents postes ?

La figure 1 reprend les quantités de GES des postes considérés pour l’activité agricole en Wallonie. Quelques constats en ressortent.

Figure 1: représentation des émissions de GES totale et pour chaque poste relatif à l’activité agricole, données ktCO2éq de l’Agence wallonne de l’air et du climat.
Figure 1: représentation des émissions de GES totale et pour chaque poste relatif à l’activité agricole, données ktCO2éq de l’Agence wallonne de l’air et du climat.

Premièrement, le poste le plus important, et de très loin, est celui des émissions de méthane lors de la digestion des bovins. Il représente à lui seul 40,8 % du total. Un deuxième poste de contribution important (11,9 %) correspond à celui des émissions de N2O à partir de la dégradation des résidus de cultures de rente et fourragères.

On trouve ensuite le poste important des émissions de CO2 provenant des pertes de matières organiques des sols agricoles (9,2 %) dont, comme mentionné déjà, plus de la moitié pour l’effet du retournement des prairies permanentes. Selon l’Awac, 40.000 ha de prairies permanentes ont été labourées pour être cultivées entre 1990 et 2020. Statbel permet de conclure que l’on compte 86.000 ha de prairies permanentes en moins entre 1980 et 2020.

Les postes suivants concernent les émissions de CO2 des moteurs à combustion (7,5 %), le N2O des déjections du bétail en prairie (restitutions au pâturage, 6,4 %). Les émissions relatives au stockage des effluents sont au même niveau de contribution (6,2 %), de même que celles relatives aux épandages d’azote minéral (5,7 %) et aux pertes azotées par ruissellement et infiltration (5,4 %).

Les autres postes contribuent de manière mineure aux émissions agricoles avec une part un peu plus sensible (2,8 %) pour celles du N2O émis lors de l’épandage des effluents d’élevage.

De ces chiffres, on note qu’ensemble, les émissions directes et indirectes liées à l’épandage des engrais minéraux atteignent une part de 8 %.

Par ailleurs, la gestion des effluents d’élevage (stockage et épandage conjugués) est à l’origine d’un peu plus de 9 % des émissions ; ceci sans tenir compte des émissions liées aux restitutions et aux émissions indirectes évoquées ci-avant.

Ensuite, aucun poste de l’inventaire ne conduit actuellement à une émission négative correspondant à une fixation moyenne de carbone. Il n’existe donc aucun effet de « puits » net de carbone au sein des postes pris en compte à l’échelle wallonne et qui serait lié à l’activité agricole. Un enjeu prioritaire en matière de politique climatique en agriculture est donc bel et bien de limiter les émissions et non d’accroître un effet de « puits » inexistant globalement à l’échelle wallonne, toutes pratiques et régions confondues.

Nous reviendrons prochainement sur les pratiques qui valorisent la fixation de CO2 par la photosynthèse, lorsqu’elles sont à la source de stocks de carbone stables, et qui constituent des pistes de réponse par des adaptations dans le cadre des systèmes d’exploitation les plus présents aujourd’hui. Pour la plupart elles ont néanmoins de fortes limites. Dont l’incertitude de la permanence du stockage au niveau de haies ou du sol, par exemple.

Certaines adaptations de pratiques de fauche ou de pâturage ont aussi, sans doute, un effet mais très modeste, sans commune mesure avec les réductions absolument indispensables dans les 25 années à venir.

Des modèles d’exploitation dont le bilan aboutirait à stocker réellement et à long terme du carbone doivent encore être inventés. Jusqu’à présent, les progrès dans ce domaine sont insignifiants et nous restons dans une dynamique de diminution des émissions plutôt que de stockage.

Enfin, la digestion des bovins, le stockage des effluents, les restitutions aux pâturages et l’épandage des engrais de fermes représentent 56,2 % des émissions.

Pour disposer d’un indicateur spécifique qui permette le suivi des émissions globales de l’élevage en Wallonie, on doit ajouter à ce chiffre la part d’autres postes moins spécifiques qui lui sont cependant attribuables. Cela concerne la partie des émissions relatives à la production de fourrage sur les terres arables. On considère aussi les émissions indirectes des apports azotés liés à l’élevage (émissions de N2O à partir des retombées atmosphériques d’ammoniac issus de l’élevage et émissions secondaires à partir des engrais azotés perdus par lessivage et infiltration). On calcule alors que les émissions relatives aux terres arables non liées à l’élevage couvrent 19 % du total de celle des activités agricoles. Les émissions au sens large relatives à l’élevage atteignent donc 81 % du total.

Ce qu’il faut retenir

L’analyse des résultats de la comptabilisation des émissions de GES de l’activité agricole de l’Awac pour 2019 met en évidence qu’à l’échelle globale de la Wallonie, les contributions immédiatement liées l’élevage atteignent 53,5 %. Elles s’élèvent à 81 % lorsque l’on intègre celles relatives aux productions fourragères.

Aucun poste ne concerne une fixation nette de carbone. Globalement, tant les prairies permanentes que les terres arables sont des sources d’émissions de GES. Ce constat est tiré dans de plus en plus de pays de l’Union européenne.

Force est de constater que pour réduire les émissions de GES de l’activité agricole en ligne avec l’engagement du Gouvernement wallon pour 2050, il sera impossible d’éviter une nette et progressive réduction de la charge en bétail. Celle-ci devra certainement s’accompagner d’un accroissement des superficies de prairies permanentes aux dépens des terres arables. Ce n’est qu’en remplaçant progressivement des cultures fourragères par de nouvelles prairies permanentes ou forêts – et non par d’autres cultures – que l’on s’assure de réduire fortement les émissions en une génération. C’est surtout, dans le cadre de l’activité agricole, le seul moyen réaliste dans l’état actuel des connaissances pour piéger du carbone de manière accrue et assez bien assurée à long terme.

Cette perspective est évoquée dans l’étude de scénarios pour une Belgique « zéro émission » en 2050 réalisée à l’échelle fédérale en 2021 (disponible via www.climat.be). Elle permet de compenser les émissions restantes et non évitables de la production bovine plus limitée à maintenir, et répondant aux besoins alimentaires.

De ces constats découlent plusieurs leviers d’action sur lesquels nous reviendrons très prochainement.

Thierri Walot

UCLouvain

thierri.walot@uclouvain.be

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