Accueil Economie

Pacte Vert : l’hémicycle européen fracturé

Le combat est sans merci depuis plusieurs mois au cœur de l’hémicycle européen. D’un côté la droite et ses satellites, de l’autre la gauche et les écologistes s’écharpent autour de textes, lesquels constituent le socle des politiques environnementales voulues par la commission. Et si le Pacte Vert était au bord du gouffre ?

Temps de lecture : 5 min

On se souvient que c’est Frans Timmermans qui a, durant près de quatre ans, bâti brique après brique ce Pacte Vert, une imposante architecture composée d’un nombre infini de textes qui doit faire de l’UE la première partie du monde climatiquement neutre à l’horizon 2050.

L’ombre de Frans Timmermans

Le Néerlandais a depuis quitté le navire européen en août dernier pour aller ferrailler au cœur de la bataille des législatives aux Pays-Bas où il avait justement fait campagne sur l’urgence climatique.

Et de se faire doubler par l’eurosceptique d’extrême droite Geert Wilders qui a largement devancé l’alliance de la gauche et des écologistes qu’il avait menée tambours battants.

C’est Frans Timmermans que l’eurodéputée Anne Sander a rendu responsable des divisions qui minent le parlement  européen.
C’est Frans Timmermans que l’eurodéputée Anne Sander a rendu responsable des divisions qui minent le parlement européen. - UE.

Pire, ce scrutin, qui marque une rupture historique dans la vie politique des Pays-Bas, a été placé sous le signe d’un référendum sur la politique européenne en matière d’écologie, incarnée par l’ancien commissaire.

Quasiment au même moment au parlement européen, les écologistes essuyaient un échec de taille avec le rejet du fameux règlement sur les pesticides (SUR) par les députés conservateurs de droite.

« Laissons les agriculteurs cultiver leurs terres »

Pour la droite justement, qui a accusé Sarah Wiener, la rapporteure écologiste dudit règlement, d’avoir tenté d’utiliser son rapport de la commission de l’Environnement pour interdire les produits phytopharmaceutiques dans les zones agricoles sensibles, il faut trouver des solutions ensemble avec et non contre l’agriculture.

Avec le report sine die du texte, les démocrates-chrétiens ont incontestablement marqué des points voici quelques semaines à Strasbourg.

« Laissons les agriculteurs cultiver leurs terres ! Avant de nous diriger vers une interdiction totale des produits phytopharmaceutiques, nous devons trouver des alternatives appropriées », avait déclaré Alexander Bernhuber, négociateur du groupe PPE sur les nouvelles règles relatives à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

La Française Anne Sander, que nous avons rencontrée, s’était, elle aussi, félicitée du rejet du texte. Pour cette figure de la commission de l’Agriculture, la proposition « totalement irréaliste » aurait fait courir un véritable danger en termes de sécurité alimentaire, un argument répété à l’envi par tous les collègues de son groupe.

« Je ne m’oppose pas à une nécessaire ambition environnementale » a-t-elle nuancé avant de tacler à nouveau un texte qui donnerait un « gros coup de frein à la production européenne ».

Le télescopage semble frontal entre l’écologie et son acceptabilité par une large partie de l’hémicycle, le PPE y étant majoritaire.

« Des propositions hors-sol »

Comme ses collègues du PPE, l’élue française avait réclamé une étude d’impact globale et un moratoire sur le texte que son groupe aurait mis à profit « pour améliorer en demandant de repousser sa mise en œuvre de 2030 à 2035 mais aussi de changer les dates de référence (de 2011 à 2013), ce qui aurait permis de reconnaître les efforts qui ont déjà été fournis par le secteur agricole ».

A. Sander a mis en avant des amendements défendus par son groupe, qui portaient sur les zones sensibles car « telles que définies, elles ne permettraient quasiment plus d’intervenir sur une grosse partie du territoire, je pense à l’exemple de la France où la zone Natura2000 en couvre 14 %, ce qui est énorme ».

Sans parler « d’éco-populisme » dans le chef de la rapporteure écologiste comme l’avait osé le président de la commission de l’Agriculture, la démocrate-chrétienne a eu le sentiment que « Madame Wiener a été très loin », tout en ajoutant qu’elle ne savait pas si c’était dans le but de « séduire son électorat » ou par « conviction profonde ».

Quoi qu’il en soit, pour elle, « les propositions qu’elle soutient et met en avant sont complètement hors-sol et traduisent un profond éloignement de la réalité des territoires ».

Un rejet de la transition écologique ?

Le parlement est largement divisé sur la mise en œuvre du Pacte Vert malgré un consensus en début de mandat sur l’urgence à s’impliquer dans la transition environnementale.

Pour la droite, la gauche et les écologistes ont eu le tort de trop charger la barque et c’est à eux que l’on doit cette situation de blocage où le parlement est scindé en deux.

« On a adopté une trentaine de législations vertes, ce n’est donc pas que nous n’ayons rien fait mais la question c’est l’acceptabilité que l’on ne retrouve plus au niveau des citoyens et des agriculteurs européens » a synthétisé Anne Sander.

Il faut reconnaître que la transition écologique fait l’objet d’un rejet social et politique croissant, aussi au niveau national et régional dans tous les États membres.

 

Regagner l’adhésion des citoyens

Outre-Atlantique, elle pourrait être remise en question en 2024 par le retour au pouvoir de Donald Trump, où l’écologie est le principal objet de la guerre culturelle avec le statut des minorités, mais aussi par la percée de l’extrême droite lors des prochaines élections européennes.

À vouloir se poser en champion planétaire de la transition écologique, qui reste indispensable, certains politiques ont fait du Pacte Vert une machine infernale dont ils peinent à garder le contrôle.

Anne Sander a pointé du doigt Frans Timmermans qu’elle a rendu responsable des divisions qui minent le parlement européen.

Elle espère un « sursaut de pragmatisme avec une vision globale qui permette de concilier les attentes des Européens, notamment celle d’avoir accès à une alimentation de qualité en suffisance et vertueuse en termes d’environnement tout en permettant aux agriculteurs de vivre dignement de leur métier ».

Mais il va aussi falloir regagner au plus vite l’adhésion des citoyens.

On ne parle pas seulement des pesticides mais plus largement du climat. L’année 2023 s’achève sur de nouveaux records des températures et des émissions de carbone mondiales, plaçant le réchauffement sur une trajectoire de plus de 3 ºC à l’horizon 2100.

Marie-France Vienne

A lire aussi en Economie

Voir plus d'articles